Exposé de M. André Kolly

    A la recherche de la vérité

    " Ce que vous entendez en secret, criez-le sur les toits " (Mt 10, 27)

    Ma Mère, mes sœurs, Monsieur le président, Madame, Monsieur, chers Amis,

    Et cher Francis merci !

    Nous sommes encore dans la lumière pascale. Pour y parvenir, nous sommes passés une nouvelle fois par les récits et les chants de la Passion. Le Vendredi-Saint, le chapitre 18 de l'Evangile de Jean nous offrait ce contraste saisissant :

    Au verset 20, on voit Jésus répondre à Caïphe, grand prêtre de cette année-là : " C'est au grand jour que j'ai parlé au monde ". Quelques heures plus tard, devant Pilate, Jésus est encore plus clair: " Je suis venu rendre témoignage à la vérité ". Et Pilate lui répond au verset 38, avec cette question qui jusqu'au fond des âges devra inquiéter notre cœur: " Qu'est-ce que la vérité ? ".

    Alors que Jésus est parfait témoin de la vérité - mais comment est-ilpossible que la vérité parfaite ne soit pas reconnue ? -, Pilate nous ramène à notre condition qui est faite de doute et de recherche.

    Si pour le chrétien l'idéal est de pouvoir crier sur les toits ce qu'on lui a dit au creux de l'oreille - autrement dit témoigner sur la place publique du mystère qui est révélé aux petits et aux humbles -, encore faut-il trouver la forme publique à donner au contenu secret, encore faut-il savoir comment offrir une traduction à l'intuition spirituelle.

    Ce liminaire nous place au cœur de la question des médias : il y a tant de choses qu'on crie sur les toits, mais pour dire quelle vérité ? C'est pourquoi je voudrais m'arrêter à trois approches:.

    Constater que la question de Pilate est de totale actualité : dans les médias, comme dans l'Eglise d'ailleurs, nous avons à nous interroger sur "Qu'est-ce que la vérité ?"

    Je voudrais insister ensuite sur notre nouveau contexte culturel: l'expression de la vérité s'est modifiée considérablement ces dernières années, notamment du fait des performances technologiques, en particulier celles liées à l'internet.

    Enfin, je voudrais dire que, dans la quête de la vérité, le serviteur de l'Evangile n'a pas de quoi perdre la boussole. Il a même quelques atouts incomparables.

    La vérité et ses leurres

    D'abord : qu'est-ce que la vérité ? Ce n'est pas une question anodine. Elle est même si considérable que je n'ose d'aucune manière l'aborder à la manière des philosophes. Parmi les meilleurs d'entre eux, on garde la définition de l'adaequatio rei et intellectus. Que la vérité soit l'adéquation parfaite entre une réalité - les faits - et la perception que j'en ai et l'expression que j'en donne, c'est un idéal qu'il est légitime de poursuivre. Mais la pratique de tous les jours est très loin de cette définition.

    Nous cherchons la vérité parce que c'est une quête essentielle. C'est même une profession - une vocation - pour le journaliste. Mais cette quête est fragile et doit se jouer de beaucoup d'écueils. Ainsi y a-t-il de nombreux discours qui se présentent comme la vérité, mais ils peuvent être des approximations, des fraudes et des contrefaçons. Permettez donc que je mette en évidence quelques typologies, non pas pour marquer la désillusion mais pour tenter de répondre à la question de Pilate, au moins par la négative.

    Il y a la " vérité idéologique " : elle est parfaitement repérable. Par exemple lorsque, dans les médias, on entend un homme (qui peut aussi bien être une femme) critiquer une opinion ou une solution, on peut se demander si sa critique tient à la nature de l'objet ou plutôt à sa position (à gauche ou à droite) sur l'échiquier politique ou économique, voire confessionnel. Et alors peu importe la valeur de l'idée, il s'agit de la critiquer parce qu'elle vient d'ailleurs. On la dénature parce qu'elle risque d'éclairer un autre univers que celui qu'on a défini. L'idéologie - quelle qu'elle soit - devient le critère de la vérité. L'énoncé de la vérité doit se soumettre à l'idéologie ou perd sa légitimité.

