Homélies de Noël - Temps de la Nativité

Messe de Minuit Noël 25 décembre 2023
C’est au cœur de la nuit que Dieu a choisi de nous rejoindre, Lui, Lumière née de la Lumière. Rien n’est fortuit dans ce que Dieu fait ou permet : car Il sait ce qu’il fait et Il nous le dit ou nous le fait comprendre. Plus la nuit est profonde, plus la lumière espérée est vive. C’est sans doute la plus puissante évocation de Noël, à laquelle presque personne n’est insensible, et bien au-delà des frontières de la foi explicite.

 « Aujourd’hui vous est né un Sauveur. » Pourquoi « sauveur », et sauveur de quoi ? Du mal et de la mort, qui sont les conséquences du mauvais choix d’Adam et Eve aux origines, et de tous nos mauvais choix à nous. Ça s’appelle en termes chrétiens : le péché, refus de Dieu et du mode d’emploi qu’Il nous donne avec le cadeau de la vie. Il s’agira donc dans cette œuvre de salut, comme on dit, de redresser et de réparer. Et comme nous en sommes incapables avec nos pauvres forces, affaiblis et impuissants, c’est Lui qui payera la facture à notre place : « Il a payé sur la croix le prix de la dette encourue par Adam », chante le diacre durant la nuit de Pâques ! Tout est déjà en germe dans le plan de Dieu : cet Enfant qui est promis à la mort comme tous les fils d’Adam vient pour nous rendre la vie, nous qui souffrons en notre chair de ce vertige de mort qui nous étreint durement à certaines heures. Sitôt né, il échappera à la mort programmée par la jalousie des puissants, parce que Dieu, dans sa sagesse et sa providence infinie, voulait qu’Il vive et aille jusqu’au bout de ce qu’Il avait à faire par amour de tous les hommes. Oh oui, Dieu sait ce qu’Il fait quand Il nous laisse encore quelque temps sur cette terre d’exil où nous souffrons souvent sans trop comprendre pourquoi. Car la souffrance Le touche toujours et Il en a fait le levier de l’amour vrai qui ne se paie jamais de mots. Aimer quand tout va bien et qu’on est comblé, que le retour est assuré, c’est facile. Combien ça devient plus authentique quand ça nous coûte quelque chose jusque dans notre chair ! Lui, Jésus, Il sera un exilé, un besogneux, qui n’aura pas une pierre où reposer sa tête, jusqu’à ce que le monde se débarrasse de Lui comme un gêneur. On ne peut à sa suite, combattre le mal par la seule justice et dans la vengeance, comme s’il fallait que chaque bêtise se paie jusqu’au dernier centime. La seule réponse de Dieu est dans le pardon et la miséricorde, à ses propres frais. Et cela seul brise l’enfermement dans la souffrance et dans la violence, dans une spirale de désespérance sans fin.

L’annonce des anges aux bergers, ce dialogue sublime entre le ciel et la terre, c’est le cœur du message chrétien, la première chose que Dieu dit à la terre en l’abordant. Ah, c’est qu’on l’attendait ce Sauveur, depuis longtemps, en Israël! Siècle après siècle, Dieu avait préparé cette incroyable descente du divin dans l’humain. Les signes n’avaient pas manqué, mais si peu avaient compris. Car Dieu peine toujours à se faire comprendre de l’homme, qui veut toucher, voir, sentir avant de croire. Mais là, les plus pauvres des pauvres, ces marginaux de bergers qui vivent avec leurs bêtes (ils savent que les bêtes sont parfois plus vivables que les hommes…), ils ne s’y sont pas trompés. Et Dieu non plus en leur adressant la priorité du message, comme avec la Vierge très pure à Nazareth. Désirons-nous comme eux être les interlocuteurs privilégiés de Dieu, mériter d’être aux premières loges quand il se manifeste ? Creusons notre cœur d’enfant, retrouvons-le sous les cendres de nos prétentions et de nos belles pensées : nous entendrons le chant des anges et nous nous hâterons vers Bethléem pour voir ce que le Seigneur a fait. Il continue de le faire en nous demandant de Lui prêter nos mains, notre sourire et notre cœur, car c’est ainsi qu’Il veut sauver le monde.

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Noël 2022 Messe de Minuit
Voici qu’en cette nuit, notre désir se pose à nouveau sur la crèche, attendrissant spectacle qui n’en finit pas de fasciner l’humanité. Car nous désirons toujours quelque chose, puisque nous sommes incomplets. Et cet Enfant est le « désiré des collines éternelles » selon la belle expression du prophète. Non pas seulement parce qu’un enfant, quel qu’il soit, touche toujours par sa fragilité, mais parce qu’Il est l’Enfant, comme Il sera le Fils de l’Homme par excellence. On ne se lasse pas de regarder la crèche. C’est pourquoi certains voudraient en priver l’espace public : ils savent très bien la puissance d’évocation qui est son secret. C’est pourtant quelque chose qu’on connaît archi par cœur depuis l’enfance. C’est inusable comme tout ce qui vient de Dieu, dont la jeunesse est éternelle. Alors, oui, ne nous privons pas de regarder et regarder encore, pour que les yeux conduisent au cœur, au cœur profond et vrai. En cette nuit, chacun de nos cœurs, même encombré et un peu sale, peut être une étable de Bethléem, où nous rejoignons le silence de St Joseph et la prière contemplative de Marie. La Messe que nous célébrons ne sera que la suite et la Réalité de cette extraordinaire décision de Dieu qui s’appelle l’Incarnation.

Car Il y pensait depuis toujours, à l’Incarnation. Quand l’Ecriture dit qu’Il est jaloux, quand on parle de sa colère, qu’Il se venge, ce n’est pas le contraire de l’amour, c’est l’amour même. Mais Dieu a une manière particulière et bouleversante de se venger. Pour comprendre cela, il faut remonter le temps et même avant le temps, avant la création. Avant les siècles, Dieu existait déjà : c’est le premier mystère, celui de la Trinité. Ils sont trois, unis dans la Divinité, à goûter un bonheur d’être qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Et Dieu prend la décision de créer le monde. Monde spirituel d’abord, avec des myriades d’anges qui L’entourent dans une louange éternelle. Mais comme Il les a voulus libres, il y a le premier refus de Lucifer et de ses révoltés. Ils n’ont pas voulu le bonheur que Dieu leur proposait, ils ont préféré faire le mal, loin de Dieu et sans Lui.

Alors, Dieu se venge en créant la terre et ses merveilles. Et au milieu de ce jardin, Il place l’homme et la femme à qui Il donne une âme immortelle, faite pour voir et aimer ce qu’Il est. Mais comme le démon est jaloux, il vient là, avec sa mauvaise volonté et il les détourne, eux aussi. Ainsi commence cette longue et pénible marche des siècles, avec son cortège de misères mais aussi de grandes lumières qui finissent par dessiner le chemin de la Révélation, inexplicable amour de Dieu pour ce peuple à la nuque raide. Il leur apprend à prier, Il leur donne la vérité d’une Loi, avec ses rois et ses prêtres. Mais ils désobéissent toujours ; les amis de Dieu, les prophètes et les saints ne sont pas écoutés. Alors, Dieu est pris par une sorte d’impatience : ça ne peut plus durer ! A tant de mal que vous avez accumulé pendant tant de siècles, je vais répondre en accumulant la grâce, la lumière et le pardon. Vous n’avez pas voulu de moi, de mon paradis, de mon décalogue qui était chemin et lumière, eh bien, je vous donne mes béatitudes, avec mon Fils et sa Mère. Et cette fois, je l’espère, vous comprendrez. J’irai jusqu’à Bethléem, au pas des brebis et des chameaux, jusqu’au Cénacle et au Golgotha, jusqu’à Pâques et à la Pentecôte : je ne pourrai pas aller plus loin, parce que tout ça débouche sur l’infini de mon amour !

