Une très longue histoire de 750 ans jamais interrompue

Abbaye de la Fille-Dieu  1268 > 2018 !
 

Une longue, très longue histoire de 750 ans jamais interrompue. Ce grand anniversaire a été solennisé tout au long de 2018.

Donc ! difficile de résumer en quelques lignes un si long et si riche chemin monastique !

Fondée en 1268 au cœur de ce XIIIème s.  propice à une extraordinaire efflorescence religieuse, l’abbaye de la Fille-Dieu s’est développée en terre glânoise (Suisse, canton de Fribourg) comme une « génération spontanée » ! En effet la communauté n’est pas une fondation d’une communauté-mère, mais elle est l’œuvre de quelques femmes réunies pour mener ensemble une vie authentiquement religieuse.

L’évêque de Lausanne, Jean de Cossonnay, a approuvé ce nouveau monastère en février 1269 comme en témoigne la charte conservée dans nos archives. Et il lui a donné le beau nom de Figlia Dei en référence à la Vierge Marie, première des fils et filles de Dieu. Bien que vivant sous la Règle de Saint Benoît depuis les origines, ce n’est qu’en 1351 qu’est mentionnée l’appartenance à l’Ordre Cistercien. Peut-être attendait-on la consécration de l’église 10 avril 1346 et l’élection de la première abbesse, Marguerite de Vuisternens, en 1351…

La communauté fut alors placée sous la juridiction de l’abbaye de Hautcrêt située à quelques kilomètres. Cette dernière a été complètement détruite à la Réforme en 1538. Privées de leur Père immédiat, les moniales se tournent vers l’abbaye d’Hauterive (canton de Fribourg) qui assurera la juridiction jusqu’à sa propre fermeture, à cause du contexte politique du pays, en 1848. Epoque trouble qui voit l’interdiction de recevoir des novices et la confiscation des biens de l’abbaye. Et pour la deuxième fois de son histoire, la communauté est privée de père immédiat !

Ainsi la communauté souffrit-elle de graves épreuves qui auraient pu l’anéantir. Déjà lors des guerres de Bourgogne (1476), la soldatesque avait saccagé l’église et les bâtiments conventuels jusqu’aux fondements. Cependant ces destructions n’avaient pas affecté la vie religieuse, ni la ferveur. La petite communauté poursuivait son idéal monastique avec courage.

Le relâchement de la discipline ne surviendra que plus tard, après les évènements de la Réforme, ainsi qu’en témoigne l’abbé de Cîteaux dans sa carte de visite de fin du XVIème. Ne se contentant pas de déplorer cet état, il aida de conseils judicieux la reprise de la vie régulière et liturgique. Vie liturgique qui avait connu son apogée dès le début par la richesse de son répertoire musical. *

Une terrible épreuve vint bouleverser la génération du début du XVIIIème s. qui vit partir en fumée son monastère. De ce tragique incendie ne subsiste qu’un bâtiment du cloître occupé actuellement par l’hôtellerie. Telles de petites fourmis laborieuses, loin d’être abattues, elles construisirent (1726) un monastère tout neuf au nord de l’église, celui que nous habitons aujourd’hui, simple et beau.

Mais oui, le courage de la petite communauté s’avère légendaire tout au long des siècles ! Nous le remarquons encore dans sa persévérance, sa constance, sa ténacité pour obtenir l’affiliation à l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance (1906) sous l’abbatiat de Mère Lutgarde Menétrey et l’appui de sa marraine, Marguerite Bays récemment canonisée le 13 octobre 2019.

Par bonheur, toutes ces épreuves ne détruisirent pas l’église malgré de déplorables mutilations ! Chaque génération a posé ses marques - décors peints, stalles, retables, statues - immense patrimoine reçu en héritage, accompagnant avec sollicitude la continuité… magnifique patrimoine remis en lumière lors de la restauration, fin du XXème. Ce patrimoine artistique s’est enrichi à la fin du dernier siècle, 1996, par la pose de nouveaux vitraux de l’artiste verrier Brian Clarke, interprétation moderne du vitrail traditionnel cistercien par ses damiers colorés qui confèrent à ce lieu de beauté et de prière, une atmosphère toute spéciale d’intimité et de profond recueillement. Notre génération a eu cet heureux privilège de la restaurer sous l’égide de notre dynamique Mère Abbesse Hortense Berthet (2004) qu’aucun obstacle n’arrêtait lorsqu’il s’agissait de la Maison de Dieu.