    Il y a la " vérité convenue ou rituelle ": elle est extrêmement présente dans le sport ou dans le showbiz. Les formules sont écrites d'avance comme dans un missel. Il s'agit de dire que l'adversaire a été bon, que le combat a été difficile, qu'on a tout donné dans le stade ou sur la scène, qu'on s'admire mutuellement. Le langage est terriblement stéréotypé, c'est plutôt momentanément sincère, pas très faux, et finalement ce qu'on dit n'a aucune importance. Il y a la " vérité politiquement correcte " : et là ce qu'on dit a extrêmement d'importance.

    Politiquement correct peut se traduire par économiquement correct, religieusement correct, peu importe la situation. Il s'agit d'être conforme à ce qui est attendu, et en particulier en harmonie avec l'émotion du moment. Et il serait inadmissible que les mots ne soient pas utilisés dans le sens attendu. Le politiquement correct est particulièrement nécessaire dans les cas de catastrophes, les immenses ou les plus petites. C'est une vague sur laquelle il fait bon surfer, puisqu'il y a des bons sentiments à fédérer, des adhésions à gagner. Cela suffit pour obliger la république à imposer des muselières aux caniches ! Plus sérieusement, et on ne va pas s'en plaindre, cela permet d'avoir les mots nécessaires du type " Avant que je vous réponde, permettez que je pense d'abord aux familles des victimes ".

    On peut allonger à l'infini la liste des prétentions à la vérité et qui ne sonnent pas forcément juste.

    Ainsi y a-t-il encore " la vérité de la com. ". C'est celle de l'image que des institutions ou des personnes souhaitent imposer. Elle passe par les attachés de presse et les services de communication. Et cela ne réussit pas toujours. Lors d'un échec politique, on entend souvent dire qu'on n'a pas su communiquer. Ainsi n'a-t-on pas trop d'autocritique à faire sur son action.

    Quand les médias n'avaient pas relayé son avis, un grand évêque à Fribourg disait toujours: " Nous n'avons pas su dire les choses. " Qu'est-ce que cela signifie en clair ? " J'ai raison. Si j'avais su vous le prouver, vous, journalistes, l'auriez compris, et vous journalistes auriez dit ce que je dis. Vous, journalistes n'avez pas dit ce que je dis, par conséquent vous êtes excusables, puisque c'est moi qui n'ai pas dit de manière convaincante ce que vous auriez dû dire ! ". Nous en avons parfois parlé avec un brin d'humour.

    La vérité de la com., j'y reviendrai parce qu'elle est une composante en pleine expansion dans notre société.

    Il y a encore la " vérité perroquet" :il s'agit de redire la même chose que le chef : il a parlé, il a raison. Il peut être Lider Màximo, conférencier de l'Albisgütli ou même pape : le commentaire commence par " Wir begrüssen ". Mais il y a toujours un moment où cela ne trompe plus personne, parce que dans tous les domaines de la vie, et aussi en Eglise, on a besoin de savoir d'où l'on nous parle: la source d'une parole tient-elle à la répétition de ce que dit l'autorité ? se cache-t-on derrière le règlement ou le droit canonique ? ou y a-t-il quelqu'un qui parle derrière les citations ?
    Jean-Paul II a introduit pour une part un langage nouveau dans beaucoup de ses documents, en évitant de dire à chaque ligne " Ainsi que le disait notre prédécesseur de vénérée mémoire ". A contrario, un pasteur me rapportait cette boutade qui lui avait été dite par un membre de la curie romaine Quels seront les premiers mots du Motu proprio du pape annonçant l'accès des femmes à la prêtrise ? - " Ainsi que l'a toujours dit l'Eglise, ... ".

    Pour en finir avec une liste qui pourrait s'allonger, citons enfin la " vérité impossible ": c'est celle qui n'est pas conforme à la mode, à l'esprit du temps, aux majorités supposées: si vous voulez dire la vérité dont vous êtes convaincu, vous risquez de passer pour un propagandiste ou un menteur. L'Eglise catholique n'a pas trop de scrupule à exceller dans ce domaine ainsi qu'on l'a vu maintes fois, alors que dans la société, une vérité impossible est impossible. Cela au point que quelqu'un disait avec cynisme: " Je préfère dire des choses fausses que les gens croient, plutôt que des choses justes que les gens ne croient pas ".

    Nous sommes donc tous confrontés à ces typologies dans l'exercice de nos responsabilités, dans notre fréquentation des médias, et plus encore lorsqu'on fonctionne comme journaliste. Des exemples nous ont été donnés par l'actualité ecclésiale catholique de ces derniers mois.