 Alors, Dieu nous dit ce soir : revenez à Bethléem, juste un moment, juste le temps de prendre un peu l’odeur de l’étable, regardez et contemplez, laissez-vous toucher par cet Enfant et comprenez que tout l’amour de Dieu est là. Regardez ensuite ce Supplicié dont chaque goutte de sang a été versée pour vous, car à chaque Messe, c’est à nouveau Bethléem et Jérusalem. Alors, bien sûr, vous comprendrez que ça ne suffit pas de venir, ce soir, entre deux sauces comme les marmitons des Trois Messe basses de Daudet. Il ne faut pas qu’Il vienne ne vain, qu’Il se soit déplacé pour rien. Il faut que les hommes sachent enfin qu’Il est là, tout près, que Dieu n’est pas loin, qu’Il a toujours voulu les rejoindre. Ne cherchons pas des mots convaincants et des phrases raffinées : sa maison, c’est mon cœur. Il n’est peut-être pas beaucoup plus attrayant que l’étable de Bethléem, mais Il s’en contente, parce qu’Il le choisit. Pour Lui, le paradis, c’est là, c’est quand nous Lui ouvrons la porte. Le paradis, c’est quand on allume la joie dans les yeux d’un pauvre comme Lui. Nous faisons sa joie quand nous Lui disons : « Venez, Seigneur, donnez-Vous la peine d’entrer ! » Où que nous allions, y compris dans le mal et le péché, Dieu qui nous aime tant viendra nous chercher. Notre cœur est une étable où Il veut demeurer. Ne Le laissons pas dehors, ouvrons-Lui sans attendre.

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Noël 2021 Messe de Minuit
Et Verbum caro factum est. Ce que nous chantons dans le Credo chaque dimanche et fête a pour fondement l’événement de cette nuit. Cette immense descente du divin dans l’humain, comme aimait à dire le cardinal Journet, il nous est donné de le revivre chaque année en cette nuit. Car ce qui est arrivé une fois dans l’histoire n’en finit pas de résonner à travers le temps et de nous emmener vers notre vraie patrie, le ciel. Il y a deux moments où l’action de Dieu intervient directement dans le monde matériel : la naissance de Jésus à Bethléem de Judée et sa résurrection après sa mort au portes de Jérusalem. Par une disposition providentielle, ce sont les deux lieux absolument sûrs, selon les archéologues, qui sont vénérés en Terre Sainte comme les deux endroits de la naissance et de la mort du Fils de Dieu. Et c’est cela, précisément, qui est un scandale pour l’homme moderne : on veut bien que Dieu opère sur les idées, les conceptions, les opinions, puisqu’Il fait partie, dit-on, du monde de l’esprit ; et de fait, on peut dire sur Lui tout et son contraire. Mais qu’Il se mêle aussi de la matière, ça, c’est plus dérangeant. On peut Lui attribuer des idées déraisonnables, en opposition avec la création telle que nous la connaissons. Mais Dieu n’est pas absurde, même si son mystère nous dépasse toujours infiniment. Notre monde matériel fait partie de son être-Dieu : le pouvoir créateur de Dieu embrasse tout l’être et pourtant ne se confond pas avec lui.  Et c’est pourquoi ces deux points très concrets, l’enfantement virginal et la Résurrection, sont des pierres de touche pour la foi. S’Il n’a pas aussi pouvoir sur la matière, alors, Il n’est pas Dieu. Mais s’Il est Dieu, alors, par sa conception et sa résurrection, Il inaugure une nouvelle création. Par Marie, c’est un signal particulièrement lumineux qui nous est donné aujourd’hui. Il est aussi assez étonnant que le poète latin Virgile, environ 40 ans avant la naissance de Jésus, dans ses Bucoliques, parle du grand ordre d’un monde nouveau qui est annoncé comme « intègre ». Un enfant doit naître d’une vierge qui revient. On a vainement cherché des identifications historiques de cette annonce, mais ce qui est sûr, c’est qu’à l’époque d’Auguste, après des bouleversements dûs aux guerres et d’autres troubles sociaux, le monde était comme traversé par une onde d’espérance, dont faisait partie la figure de la vierge, image de pureté et d’intégrité, et le germe divin, comme image primordiale de l’espérance humaine, qui émergent dans des moments de crise. Mais Jésus n’apparaît pas dans l’imprécis d’un mythe : St Luc précise les points de repère historiques du recensement ordonné à cette époque par l’empereur de Rome. Et, à la crèche, ce n’est pas un tournant cosmique ou historique qui se manifeste, c’est une histoire très humble, mais si concrète qu’elle peut être celle d’innombrables parallèles dans le concret de l’histoire.  Et c’est ce qui fait sa grandeur bouleversante. Les rêves confus et secrets de l’humanité se donnent rendez-vous avec les bergers et les anges pour contempler ce Nouveau-né, nouveau commencement pour cette humanité fatiguée, sans cesse éprouvée, qui cherche son chemin dans la nuit. L’universel et le concret se touchent mutuellement. La foi est liée à cette réalité concrète, même si ensuite elle sera dilatée par Celui qui précède les siens en Galilée et jusqu’aux confins de la terre.

On dit souvent, au vu des événements que nous vivons depuis quelques années, que nous sommes à un tournant de civilisation. Ce qui inquiète beaucoup de gens, parce que les points de repère fiables jusqu’ici ne disent plus rien, et ce qui fait échafauder des plans sur la comète qui font rêver tout en provoquant des dégâts collatéraux pratiquement irréversibles. Comme l’empereur de l’époque, beaucoup se piquent de plans mondialistes, promettent un avenir radieux tragiquement contredit dans les faits. Pourrait-il exister une paix véritable fondée sur la violence, l’injustice et l’exploitation ? L’histoire se répète, mais il y a un qui transcende l’histoire tout en étant partie prenante de cette histoire : Il la modèle secrètement, par ceux qui acceptent d’être ses collaborateurs silencieux et paisibles, même au milieu des orages. Il sont faibles comme un Enfant nouveau-né, mais la puissance de Dieu est avec eux. Le chant des anges, l’admiration des bergers, la joie simple des enfants et des pauvres continue à être semée là où on ne l’attendait pas. Il n’y a pas un Noël depuis lors qui n’émeuve pas secrètement toute créature douée de la même humanité que cet Enfant et ne le pousse à être un peu meilleur pour le bien de tous. C’est cela qui fait la joie des anges et nous fait chanter avec eux dans la reconnaissance pour ce que Dieu fait en notre hiver, chaque jour.

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Noël 2020 Messe de Minuit
Depuis toujours, l’homme a pressenti qu’il y avait Quelqu’Un derrière le réel de ce monde. Le sentiment religieux l’accompagne depuis l’aube des temps, et il a fallu arriver à notre époque pour qu’on s’efforce de le gommer par tous les moyens. Pourtant il est indéracinable totalement ; il survit au fond des prisons, au seuil de la mort dans les hôpitaux confinés, dans les consciences troublées, dans des lieux et chez des gens où l’on ne s’attendrait pas à le trouver. Dieu est infiniment plus proche de nous que nous ne l’imaginons. Et finalement, toute la Bible ne nous dit que ça : Dieu est là, et nous l’oublions.

Mais si l’on sait que ce Dieu a tout fait par amour et qu’Il nous aime chacun d’un amour infini, cette proximité ne Lui suffit pas. Ce n’est pas suffisant, pour Lui, de se manifester à quelques privilégiés, au paradis terrestre, avant le déluge, au Sinaï ou à Babylone chez les déportés. Et c’est pourquoi nous fêtons cette nuit, où Dieu abat toute distance en s’offrant sous les traits d’un Enfant, pour être Emmanuel, Dieu-avec-nous. C’est là que le monde recommence à vivre, par-delà les drames des siècles, dans la fraîcheur d’une vie toute nouvelle. Mais un enfant, ça grandit, et pas toujours tout droit : « Que deviendra cet enfant ? » demandaient les gens qui s’émerveillaient de la naissance miraculeuse de son cousin Jean-Baptiste. Qui aurait pu imaginer le destin de ce petit Jésus, en ces lieux où dès sa naissance, la mort rôde, la pauvreté règne, et bientôt sa parole suscitera des haines qui ne désarmeront pas ? Trente-trois ans plus tard, nous contemplerons un autre visage, celui du supplicié qui dira : « Tout est accompli. » Ces deux visages sont le même, celui d’un Dieu miséricordieux qui vient toucher le cœur de l’homme. Mais que s’est-il passé entre les deux ? Comment la pureté radieuse de l’Enfant de la crèche est-elle devenue le résumé de toutes les douleurs, le résultat de la main de l’homme qui a défiguré Celui qui est venu nous transfigurer ? Oui, comment le Tout-Puissant a-t-Il permis cette toute-faiblesse qui aboutit au tombeau de toutes nos espérances ? C’est la même histoire tragique qui se poursuit de siècle en siècle, avec son cortège jamais tari de guerres, d’attentats, de mensonges et de profits éhontés. Pourtant on n’a jamais manqué de messies qui ont promis des avenirs radieux, un bonheur à bon marché, qui avaient la recette infaillible pour que tout marche droit, enfin, un nouvel ordre mondial qui garantisse une paix que rien ne pourra menacer désormais. Ceux-là se moquent de l’Enfant de la crèche, et ils croient, comme leurs prédécesseurs de l’époque, changer la face du monde en évacuant Dieu. Oui, dès le premier moment du premier péché, quelque chose est brisé et l’homme est radicalement incapable de surmonter le désastre. Le problème, ce n’est pas tant qu’il manque de sauveurs : il y en a toujours eu plein qui s’y croient ! Le problème, c’est le manque de place pour accueillir l’unique Sauveur. Cette nuit, Dieu s’est plié à ces circonstances secondaires qui auraient dû empêcher la réalisation de ce grand mystère de la proximité de Dieu, venu en personne nous visiter : le déplacement inutile de ce jeune couple sur le point d’enfanter, les portes des hôtelleries fermées l’une après l’autre, le froid et l’étable, la persécution d’Hérode. Aujourd’hui comme hier, le monde ne dispose pas les choses pour accueillir la naissance d’un enfant, favoriser la tranquillité de la mère et la protection du père. Il n’y a pas de place pour eux ! Ce monde qui n’est pas un lieu de paix, ne veut pas recevoir Celui qui apporte la paix. Sauf… sauf un peu plus loin, dans la solitude de la campagne, loin des hommes, auprès de bergers ignorés que se réjouissent de visiter les anges du ciel. C’est là, dans ces cœurs simples, qu’il trouve le lieu qu’Il espère pour être accueilli à bras ouverts en ce monde qui n’est donc pas si pourri que ça.