Notre Histoire est une histoire vivante qui se poursuit aujourd’hui comme autrefois.

Aujourd’hui en 2020 ? l’aventure dure encore. Le terme « aventure » peut étonner, mais étymologiquement il convient tout à fait pour désigner ce long chemin à travers les siècles… Que savaient-elles nos premières sœurs de ce qu’il adviendrait de leur démarche ? Quoi d’extraordinaire ? d’inopiné ? …. Et nous voilà au XXIème siècle ! Aventure silencieuse, aventure spirituelle, aventure d’Eglise dans le charisme cistercien vécu au jour le jour.  

Le rythme cadencé des journées entre prière, lectio, travail, telle est l’aventure du quotidien vécu dans une même quête de Dieu sous la houlette de Mère Marie-Claire Pauchard, 41èmeabbesse, par les quatorze moniales présentes, dont l’échelle d’âge s’étire de 38 ans à 88 ans. Deux novices sont engagées sur ce chemin et s’initient à la tradition vivante qui a soutenu chaque génération tournée vers l’avenir. Chaque maillon de la chaîne transmet à l’autre sa quête de Dieu, à l’Ecole de Charité, qui s’approfondit pour chacune dans la rumination de la Parole de Dieu. « Il est tout ce que tu cherches, la beauté et la bonté, la vérité et l’amour, et Il t’attend depuis toujours dans ton cœur » a écrit Maurice Zundel, prêtre suisse.

Aventure du quotidien vécue dans le travail. Outre les tâches domestiques, soin des sœurs âgées et formation des jeunes, les activités lucratives sont modestes et variées : la fabrication des hosties est un secteur en baisse à cause de l’absentéisme à l’Eucharistie, conséquence de la sécularisation accélérée. Il a fallu chercher une nouvelle piste pour « gagner notre vie » comme tout citoyen, et assumer les frais de fonctionnement du monastère : un artisanat de moutarde - déclinée en quatre saveurs et deux sortes de sauces - depuis une dizaine d’années permet d’aller de l’avant en participant à la création avec tous nos frères en humanité.

Un petit magasin à la porterie donne aux visiteurs l’occasion d’acheter d’autres articles monastiques, savons, cartes, miel, bougies ainsi que des confitures et des produits de santé de notre fabrication. Mais cela reste d’un rapport très faible et ne suffirait pas aux besoins de la communauté. Aussi apprécions-nous avec gratitude l’Association de Amis de la Fille-Dieu qui prend soin de l’entretien des bâtiments avec compétence et un généreux dévouement qui nous touche beaucoup.

*** Le patrimoine liturgique en quelques mots

Dès la fondation de leur maison de prière, les moniales utilisèrent le plain-chant en usage à Hautcrêt et dans toutes les communautés de la chrétienté. Des recherches récentes dans nos archives, entreprises par Alicia Scarcez dans le cadre de son doctorat en musicologie, ont mis à jour des trésors : d’anciens manuscrits de chant polyphonique voisinant avec les recueils de chant grégorien. Nos Anciennes mettaient leurs talents au service de la liturgie, avec intelligence et sagesse ; elles savaient innover et allier tradition et création : 750 ans de vie musicale attestée par des pièces, dont le plus ancien graduel de l’Ordre.

Actuellement, nous chantons l’office en polyphonie de style byzantin, en langue vernaculaire. Mais nous apprécions, et nous y tenons, de chanter le répertoire grégorien pour la messe et certains joyaux de l’hymnaire. Il s’agit de notre précieux patrimoine, respecté et aimé.

 

Est-ce le souffle contemplatif, le silence, la beauté du lieu et sa paix qui attirent nombre de personnes à nos liturgies ? Les fidèles, des gens de tous âges et tout bord, les pèlerins viennent y chercher sérénité, réconfort.

Au pied de la colline moyenâgeuse de Romont, le monastère de la Fille-Dieu peut être qualifié de semi-urbain. Il rayonne depuis 750 ans !

                                                                                     Abbaye de la Fille-Dieu,  Pentecôte 2020
                                                                                                                                          Sœur Marie-Samuel

Dans la revue "Liens cisterciens" octobre 2020
 

*** Cette recherche a fait l’objet d’une publication disponible au monastère.