    Un cas d'école

    Ainsi qu'a dit le pape dans l'avion le conduisant en Afrique ?

    Les journaux écrits et audiovisuels ont rapporté les 6 mots relatifs au préservatif dans la lutte contre le sida : " Au contraire ils augmentent le problème.

    " Cette phrase a créé un choc, une immense polémique, des incompréhensions dans l'opinion publique, des prises de positions politiques, scientifiques et ecclésiastiques, des interventions diplomatiques, et j'en passe. Comme tout a été dit, tout et son contraire, il faut un peu de patience pour se faire une opinion :

    Oui, le pape a bien utilisé ces 6 mots. Il a dit ce qu'il a dit.

    Non, il ne s'est pas fait piéger puisqu'il s'agissait d'une des 6 questions retenues parmi les 30 formulées par les journalistes.

    Le fait est que nous avons aujourd'hui la possibilité d'avoir accès à la vérité factuelle puisque par internet on accède à l'ensemble de l'interview du pape. Ainsi on a plus que les 6 mots, on a un contexte qui est éclairant. Mais la question se pose quand même à propos des 6 mots de la phrase discutée :

    Le pape a-t-il dit ce qu'il voulait dire ? ou

    Le pape a-t-il voulu dire ce qu'il a dit ?

    Selon la réponse qu'on donne (en rejoignant l'une des typologies ci-dessus), on entre dans la confrontation idéologique mondiale et on choisit de faire passer le pape pour irresponsable ou pour un prophète parfaitement lucide.

    Il reste que les amis du pape - pour ne pas parler de ses détracteurs - n'ont pas été les premiers à servir sa cause.

    Ainsi un courrier des lecteurs de La Liberté veut remettre les choses en contexte en montrant bien que les journalistes ont déformé les propos du pape. Et il cite les propos du pape mais interrompt sa citation juste avant les fameux 6 mots " Au contraire ils augmentent le problème". Il n'y a donc plus de problème, à part celui qu'ont créé les journalistes !

    Pourtant la phrase dont on parle prête tout de même à discussion. La preuve, c'est qu'elle se trouve transformée dans la première version qu'a donnée la salle de presse du Vatican. Un bon théologien français rend les propos du pape acceptables en traduisant : au contraire, cela augmente le sida. Ce ne sont plus les préservatifs qui augmentent le problème, mais le fait de ne pas prendre en compte l'éducation et le respect dans le domaine de la sexualité. Si le pape avait dit cela, je crois que beaucoup auraient été d'accord avec lui.

    Enfin, un évêque - celui d'Orléans - pour venir au secours du pape s'est engagé sur le terrain de la performance technique du caoutchouc, ce qui a provoqué un nouveau tollé bien au-delà des pays francophones. La polémique avec recours aux scientifiques s'est développée alors même que l'évêque avait retiré ses propos quelques heures seulement après les avoir tenus en toute intimité sur les ondes de sa radio diocésaine.

    L'exemple que nous citons pourrait être décortiqué à l'infini en révélant nos positionnements dans la recherche de la vérité. Dans son Evangile selon Pilate, l'écrivain Eric-Emmanuel Schmitt risque cette formule : " La vérité n'est jamais une. C'est pour cela qu'elle n'existe pas ". En réalité elle existe, mais elle est infiniment fragile, dépendante de nos langages, relative à nos contextes de vie.

    Nouveaux contextes

    Alors que nous avons toujours à débusquer les vérités biaisées - ce qui est de tout temps -, la complexité dans la recherche de la vérité est accentuée par un nouveau contexte culturel. Ne retenons que trois points :

    La subjectivité

    La première caractéristique est à chercher du côté du récepteur. On a toujours dit que pour enseigner les mathématiques à John, il est encore plus important de connaître John que les mathématiques. Pour parler à l'homme contemporain, il faut connaître sa sensibilité, ses réactions. Il se moque bien de l'adaequatio rei et intellectus. Le crédit de la personne qui parle est plus important que ce qu'elle dit.