Nous n’avons qu’une emprise très limitée sur ce monde. Mais si nous voulons bien faire de nos cœurs une humble étable, il sera ravi de s’y installer. Et il y restera tant qu’on ne le chasse pas. Ce n’est pas le pittoresque et le champêtre d’une naissance dans une étable qui sauve. C’est l’accueil de l’Emmanuel qui ouvre la porte du ciel. C’est le plus grand bien que nous pouvons faire pour changer quelque chose. Car Dieu incognito, enfoui dans un cœur humain, reste quand même Dieu. Et ça finit toujours par se savoir.

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Noël 2019 Messe de Minuit

Il est toujours impressionnant de voir que Dieu se manifeste de préférence pendant la nuit : que de fois, les songes sont mentionnés dans l’Ecriture ; la naissance et la Résurrection de Jésus se passent à ce moment. Dieu est toujours discret, il entre par la porte de service -c’est le cas de la dire. Tellement que la plupart du temps, on ne Le remarque pas. Et on le Lui reproche, parce qu’on attend la fanfare, la croix et la bannière, pour qu’on ne puisse pas se tromper. Or, Dieu, Il n’est pas comme ça. Il n’aime pas la publicité, ça se remarque à chaque page de l’évangile.

L’amour ne s’impose pas, même en prétendant faire le bonheur de l’autre : il arrive timidement sur la pointe des pieds : « Veux-tu ?... » St Luc commence son récit de la naissance de Jésus par l’édit de l’empereur Auguste. La Palestine n’est qu’un pauvre petit pays occupé par la puissance impériale romaine, qui est à mille lieues de s’imaginer les complications qu’elle cause à ces pauvres gens. Personne n’avait apparemment prévu qu’une femme enceinte devrait faire ce trajet, en hiver, pour obéir à une loi stupide à but essentiellement militaire et financier.

Mais au plan de la foi, qui est celui de Dieu, ce qui se passe comme par hasard est en fait très providentiel : c’est à cause de cette volonté d’Auguste, qui lui-même n’est sait rien, que l’enfant naîtra selon les prophéties, au lieu désigné par elles. C’est aussi la première fois dans l’histoire que toute la terre est recensée : dans ce grand espace pacifié de l’empire romain, il existe désormais une communauté de droits, avec une langue universelle, le latin, qui permet à un ensemble culturel l’entente dans la pensée et l’action. C’est comme si les structures humaines avaient préparé le message universel de salut que le Messie vient apporter au monde : c’est bien la plénitude des temps, comme le chantent les textes de Noël. Mais le lien entre Jésus et Auguste est plus profond encore. Car Auguste ne se prenait pas pour la queue de la poire. Une épigraphe de l’an 9 avant JC dit comment il voulait être vu et compris : « La Providence qui dispose divinement de notre vie a comblé cet homme pour le salut des hommes, de ses dons pour l’envoyer à nous et aux générations futures comme sauveur…

A partir de sa naissance un nouveau calcul du temps doit commencer. » Il ne croyait pas si bien dire, sauf qu’il ne s’agissait pas de lui, mais d’un enfant pauvre né dans une étable, qu’il ne connaîtra jamais. Oui, Dieu se sert de tout quand il entre dans l’histoire. Quasiment exclus de la société le temps de leur voyage, Marie et Joseph trouvent cependant trois compagnies compatissantes à leur misère. Les animaux, d’abord, parfois plus gentils que les hommes. Les bergers, ensuite: ces gens simples, capables de préserver leur dignité et leur bon cœur, d’autant plus qu’ils sont ignorés des puissants. Enfin les anges : la simplicité des bergers ne s’étonne même pas de leur arrivée chantante : la nature qu’ils contemplent tous les jours garde leur cœur près du Créateur. Mais comme tous les gens pratiques, ils veulent vérifier par eux-mêmes ce qu’on leur dit, et les anges leur donnent un signe pour le faire : ce sera un enfant enveloppé de langes…

Un Enfant, ici, dans la campagne et dans la nuit ? Oui, allez, vous verrez ! Ce message se lit encore aujourd’hui : partout où il y a la vie, c’est le salut qui nous arrive. La vie physique -un enfant nouveau-né qui est une merveille toute neuve pour un monde qui sans cela mourrait, mais aussi la vie spirituelle, celle d’un cœur qui accueille Dieu et se convertit. Ça pourrait être aussi la vie nouvelle que nous accueillons à chacune de nos renaissances intérieures, ou encore ces signes de vie parfois imperceptibles au départ, quand des nations se relèvent après la guerre et l’oppression. Ce qui veut dire aussi que toute vie nouvelle est fragile et vulnérable, comme un nouveau-né.

Notre première tâche est donc toujours de préserver et développer la vie, sous toutes ses formes. Rien ne tue plus sûrement que le cynisme et le désespoir. Mais puisque Dieu a voulu se mêler de si près à la vie des hommes, avec Lui, rien n’est impossible : Il est, Lui, le Prince de la paix, ce qu’Auguste voulait être et n’a été que pour un temps. Jésus appartient à une époque précise et datable, à un endroit connu de la géographie. L’universel et le concret se touchent en Lui. La foi est liée à cette réalité concrète. Ensuite, par sa Résurrection, l’espace temporel et géographique sera dépassé. Il veut nous emmener là d’où Il vient. Comme dit St Irénée : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. » Aujourd’hui est le début de cette incroyable aventure.

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Noël 2018 C Messe de Minuit
« A tous ceux qui L’ont reçu, Il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu… »
Le mystère de l’Incarnation est assurément le cœur du christianisme, folie pour les juifs et scandale pour les païens : Dieu qui se fait si petit et si fragile qu’il paraît renoncer à ce qu’Il est (« Lui qui, de condition divine, n’a pas revendiqué d’être pareil à Dieu… » dit S. Paul), le Tout-Puissant qui devient le Tout-Faible, le Très-Haut qui devient le Très-Bas… Chaque génération de chrétiens se penche sur le mystère avec les préoccupations de son époque. La nôtre est en quête du visage du père, après avoir voulu le tuer et s’en affranchir. Pour le rendre sensible, en parlant de Dieu, de nombreux chercheurs de Dieu proclament donc son humilité. Pourtant, n’est-ce pas à la créature que devrait revenir en premier ce réalisme de l’humilité, puisqu’elle est radicalement néant devant la grandeur et la transcendance de Dieu ? Mais voilà bien, justement, la manière dont Dieu veut user pour nous rejoindre dans son Amour : à l’homme pourri d’orgueil, Il ne cesse d’offrir sa radicale humilité. Il faut peut-être toute une vie pour commencer à comprendre que dans l’ordre de l’amour, la richesse est pauvreté, la puissance est faiblesse. C’est parce qu’il est faible originellement que l’homme imagine Dieu comme une puissance écrasante et menaçante. C’est peut-être parce qu’il est parvenu aujourd’hui au faîte d’une puissance de mort inouïe, capable de détruire la planète, que l’homme récuse Dieu comme un concurrent. Mais l’humilité ne fait concurrence à rien. Dieu, c’est cette vulnérabilité d’un enfant dans une crèche et d’un jeune homme cloué sur une croix.

L’histoire nous confronte aujourd’hui aussi à un choix semblable. Le malaise de notre civilisation occidentale tient à l’effondrement des rêves qui ont jusqu’ici soutenu les sociétés. Rêve d’un temps imaginaire et idéal, pas encore advenu, mais qui viendra sûrement, une sorte de monde durable et bienheureux que la science et le progrès étaient censés assurer. Rêve de ceux qui, confisquant la religion au service de leurs intérêts, disaient aux pauvres réduits en esclavage : « On ne peut changer le monde, c’est la rançon du péché originel. Mais patientez : la mort viendra –vite, pour vous, en général- et vous entrerez dans le Royaume des cieux où vous serez les préférés de Dieu. Nous, on ne veut rien changer, ça nous dérangerait trop, mais vous serez consolés… plus tard. » C’est l’injustice foncière de cette situation qui a provoqué le rêve des autres… « Royaume de cieux » ainsi compris, ou société sans classes peuvent être renvoyés dos à dos comme d’ultimes alibis qui ont laissé le monde exsangue, dans un radical désespoir. Or, c’est précisément dans ce monde que le Christ vient aujourd’hui. Il nous rejoint là où nous ne voudrions pas aller nous-mêmes, même par amour. L’humanité moderne commence à ne plus être dupe de l’alibi des discours, et c’est peut-être une petite porte par laquelle Dieu pourra entrer. Elle se trouve confrontée à ce qu’on pourrait appeler le silence de Dieu, au milieu duquel Il naît : Dum medium silentium, comme nous chanterons demain…

En se faisant petit Enfant, le Sauveur Jésus nous demande de retrouver notre véritable origine, à laquelle nous avons tourné le dos, de retrouver son Père et notre Père que nous avons perdu. Il s’agit de bien plus, on s’en doute, qu’une douce émotion un peu mièvre, à la sortie d’un réveillon bien arrosé qui prédispose à la dérive émotionnelle –il n’en faut d’ailleurs pas tant pour ça, de nos jours… Il ne s’agit pas tant d’imiter un enfant dans ce qu’il peut avoir d’attendrissant et de mignon, une certaine image qu’on peut avoir de lui : le « petit Enfant Jésus ». Car l’enfance de Jésus n’est pas réductible à l’âge du berceau. C’est dans toutel’Incarnation qu’Il se montre Enfant. Dès le départ, Il est dans une sorte de confiance originelle qu’Il gardera toujours et fera de Lui, constamment, un enfant authentique, même à l’âge adulte. Son expérience d’Enfant est celle du Fils éternel du Père : Ante luciferum genitus…Ego hodie genui Te : engendré avant les siècles, et engendré aujourd’hui. Il se fait homme dans une totale disponibilité à accomplir le plan de salut voulu par le Père, par amour et don de soi. L’enfance mystique, sans laquelle on n’entre pas dans le Royaume des cieux aux dires de l’Evangile, ce n’est donc pas imiter plus ou moins bien un enfant, cela consiste à se laisser gagner par une Paternité préexistante, d’ordre spirituel, de laquelle nous nous recevons. Il s’agit de chercher, par le Christ qui est Dieu, qui est notre Père, notre origine éternelle. Voilà le vrai amour de soi, qui ne se base pas sur des acquis et des qualités extérieures, mais sur les fondements de notre être en Dieu, ce qui est à jamais inaliénable, car cela ne dépend pas de nos qualités et de nos efforts. Aujourd’hui, le Christ-Enfant inaugure une école de confiance et de dépendance filiale, réservée aux enfants de Dieu et à ceux qui aspirent à le devenir. Et c’est là la grande divergence d’avec l’enfance purement humaine : chez l’homme, l’enfant se dilue peu à peu, s’éloigne et s’affranchit du père pour être lui-même. Le père est même l’  « instance séparante » qui lui dit : « Ne sois pas moi, sois toi-même ! » Chez le Christ, la conscience du Père est le fondement de son être. C’est par le Christ que cette nouvelle naissance s’opère en nous. Avec Lui, je comprends que je serai moi, non par indépendance radicale et refus de communion avec le Père, mais au contraire parce que le Père seul me donne à moi-même. Là je découvre la vraie confiance en moi et la vraie liberté. L’enfant ne doute pas de lui, il a confiance du seul fait qu’il se sait enfant, parce qu’il ne se regarde pas, mais se reçoit du regard de son père.

Ecoutons l’Enfant qui nous demande en silence : « Ecoute-Moi, regarde-Moi, tiens-Moi dans tes bras, accueille-Moi, donne-Moi ton cœur et ta vie. » Alors, quelque chose changera dans le monde et Lui sera heureux de n’être pas venu pour rien.

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Noël 2017 B Messe de Minuit
Dans le récit de la Naissance de Jésus, le Fils de Dieu, il n’est pas d’être humain qui ne puisse y trouver quelque chose qui le touche : les simples aiment les bergers dans lesquels ils se reconnaissent ; les théologiens et les mystiques verront des échappées vertigineuses qui les plongent dans le mystère du Dieu ineffable ; les enfants reconnaissent leur petit frère à chouchouter ; les poètes se délecteront du merveilleux, et les historiens des mentions du contexte de l’époque. Et de fait, St Luc est celui qui a le plus la préoccupation de l’histoire, à laquelle Dieu s’intéresse, ça alors ! Il part du personnage de St Jean Baptiste, cousin de Jésus, qui était connu et admiré de ses lecteurs. Les parallèles qu’il trace entre les deux veulent introduire à la Révélation du Christ, le Messie attendu, Fils du Très-Haut et Sauveur de son peuple. D’où l’usage d’expressions qu’on ne retrouvera qu’à la fin de son évangile et au début des Actes des Apôtres : Aujourd’hui, Christ-Seigneur, Sauveur. Celui qui mourra pour ressusciter, glorieux et vainqueur de la mort, c’est Celui qui est né sur la terre, une certaine nuit d’hiver, comme un petit d’homme modeste et ignoré.

Notre évangile est présenté nettement en deux parties : l’Empereur et l’Enfant, puis les bergers et l’Enfant. On progresse par contrastes, et c’est déjà tout l’évangile : on part de l’empereur soi-disant maître de l’univers (il est nommé par son titre divin : César-Auguste ; le recensement concerne toute la terre : il agit comme Dieu, qui maîtrise tout) et on arrive à un Enfant pauvre, si démuni qu’Il n’a pas de place décente pour venir au monde. Tout l’évangile sera rempli de conflits entre les puissances totalitaires asservissantes et ce Dieu humble qui épouse au plus près la condition humaine pour en libérer les pauvres par d’autres voies que celle du monde. Cette naissance arrive au terme d’un long et pénible voyage, tellement à l’image de notre parcours de vie. Ici, nous sommes invités à penser davantage à l’aboutissement miraculeux qu’aux incidents de parcours : le miracle de ce Dieu-avec-nous compense bien toutes ces misères de la route !