    Des études faites au Conseil de l'Europe ont montré le désamour de nos contemporains à l'égard des institutions. Les institutions comme telles n'intéressent plus le grand public, qu'il s'agisse de l'armée, d'un parti politique ou d'un diocèse. En fait, disait-on même, les institutions n'intéressent que dans la mesure où on découvre leurs débats et tensions internes. Si un club sportif, ou une banque, ou une Eglise vont bien, il n'y a aucune chance qu'on en parle dans les médias. Et l'intérêt ne va pas dépasser le cercle des insiders.

    Le discrédit pour l'institutionnel affecte évidemment la transmission de la foi. Si l'Eglise est un corps de doctrine et un code de droit canonique créé pour la " société parfaite ", elle n'a aucune chance d'être entendue. La société parfaite ne correspond plus une typologie unique du monde des croyants (cf. Henri Tincq qui distingue 7 tribus catholiques : les traditionalistes, les antassins, les inspirés, les engagés, les zappeurs. Il nomme "silencieux " celles et ceux qui appartiennent aux ordres religieux et leur consacre un très beau chapitre avec " une litanie de mots justes qui défilent à leur sujet : contemplation, renoncement, inutilité apparente, gratuité, beauté, parole donnée, jamais reprise " (Les Catholiques, Grasset, p. 340). La 7e tribu est celle des rebelles, une espèce hélas en voie de disparition. Ceux qui sont rebelles ne sont plus là comme au temps des prêtres ouvriers ou de la théologie de la libération. Ils quittent l'Eglise.)

    La sociologue Danielle Hervieu-Léger met en évidence deux caractéristiques des croyants de ce temps : ils sont pèlerins ou convertis : pèlerins sur des routes diverses, ou convertis à une intuition forte.

    Face à ce contemporain pour qui une vérité n'existe que dans la mesure où elle lui parle, il faut savoir qu'il ne suffit pas de crier sur les toits pour être entendu. C'est à lui qu'il faut parler, en TU si possible, et comme témoin, à la manière de l'abbé Pierre ou Sr Emmanuelle ou don Helder Camara." Notre monde n'écoute que ce qui est prononcé à hauteur de visage d'homme " écrivait récemment l'évêque de Poitiers, Mgr Albert Rouet.

    La révolution internet

    Une deuxième caractéristique de notre époque, c'est tout le domaine des technologies numériques. Le message que le pape vient de publier pour le prochain dimanche des médias (24 mai 2009) tient des propos très optimistes sur l'internet, le partage des connaissances et les réseaux sociaux.

    Pour ma part, je voudrais plutôt souligner quelques motifs d'inquiétude : La facilité de l'accès aux connaissance est pleine de dangers si on est paresseux et sans esprit critique. Lorsqu'il s'agit de savoir la date de naissance de votre président grâce à Wikipedia (un 31 octobre), cela ne porte pas à conséquence, mais la même encyclopédie en ligne peut comporter des fautes, et parfois des malveillances (je demandais l'an dernier à une personnalité si elle savait que pendant 10 mois sa biographie comportait cette petite phrase : " en raison de ses positions ultraprogressistes, il a été poussé à démissionner par le gouvernement ... ultraconservateur ". Manifestement un gag introduit dans Wikipedia, mais imaginons un petit collégien en train de faire un travail sur les personnalités de sa région !)

    La sphère privée est de moins en moins privée : une vidéo sur Youtube ou un blog permettent de détruire une réputation et parfois des vies. On est désormais pisté, au point que je trouve très révélateur cette caricature où l'on voit le pénitent au confessionnal dire " Mon père j'ai péché ". Et le prêtre avec son ordinateur sur les genoux à la page Google répond " Je sais ". Ceux qui disent avoir souffert des contraintes morales imposées par l'Eglise d'autrefois n'ont qu'à bien se tenir car c'est internet qui les contraindra à la vertu ! Ce qui serait affligeant !

    La transmission des connaissances incombait aux parents, aux enseignants, aux ministres de l'Eglise, et dans un sens assez spécifique, aux journalistes, aux écrivains, aux salles de presse des institutions. Aujourd'hui n'importe qui peut intervenir sur n'importe quoi, et n'importe comment. On appelle ça le " journalisme citoyen ". En réalité c'est la subjectivité, avec ses humeurs, ses colères, ses passions, ses mensonges, qui conquièrent potentiellement la scène mondiale, avec des effets dévastateurs inattendus. On a vu encore récemment non loin d'ici comment il est possible de perturber toute une école. Parfois il y a des dégâts à plus vaste échelle.