Avec le deuxième partie, nous assistons à une annonciation. L’élan de la foi est donné, non par les événements extérieurs, par un agent humain et dominateur –l’empereur et son recensement- mais par Dieu et son ange. Et ce qui est annoncé est comme prouvé par un fait : ce signe, c’est l’Enfant dans une crèche, mais il est clair d’emblée qu’Il n’est pas un Enfant ordinaire. Un signe, c’est toujours un événement qui manifeste la présence agissante de Dieu. La débauche de lumières qui transforme la nuit l’entoure de manière irréfutable : c’est la gloire, qui désigne dans tout l’ancien Testament, la présence de Dieu. L’effet de cette révélation, ce n’est pas seulement l’émerveillement de ces cœurs simples, c’est une petite Personne qui est en réalité Dieu Lui-même. C’est le dessein de Dieu qui entre dans l’histoire par la petite porte, pour la mener à son terme. Marie est la véritable Fille de Sion qui met au monde son Enfant pour la joie de son peuple. Elle est l’exemplaire le plus parfait de la communauté des pauvres qui accueille le Messie. Malgré le mépris dont ils sont l’objet, c’est à eux d’abord que Dieu se montre, parce qu’ils sont ouverts à la révélation du Dieu Sauveur. Ils ne demandent pas de signe, mais Dieu le leur donne, gratuitement. Il est rare que les anges soient là en foule : d’habitude, dans l’évangile, ils ne viennent que seul ou à deux. Nous sommes là dans la liturgie céleste, et c’est le ciel sur la terre, cette naissance. C’est aussi l’annonce de la paix en ces temps troublés, la perfection du bonheur par le partage des biens divins. Ce qui fait que les bergers s’en retourneront en se joignant à cette louange parfaite et universelle, qui est bien plus que les prétentions initiales de l’Empereur. Nous sommes ici à l’opposé, aussi, du débordement de décors et de consommation en tout genre qui est tout ce qui reste de Noël en notre société sécularisée. L’essentiel de la crèche, c’est une intimité familiale, des échanges simples entre personnes modestes, et une joie à crier à toute l’humanité. Rien d’abstrait mais du concret tout simple imprégné de la présence de Dieu qui veut réjouir l’univers entier, dans quelque situation qu’il puisse être. Réjouissons-nous donc de la libération qui est offerte à notre vie : il suffit d’un cœur de pauvre pour l’accueillir, bonne nouvelle aux âmes de bonne volonté.

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Noël 2016 A Messe de Minuit
Voici donc le signe central de l’histoire des hommes ; il a quelque chose des autres dates qui marquent le temps dans l’histoire : l’avènement d’un règne, une grande victoire, le début d’une dynastie… Mais quand Dieu agit, c’est plus surprenent encore. La Providence de Dieu crée pour l’événement une constellation parfaite : ce signe, cette nuit, c’est un Enfant, et parmi les plus pauvres de la planète, obligé de naître dans une étable au milieu des animaux, les hommes n’ayant pas voulu de Lui : Il est venu chez les siens et les siens ne L’ont pas reçu. Il y a là, pourtant, tout un émerveillement, une gentillesse, une bienveillance qui sont une formidable espérance : oui, cela est toujours possible, même dans des circonstances contraires, tragiques, qui semblent exclure ce que l’on appelle communément le bonheur : par Joseph, le Messie descend de David, et il doit même venir au monde dans sa ville d’origine, par le truchement fortuit d’un recensement : Rome pouvait-elle savoir qu’elle contribuait mystérieusement à sa chute et à son relèvement dans la foi chrétienne ? Il doit naître comme un Enfant, car ainsi le veut la prophétie, et dans cette petitesse, la splendeur de Dieu se manifeste. Le chant des anges exprime un lien parfait entre la gloire la plus merveilleuse d’En-Haut et l’extrême pauvreté d’en-bas, car rien n’est impossible à Dieu. De même, c’est dans l’obscurité de la nuit, image de ce monde plongé dans le péché depuis la faute d’Adam, que resplendit une paix et une justice qui ne peuvent en effet survenir que du ciel, tant les hommes sont incapables de les produire et de les assurer. L’alliance que Dieu avait voulue est maintenant établie pour toujours. Le nouveau souverain est en même temps Dieu fort et Prince de la paix, et Jésus expliquera deux choses à ce propos : que c’est une vraie paix qu’Il apporte, non un compromis, une trêve, une paix des cimetières, et qu’Il doit pour cela se servir du glaive de la vérité qui seule rend les hommes libres de toute domination, intérieure et extérieure. Le sommet de cette libération, c’est l’abolition de la mort dans la Résurrection, et cette vie nouvelle est offerte à tous les hommes de bonne volonté. Le Messie n’est pas envoyé aux fils d’Israël seulement, mais à tous ceux qui veulement bien Le reconnaître et L’accueillir. Ici se profile déjà la croix. Les Pères des premiers siècles le disaient déjà : « Il a été fait homme pour pouvoir mourir. » Pouvons-nous seulement entrevoir de loin cet abaissement inimaginable de Dieu dans l’Incarnation, et plus encore dans l’anéantissement de la Croix ? Nous souvenons-nous assez que l’amour a été jusque là ? Tout cela, la Vierge très sainte l’avait intimement préparé dès le premier instant de sa vie. Elle aussi a renoncé à tout par amour de Celui qui devait venir par Elle. Elle ne se croyait pas digne des prévenances de Dieu, mais Elle accueille pleinement son projet, à rebours des procédés humains. Elle n’a même pas revendiqué d’être fille d’abraham, digne des promesses. Son humilité a fermé la porte à toute prétention, tout désir même légitime, comme Jésus ne vient pas à l’humanité à travers des privilèges naturels, même d’ordre religieux : Elle ne veut être que la servante du Seigneur, comme Lui sera le Serviteur souffrant, Celui qui lave les pieds des disciples. Oui, comme dit l’apôtre, Dieu a bien choisi ce qu’il y a de faible et d’insignifiant dans le monde pour confondre les puissants et les sages. Et cette humilité nous confond et nous juge, nous émeut et nous touche, nous qui sommes si souvent revendicateurs de notre dignité ! On attendait un roi puissant et c’est un Enfant qui sourit qui nous arrive. On craignait un juge, et c’est un avocat qui nous est envoyé. Dieu est décidément toujours meilleur qu’on croit. Mais il ne faudrait jamais être surpris par ses manières déroutantes. Oui, vraiment, cette nuit comme le jour illumine ! Que cette joie rejoigne en ce moment tous ceux qui ne voient pas la fin de leur nuit, qu’elle fasse taire le vacarme des bombes, qu’elle rapproche les ennemis, qu’elle redonne confiance aux désespérés, et qu’au milieu de toute douleur brille la lumière qui vient d’En-Haut. Alors, nous saurons qu’Il n’est pas venu en vain, même s’il y a encore tant à faire pour qu’Il soit accueilli comme Il le mérite. Avec Marie, gardons fidèlement au coeur tout ce qui nous est dit aujourd’hui, et cette joie, nul ne pourra nous l’enlever.

Jour de Noël 25 décembre 2023
Nous contemplons ce matin l’Enfant qui nous a été donné : Il dort, souriant, dans la crèche, tout le monde est attendri. Ça s’est bien passé, finalement, malgré le froid, les portes fermées, la fatigue du jour, la marche avec une maman enceinte sur le point d’accoucher. Heureusement qu’il y avait des bergers dans les parages, alertés par les anges : Dieu nous ménage toujours quelques appuis, même dans les pires situations. Est-Il tiré d’affaire, ce petit tout fragile qui a l’air de ne pas s’en faire ? De sombres nuages, que Lui seul connaît parce qu’Il est Dieu, mais dont il n’est pas encore conscient dans le concret de son humanité, planent déjà sur sa vie. Mais comme tous les enfants, Il est confiant et ne s’occupe pas de Lui-même. Ce qui donne déjà à sa vie future une orientation qu’Il ne démentira jamais, et qui est aux antipodes des réflexes de l’humanité blessée qu’Il vient sauver. Car nous avons surtout besoin d’être sauvés de nous-mêmes et de cet enfermement qui gangrène toutes nos relations, y compris nos relations avec Dieu. Je vous fais une confidence : il y a une phrase que je n’aime pas entendre et qu’on dit souvent, sans y penser, comme beaucoup d’autres, signe que justement, nous sommes si enfermés en nous-mêmes que le sort du prochain nous importe assez peu. Cette phrase c’est : « Prenez bien soin de vous ». Elle nous vient tout droit des Etats-Unis, qui ont généralement une longueur d’avance sur l’Europe, rarement pour le bien. Je vois bien, évidemment, qu’elle est, dans l’intention, dite avec amitié, ne sachant au fond quoi dire de mieux en quittant quelqu’un. Mais si on y réfléchit, ça pourrait aussi dire : « Chacun pour soi, débrouille-toi, j’ai assez à faire avec moi, je ne peux pas en plus m’occuper de toi. Je te renvoie donc à ta solitude, et c’est pas mon problème », selon cette autre phrase qui bétonne dans l’indifférence et que l’on entend aussi souvent. Il me revient en mémoire la vie d’un petit curé de la Creuse, ce département crotté de France parmi les plus déchristianisés. Il s’est usé tout entier au service de ces pauvres paysans oubliés de la prospérité, et il est mort en rentrant d’avoir été porter à pied, dans une ferme éloignée, les derniers sacrements à un mourant. Ses dernières paroles furent : « Soyez bons, soyez bons… » Quand on lui disait : « Prenez soin de vous », il répondait avec un grand sourire : « Ecoutez, je prends soin des affaires du Bon Dieu, alors, c’est Lui qui prend soin des miennes, je refuse de m’occuper de moi-même, j’ai mieux à faire. »

Imagine-t-on Jésus prendre d’abord soin de Lui-même ? Peut-on penser que sa sainte Mère se prend le pouls tous les matins pour savoir si elle peut préparer le petit-déjeuner ? Que Saint Joseph prend prétexte de ses fragilités en les faisant porter à ses proches ?

Regardons- Le, cet Enfant. Avant de savoir parler, Il sourit à chaque visiteur. Il se laisse faire, accepte toutes les privations sans se plaindre, réjouit le cœur de ses parents par sa docilité et sa confiance. Il grandira dans l’atelier de Nazareth en rendant tous les petits services qu’Il peut jusqu’à devenir un artisan chevronné. Et ensuite, Il accueillera chacun comme s’il n’y avait que lui sur la terre, n’ayant pas une pierre où reposer la tête, jusqu’à ce que le monde le cloue sur une croix. Et là, Il pardonnera, Il encouragera, Il promettra le paradis au Bon Larron.

Il a épousé dès le départ toutes nos fragilités, surtout celles que nous ne nous avouons pas à nous-mêmes. Si nous ne les joignons pas aux siennes, en les déposant en esprit au pied de sa crèche et de sa croix, elles risquent de nous rendre cruels envers les autres, parce que nous resterons concentrés sur notre petite personne en prenant le monde entier à témoin de l’injustice qu’il nous fait subir. La contemplation du mystère de la foi, de l’Incarnation du Verbe, est essentielle à notre vie sur la terre : c’est tout le message de l’évangile. C’est la formidable espérance qui nous décentre de nous-mêmes ; sinon cette autre « contemplation » de notre petit moi devient toxique et mortifère, le contraire de l’espérance qui nous dit que nos limites ne sont pas si tragiques que ça et que Dieu sait en faire façon si nous les Lui donnons. Il les mettra avec ses limites et ses souffrances d’homme, acceptées pour nous par amour, pour que le monde soit sauvé aujourd’hui. Croyons-nous à la force des gestes et des paroles ? Ou sommes-nous devenus si grossiers matérialistes que nous ne croyons plus qu’à la force des poings et à l’impuissance de la dimension spirituelle de notre être ?

Emmanuel, Dieu-avec-nous, apprends-nous à nous occuper d’abord de Toi et de ces petits qui sont tes frères et les nôtres, à offrir et à souffrir avec toi et pour eux. Nous irons beaucoup mieux si nous avons cette audace. Et soyons ingénieux pour trouver mieux à dire que « Prends bien soin de toi ! »

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2022 Noël Messe du Jour
« Maintenant, nous connaissons en Lui -Jésus, le Christ- Dieu qui s’est rendu visible à nos yeux, et nous sommes entraînés par Lui à aimer ce qui demeure invisible. » C’est une lettre de St Léon le Grand, que la liturgie a choisi pour en faire la préface de Noël, qui résume ainsi le mystère de l’Incarnation. Dieu invisible, inconnaissable, rendu visible : la contradiction dans les termes, comme ces expressions qu’on appelle oxymores, qui mettent ensemble deux réalités contradictoires (« un silence assourdissant »). C’est bien effet ce plus grand mystère qui est le cœur de la foi chrétienne. Toutes les religions tentent de se rapprocher de Dieu. Notre Dieu à nous, Il s’est approché de nous. C’est un mystère de lumière douce et profonde, dont la source et la raison ne peut être que cette donnée fondamentale de la vie humaine et qui s’appelle l’amour. Car l’amour, c’est ce qui nous porte vers l’autre et cherche son intimité. Voici 2000 ans que l’intelligence humaine contemple ce mystère, s’en émeut, désire comprendre en restant sur la rive, tant il est immense et impénétrable en son fond.

Du côté de Dieu, c’est un bonheur infini et parfait qui est à l’origine de cette aventure. De notre côté, c’est le malheur de la condition humaine blessée qui fait de nous des pèlerins en quête d’absolu. Engloutis dans le matériel et le sensible, les hommes sont toujours attirés, paradoxalement, par ce qui est la partie la plus haute de leur être qui est spirituel aussi. Aujourd’hui, plus que jamais, le matérialisme épais et meurtrier a fait en un siècle plus de victimes qu’en tous les autres réunis. Dans son malheur, l’homme cherche autre chose, ne pouvant se résoudre à croire que cet autre chose n’existe pas. Mais souvent il cherche mal, c’est-à-dire son propre profit, il ne cherche que lui-même. Le penseur brésilien contemporain Paulo Coelho repère trois utopies dans lesquelles il se fourvoie : la première est semblable au marxisme, qui prétend tout changer, mais dans la tête seulement, en remplaçant les structures mentales par d’autres structures mentales. Mais il y a belle lurette que le mur de Berlin s’est vendu par petits bouts, ce qui est le comble du capitalisme ! Dans la réalité, les belles idées trop idéales coincent souvent…La deuxième est la conception freudienne de l’homme qui soumet la guérison de l’âme à la connaissance de son propre passé, surtout inconscient ; on commence à s’apercevoir que ça ne mène qu’à un enfermement désespérant. La 3ème, dit-il, pourrait s’appeler conservatisme : trouver une solution à tout sans rien changer, ou juste ce qu’il faut pour que tout reste pareil. En somme, une paresse qui devient un système. Mais la vie pousse au renouvellement constant, elle ne se maintient que dans une nouveauté qui rebondit sans cesse. Nous sommes à une croisée de chemins, où les sentiers déjà connus, éprouvés et sûrs semblent ne conduisent nulle part, et de l’autre, la peur de l’inconnu : que devient notre monde ?    Face à cette peur, voici que nous vient un Enfant. Et Il nous dit en silence -parce qu’Il ne parle pas encore : Il ne vient pas avec des idées à imposer à une réalité récalcitrante, Il vient en chair et en os pour nous réapprendre le mode d’emploi perdu, faire vibrer ensemble le corps et l’esprit, retisser l’unité de notre être et de cet être avec le mystère de l’univers, la joie du don et de l’amour désintéressé, tout ce pourquoi nous sommes faits et que nous oublions. Peu importe, au fond, ce que nous avons vécu jusque-là : nous ne sommes jamais emprisonnés dans le mal que nous avons subi ou celui que nous avons pu commettre. Avec sa grâce, Il nous apprend à être moins tiraillés entre des désirs inaccessibles et des envies tyranniques et immédiates. Et ça, c’est un changement qui dure toute la vie, qui nous renouvelle à chaque pas. Profondément, c’est cela l’Incarnation : une harmonie à la fois céleste et terrestre. Il vient d’En-Haut pour régler et mesurer le sensible par le rythme souverain de l’âme et de l’esprit, comme la mer calme est soulevée par l’influence des astres. Connaître Dieu sous la forme qui Le rend semblable à nous, c’est le commencement de l’éducation du sensible par le spirituel. C’est un mystère d’assimilation : Dieu achève l’unité de notre être, en douceur, de la manière qu’Il veut et dans la mesure où nous le voulons bien. C’est pour cela qu’Il est venu de si loin et qu’il est désormais si près de nous. Mais Il est si discret qu’Il est souvent là où nous ne L’attendons pas : l’idée que nous nous faisons de Lui nous empêche de Le reconnaître. Que l’Enfant de la crèche nous enseigne cet émerveillement qui nous fait accueillir la perpétuelle nouveauté de Dieu, qu’Il fasse de nous des enfants à qui seuls le Royaume est promis et donné.