    Dans ce monde, les vérités de toute sorte s'entrechoquent si bien qu'en dehors d'une relation préalable de confiance, on se méfie a priori de toute parole proclamée urbi et orbi avec trop de certitude.

    La com. et les relations publiques

    J'aimerais encore noter une 3e caractéristique du contexte culturel médiatique. J'annonçais que j'y reviendrais : c'est celui de la com. : la communication qu'on distingue conceptuellement du journalisme. Dans la com., une entreprise ou une personne s'efforcent par des moyens directs ou indirects d'attirer l'attention sur des données réelles ou fictives pour créer une image favorable dans l'opinion publique. En face, le journaliste se sent en devoir de distance critique. Les acteurs de la communication et les journalistes sont théoriquement comme l'eau et le feu, même si en réalité les connivences sont nombreuses.

    Face à des médias plus agressifs, la com. doit redoubler d'ingéniosité. Un bon état-major doit avoir ses experts en communication pour examiner les effets d'une annonce, pour corriger l'effet désastreux d'une mauvaise nouvelle. Dans la suite du président américain en Europe, il n'y a pas que des diplomates et des agents de sécurité mais des rédacteurs de discours. Le recours au spin doctor (cf. torsion de balle au tennis) est devenu indispensable pour lancer une carrière politique à vaste échelle. On sait aussi le potentiel des réseaux du type FaceBook. Le professeur Christian Salmon a analysé les sagas présidentielles dans un livre sur le storytelling : il faut avoir chaque jour une histoire à raconter au bon peuple et aux médias qui le servent. Il y a le storytelling qui fonctionne bien comme pour Nicolas et Carla, mais qui échoue comme dans le cas de Sarah Palin.

    La question n'est plus celle de la vérité mais celle de l'image publique qu'on offre. Et si l'image est déplorable, on se demande si on peut y survivre. Certains peuvent faire le gros dos. Et rebondir. Et d'autres seront balayés. Au mieux, on attendra leur mort pour les réhabiliter.

    Ce que je dis là peut renforcer le sentiment que nous sommes dans une jungle - in hac lacrymarum valle. Mais ce n'est pas parce que l'accès à la vérité est ardu qu'il est impossible. Et je pense que les journalistes, malgré leurs propres faiblesses, sont précisément ceux qui ont pour vocation de faciliter notre accès à des réalités complexes, y compris par la critique et la mise en confrontation des opinions. Plus les journalistes seront libres, plus ils auront des chances de servir la vérité.

    Les atouts de l'Evangile

    J'en viens à un dernier chapitre qui est celui des chances qui existent pour l'Eglise et les croyants : je ne vais pas m'arrêter aux textes de l'Eglise catholique touchant les médias : l'approche conceptuelle est saine et il n'y a pas de contentieux. En théorie tout va bien. En pratique, il y a trois derniers constats que je voudrais faire et qui ont la forme de vœux.

    Les armes de la lumière

    D'abord que l'Eglise, ici et à Rome, prenne la mesure de notre monde avec ses richesses et ses faiblesses. Qu'elle en reconnaisse la complexité sans avoir le cœur troublé. Et qu'elle sache aussi utiliser les armes de la lumière. Je le dis à travers deux exemples :

     

    • J'ai parlé de la com. qui est un métier, un art et un moyen d'action. Il est incompréhensible qu'aujourd'hui la Conférence des évêques suisses ne dispose que d'un poste d'attaché de presse pour 3 langues et 148 heures par semaine.
    • Incompréhensible que le pape n'ait à ses côtés que le P. Lombardi qu'il voit une fois par mois, sauf lorsqu'il tient le micro dans l'avion vers le Cameroun.

    Prendre les armes de la lumière, c'est, pour l'Eglise, se doter d'un minimum d'instruments de communication vis-à-vis desquels nous pourrons, nous comme journalistes catholiques, avoir le droit d'exercer notre métier de manière critique.

    Les armes de la lumière, c'est aussi admettre que la société, y compris en Eglise, est riche de grande diversité. Il est normal que des groupes de pression et d'expression fonctionnent : hier Lucerne, demain Einsiedeln. Et que les évêques soient présents sur tous les fronts qui représentent des sensibilités catholiques différentes. C'est leur ministère d'unité (cf. Mgr Werlen à Lucerne, ou Mgr Genoud soulignant le sens qu'il y a de " réagir plutôt que sortir ").