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Noël 2021 Messe du Jour
Nous voici réunis en ce Saint Jour, dans cette étable avec le Nouveau-né, sa Mère et notre Mère, St Joseph que nous honorons particulièrement cette année, l’âne et le bœuf auxquels nous ressemblons aussi pas mal. Le récit de ces événements a traversé les siècles, fidèlement transmis par Celle qui raconta à St Luc en détail ce qu’Elle avait vécu en cette nuit unique de l’histoire des hommes. Et pourtant quoi de plus banal qu’une naissance, semblerait-il ? Depuis Adam et Eve, l’amour d’un homme et d’une femme engendre la vie, une vie nouvelle à chaque fois, une vie unique appelée à s’éteindre un jour, mais pour entrer dans une éternité de bonheur que Dieu veut partager avec chacun d’entre nous. Le contraste est saisissant entre la douceur de cette naissance, qui est arrivée pourtant dans le froid d’une nuit d’hiver, au sein d’une famille si pauvre que cette maman a dû accoucher au milieu des animaux - il est vrai que parfois les animaux sont plus gentils que les humains ! - et les tourments de la pensée et de l’action des hommes. Un pays occupé, un recensement pour resserrer le rôle de l’impôt et recruter des soldats, des religions à bout de souffle, la violence partout et une cruauté qui semble n’avoir pas de limites. C’est là que naît ce petit Bébé, d’une Maman que rien apparemment ne distingue des autres. Là, tout est bio, naturel, simple comme le jaillissement de la vie là où on ne l’attend pas toujours. Oui, quoi de plus banal, mais en même temps quoi de plus unique que cette naissance : cet Enfant est Dieu en personne, conçu de l’Esprit-Saint, né d’une Vierge pure, naissance miraculeuse qui montre que Dieu fait les choses comme Il veut, sans être lié par aucune loi, pas même celles qu’Il a Lui-même établi pour la marche de la création. Personne n’en aurait rien su, s’Il n’avait usé de médias d’un genre un peu particulier qui ont alerté en premier ces bergers somnolents près de leurs troupeaux. Le chœur des anges s’est déplacé jusque chez nous, avec son orchestre symphonique, car en Dieu, tout se chante. Mais ne l’entend que celui qui aime la musique du ciel : c’est le premier message des anges, qui vivent dans la proximité constante de Dieu et mesurent sa gloire de beaucoup plus près que nous. Oui, Dieu est grand qui se fait si petit ! Et puis, la seconde partie de leur message s’adresse aux hommes : c’est aussi le rôle des anges d’être les messagers de Dieu : « Paix sur terre aux hommes de bonne volonté ! » On sent un peu l’embarras des traducteurs pour rendre exactement cette expression : les hommes qu’Il aime, les hommes de sa grâce… Mais cela signifierait-il qu’il y en a qu’Il n’aime pas, ou qui ne sont pas dans sa grâce ? La traduction littérale de l’original grec donne : les hommes de sa bienveillance, expression qui sera reprise dans la bouche du Père au baptême de Jésus : « Tu es mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma bienveillance. » Jésus est totalement tourné vers le Père, Il est en communion avec Lui. Les hommes de la bienveillance sont donc ceux qui ont l’attitude du Fils. Ce qui est en jeu ici, c’est la question de la relation entre la grâce de Dieu toujours offerte à tous, et la liberté humaine qui fait que certains l’acceptent et d’autres la refusent : « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. » Lors d’une naissance, un nouveau-né est accueilli avec joie dans sa famille. A Noël, c’est Dieu qui accueille l’homme dans sa paix, qui nous accueille dans sa famille. La terre, c’est chez Lui, c’est Lui qui l’a faite. L’ordre admirable de la création, c’est son œuvre à Lui, et elle n’est pas achevée. Si nous accueillons l’enfant de la crèche, Il nous accueillera et nous donnera de devenirs enfants comme Lui, enfants de Dieu, ce qui est signifié et réalisé dans le baptême. Car nous recevons la vie et la mort en ce monde indépendamment de tout consentement lucide, et on peut les vivre sans rien en comprendre ; le baptême, c’est ce qui revêt cette même réalité d’une signification secrète révélée par le mystère du Christ, né, mort et ressuscité par amour pour nous. C’est la bienveillance de Dieu qui se répand comme une douce lumière depuis la crèche. Les bergers ont été en tête de ce pèlerinage de toute l’humanité, invitée à quitter les ténèbres de ses misères pour se laisser envahir par la vraie Lumière. Bientôt suivront les mages, et tant d’autres se joindront à eux, dans un pèlerinage qui ne cessera plus désormais. Les évangiles ne sont que le récit de cette marche des hommes vers le Christ, qui est la vraie Lumière venant en ce monde. Le centre de la crèche, ce sont ces deux bras qui se tendent vers nous, en nous demandant de L’entourer, de nous laisser attirer dans sa paix et son amour. Alors Noël renaîtra sans cesse et notre monde s’en trouvera réchauffé et renouvelé.

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Messe du Jour de Noël 2020
Le début et la fin de l’Ecriture Sainte nous tracent un chemin, ou plutôt deux chemins qui se croisent à Bethléem. Chemin de Dieu et chemin de l’homme. Bien des événements ont précédé cette nuit de la naissance du Fils de Dieu en ce monde, et beaucoup d’autres ont suivi depuis. L’épître aux Hébreux et l’évangile de St Jean marquent tous deux un commencement, pour ainsi dire absolu, et ce n’est sûrement pas anodin. L’histoire du monde créé se double de celle du monde surnaturel qui la sous-tend. Le poème magnifique des origines s’achève dans les gloires de l’éternité. Tout commence par l’union symbolique d’Adam et d’Eve et finit par la Jérusalem céleste, « comme une fiancée parée pour son Epoux. » Entre ces deux unions s’en place une autre dans ce temps qui est le nôtre : l’Incarnation, les noces du Verbe avec l’humanité. Cette rencontre de l’Infini avec l’infime est quelque chose de prodigieux : Dieu seul pouvait le concevoir et en avoir l’initiative, Lui qui se penche sur sa créature pour l’élever jusqu’à Lui !

La liturgie dont le rôle essentiel est de nous inviter à l’émerveillement l’appelle du beau nom de novitas natalis : cette naissance est une nouveauté inouïe, l’œuvre de Dieu est totalement inattendue, jamais imaginée même par des croyants avant qu’elle n’arrive. Comment se fait-il qu’Il n’ait pas été mieux accueilli ? D’autant plus qu’Il avait été annoncé de multiples manières, nous rappelle l’épître aux Hébreux. Portes fermées, menaces, massacres inutiles : oui, comment tout cela est-il possible avec une pauvre femme sur le point d’accoucher ? Car nous ne pourrions oublier, même dans la douceur de ce moment et l’émotion insurpassable des Noëls familiaux, que l’événement qui est en est l’origine fut quelque chose de de révoltant, quelque chose que vivent encore aujourd’hui tant de réfugiés, de pauvres gens malmenés par la guerre, des populations déracinées, tout un pauvre monde pour lequel il n’y a pas de place au royaume des privilégiés. Il n’est au fond pas étonnant que Celui qui est venu pour les pauvres en priorité soit traité autrement qu’eux. St Jean le dit aussi : « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. » Combien de fois, depuis lors, Il a subi pareilles avanies ? Un commentateur médiéval nous secoue en disant : « Le Christ serait-Il né mille fois à Bethléem, s’Il ne naît pas dans ton cœur, tu demeures perdu pour l’éternité. » Le but de sa venue, de ce voyage si incommode, c’est de nous permettre de retourner à Dieu en L’accueillant. Lui qui a tout créé, Lui qui nous a tout donné, Il attend de nous quelque chose qui a motivé sa venue en personne. Il a fait la plus grande partie du chemin, mais il a fallu que Marie et Joseph se déplacent, que les anges descendent des cieux, que les bergers arrivent jusqu’à la crèche, attirés par la lumière et les chants. On ne rencontre pas Dieu sans se bouger un peu, et Il nous demande ce petit bout de chemin, cet effort à notre portée sans lequel la rencontre ne peut avoir lieu. Il serait dommage, infiniment, que Noël ne soit pour nous qu’une petite borne du temps, qui nous ramène chaque année un peu de douce et vague émotion dans ce monde de brutes. Non, Noël est toujours nouveau, parce que Jésus a besoin de naître, Lui l’Unique engendré du Père éternel, naître à nouveau dans des cœurs qu’il fait nouveaux, comme dans les familles et les communautés.

En ce matin de Noël, dans ce monde à l’arrêt à cause de l’épreuve que nous traversons depuis bientôt un an, un grand pèlerinage commence. Peut-être que ce silence que nous n’aurions pas spontanément choisi, peut, si nous le voulons, nous rendre plus à l’écoute de l’intériorité, moins happés par les lumières et les flons-flons des autres années. Nous pouvons en tous cas le prendre comme une chance et une grâce. Ce pèlerinage est celui de tous les hommes de tous les temps vers le Sauveur qui ne cesse jamais de venir à leur rencontre : il faut que ça se sache et ça dépend de nous, pour la part qui nous incombe. Les bergers et les mages nous y ont précédé, mais aussi les Marie-Madeleine, Zachée, Pierre et Matthieu, les innombrables pauvres de cœur qui jalonnent la marche de l’Eglise qui reste sainte à cause d’eux, eux qui ont tout lâché pour répondre à l’appel qui leur était fait. Suivons-les, marchons avec joie et courage, semons de la lumière au passage.