    Le jour où la pensée unique devrait prévaloir en Eglise, il faudrait demander que 3 des 4 Evangiles soient proscrits car il y a parfois quelques contradictions dans leurs récits, ainsi que le savaient déjà St Jérôme et St Augustin.

    Etre vrai

    Après avoir agit comme le monde le fait, il faut, comme dans l'Epitre à Diognète, savoir qu'on peut être dans le monde sans être de ce monde. L'Eglise est dans une situation formidable par rapport à toutes les autres institutions. Elle n'a jamais rien à perdre en étant vraie. Ce qu'elle doit dire lui vient du Seigneur Jésus, maître de vérité : qu'il s'agisse de réalisations magnifiques ou de drames ou de faiblesses (l'hommerie dont parle Mgr Genoud), le seul critère est celui de dire le plus vrai possible : non pas une vérité cartésienne ou de théorème, mais une vérité qu'on s'est appropriée. Le " wir begrüssen " pour saluer une décision romaine est à proscrire s'il donne à penser qu'il y un zeste de réserve ou de complaisance.

    Etre vrai en Eglise c'est un luxe que ne peuvent pas forcément se payer les autres institutions. La vérité qui rend libre, n'est pas un vain mot, même si la vérité passe par des subjectivités, des sincérités du moment. Par exemple, ces temps derniers on a vu des responsables au Vatican et dans les diocèses émettre des réserves ou des critiques sur des décisions ecclésiastiques, qu'il s'agisse de la levée des excommunications et ses conséquences pour 4 évêques du schisme d'Ecône, ou qu'il s'agisse du cas d'excommunications en lien avec l'avortement pratiqué sur une enfant du Brésil. Les évêques qui se sont exprimés sur ce dernier sujet n'étaient pas attendus sur la répétition du catéchisme de l'Eglise universelle mais sur leur capacité à la compassion.

    Paradoxe de l'échec

    Enfin, il y a un dernier point à souligner : si l'Eglise doit prendre les armes de la lumière, mais aussi avoir le courage du " parler vrai ", elle doit savoir qu'il est dans sa nature et sa vocation de ne pas se trouver mieux traitée que son Seigneur.

    Jésus est mort sur la croix. Je me suis toujours demandé ce qui serait arrivé s'il avait eu un service de relations publiques parfaitement performant. Il aurait évité la condamnation. Il n'aurait pu nous donner l'exemple du serviteur souffrant, souffrant à l'instar de tous les souffrants de ce monde, mais le sachant pour que les béatitudes puissent tout éclairer.

    Oui, il fallait qu'il en soit ainsi, que tout soit accompli, pour que le Seigneur emprunte un chemin qui soit une route de résurrection, même quand il y a, à titre individuel ou en solidarité ecclésiale, à éprouver l'incompréhension ou le mépris. Le serviteur n'a pas à prétendre être mieux servi que le maître. Au contraire, il doit avoir des doutes sur lui-même si chaque fois qu'il crie une parole sur les toits il est compris et suscite l'adhésion générale.

    C'est le cardinal Vingt-Trois, sauf erreur, qui disait ces temps derniers " S'il y a des catholiques qui estiment qu'ils ne peuvent pas vivre sans être aimés de tout le monde, [...] je leur prédis des jours difficiles.".

    Finalement...

    Par rapport à tout ce que je viens de dire sur la difficile recherche de la vérité et la modestie qu'il faut garder pour la proclamer urbi et orbi, je me situe encore en chemin, en recherche inquiète de la vérité, avec la crainte de mettre la main sur la vérité, de peur que je m'en serve pour affirmer un pouvoir ou pour effrayer ceux que le Seigneur est venu chercher. C'est dans cet esprit que je vis en Eglise, témoin depuis 30 ans de crises parfois lourdes, mais qui n'ont jamais mis en moi le moindre doute sur l'Eglise qui est ma famille et mon espérance.

                                                                                                                                             André Kolly

    Dans la partie discussion, il a été souligné notamment :
    l'importance des médiations artistiques dont l'Eglise est riche et qui sont un langage essentiel pour exprimer les vérités de la foi et pour qu'elles descendent dans le cœur,
    l'importance des " genres littéraires " : ce qu'on dit en étude biblique s'applique aussi pour notre lecture des médias.