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Noël 2019 Messe du Jour
Pourquoi donc Noël est-il tellement lié au mystère de la pauvreté ? Pourquoi Dieu a-t-Il voulu ça pour son Fils unique, puisqu’il avait tous les moyens de le faire entrer dans l’histoire plus en douceur ? Pas d’abord pour nous émouvoir à bon marché, on s’en doute. Pas non plus pour nous culpabiliser, nous les nantis qui ne manquons de rien -c’est vrai que c’est agaçant, à la fin, ces appels du pied incessants : c’est tout de même pas notre faute si on n’est pas pauvres ! Non, là non plus, Dieu, Il est pas comme ça : Il aime même les riches… surtout ceux qui ont un cœur de pauvre. Et ça existe ! Mais alors, oui, pourquoi Il a voulu être pauvre, Lui ? En fait, c’est souvent ce qu’on Lui reproche, plus ou moins clairement.

On ne voit pas Dieu, surtout la nuit, Il est invisible : dès lors, est-Il vraiment là quand on Le prie ou n’est-Il que le fruit de notre imagination ? Question éternelle, au fond, qui nous renvoie à une donnée fondamentale de notre psychologie : en fait, il y a de nombreux êtres invisibles parmi nous, pas seulement les anges, mais ceux qu’on ne veut pas voir, qu’on n’écoute pas, qui n’ont pas de place dans l’espace public, qui n’ont rien à dire dans les décisions des puissants. Ils sont… transparents, on passe à côté comme s’ils n’existaient pas : c’est ça, les pauvres. Eh bien, Dieu est exactement comme ça.

Quand nous vivons notre vie sans penser à Lui, Il est là, transparent, comme le pauvre à la porte. Il y a donc une certaine connaturalité entre Lui et les pauvres de la terre, qui, en général, comme les bergers, ne s’y trompent pas : cet Enfant-là, Il est notre frère, on a pas peur d’aller Le trouver. Il est dans la même situation que tous ceux qui disparaissent du champ de vision de ceux qui ne cherchent que le profit, le pouvoir, l’influence sociale. On le voit bien aujourd’hui : c’est précisément dans nos pays riches que Dieu est exclu de l’espace public, jusqu’à interdire de mettre une crèche ailleurs qu’au fond des maisons. Rien de changé depuis Bethléem : pas de place pour Lui à l’hôtellerie. Il est venu chez les siens et les siens ne L’ont pas reçu. Mais heureusement que la phrase suivante, dans le prologue de St Jean, dit que les choses ne se passent pas toujours forcément comme ça. Dans les pires situations, on trouve toujours quelqu’un, quelques-uns qui ont bon cœur, qui sont généreux autant qu’ils peuvent, déploient des trésors d’ingéniosité pour venir en aide à qui se trouve en situation difficile. Même les anges se précipitent en fanfare pour voir ça et applaudir, et les rois ne sont pas loin d’arriver, eux aussi, pour ne pas être en reste : pour eux, Dieu est sans doute invisible, mais pas les astres qui parlent de Lui.

Quand on Le fréquente, peu à peu, la relation avec Lui façonne une certaine façon d’être au monde, de voir ce qu’on ne voyait pas auparavant. Et l’inverse peut être vrai aussi : ceux qui se donnent de la peine pour garder les yeux ouverts, voir le réel problématique, et pour y apporter remède et allègement, il arrive qu’ils perçoivent l’action et la présence de Dieu. Même s’Il peut librement se manifester directement à certains, le mode le plus ordinaire de sa présence en ce monde est de l’ordre de l’amour qui est attention à l’autre, délicatesse et respect, service humble et concret. Tous ceux qui ont porté secours à tous les accablés et aux démunis de toute espèce savent qu’ils ont pu voir le Christ dans les plus petits qui sont ses frères.

Chaque fois que retentit le chant des anges, un peu de vie nouvelle apparaît, c’est le signe que le Sauveur est toujours là, même quand on ne le voyait pas et que le salut est présent. Car c’est parce que nous sommes souvent très pauvres qu’Il est venu, qu’Il vient aujourd’hui et qu’Il reviendra. Parle-t-on à un Invisible quand on prie ? Oui, à un Invisible qui se démultiplie dans le visible. C’est ainsi que Dieu se rend visible à nos yeux, comme le chante la préface de Noël. Le cœur de la foi chrétienne, c’est cette épaisseur de la chair transfigurée : la charité, ce n’est pas aimer les autres parce qu’ils sont forcément aimables : c’est aller à leur rencontre parce qu’ils ont été créés comme moi à l’image et à la ressemblance de cet Enfant qui est le Fils du Père éternel.

Cette dignité-là, aucun être humain ne la perd, même si elle peut être recouverte de pas mal de couches de crasse. Que la foi nous fasse voir en chacun l’icône du Christ, et Il donnera la paix à ce monde en douleur d’enfantement.

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Noël 2018 Messe du jour
Le point central de l’admirable prologue de St Jean, comme le point le plus bas de cette parabole –au sens géométrique du terme- qui commence au sein du mystère de Dieu et retourne en Lui, c’est cette inimaginable descente du Verbe dans le monde : « Et le Verbe s’est fait chair… » Après 2000 ans, nous ne pouvons encore prendre vraiment la mesure de cet événement, qui concerne le monde entier et tous les hommes, même s’ils ne le savent pas encore. Mais quand on dit tous les hommes, ça veut dire aussi chaque homme dans la singularité de son chemin vers Dieu, qui est désigné par ce mot étrange à nos oreilles modernes : le mot chair. On ne saurait trouver une réalité vivante plus éloignée de Dieu, surtout depuis le refus du péché. Chez St Paul, par exemple, le mot désigne la condition terrestre de l’homme blessé, tout ce qui le ramène à la terre et l’empêche de prendre son envol vers les hauteurs de Dieu qui est pur esprit. Il fait durement sentir à cet être qui n’est ni ange ni bête la contradiction interne qui l’habite, pour le meilleur et pour le pire. Que Dieu soit venu précisément dans cette condition-là veut dire quelque chose de très profond qui est le sommet de la rédemption. Il veut sauver tout l’homme et l’univers par lui, et ça commence au plus profond du cœur de chacun. Il veut que nous soyons soulevés jusqu’à l’amour des choses invisibles dont parle la préface de Noël.

Dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme, se réalise l’Incarnation, union du monde de la matière et du monde de l’esprit, qui n’est pas un paradoxe mais une harmonie, une concordance, une sympathie divinement voulue. Même notre corps y est convié, dans lequel rien ne doit se dérober à la lumière de l’esprit pour tendre vers Dieu. Pour qu’un acte soit vraiment humain, il ne peut se passer de corps –nous ne sommes pas des anges. Mais nous savons que notre volonté a peu d’autorité sur les passions, une sorte de lacune naturelle qui vient du péché. C’est la persévérance de l’humble volonté qui mérite les soutiens dont elle a besoin. Avant l’Incarnation, Dieu demandait déjà à ses amis le don de la volonté : « Mon Fils, donne-moi ton cœur. » (Pr 23, 26) Mais le Seigneur laissait la sensibilité à son air natal, à ses appuis et ses sanctions terrestres, parce que l’instrument de la montée complète, c’est sa Sainte Humanité. Le travail créateur, depuis les origines, ne se fait pas seulement en laissant les êtres s’achever par eux-mêmes, par automatisme, mais en acceptant un plus qui vient de sa main. C’est ce que dit le cérémonial de la profession monastique : « Que Dieu achève en vous ce qu’Il a commencé. » Et Il le fait par le dedans : l’influence divine fait évoluer l’univers, non par contrainte extérieure, mais en amenant les éléments au but qui est le leur, par leurs réactions propres ; pour nous son action se situe au cœur même des puissances instinctives, Il les utilise sans les brimer. Quand Il peut entrer dans une âme, parce qu’elle Le laisse entrer, Il touche l’intime de ses tendances, et il se plaît à collaborer avec elle pour les adapter à sa volonté d’amour. Comme à l’origine, où Dieu sépare le jour de la nuit et l’eau de la terre ferme, Dieu nous aide à faire le partage entre les pensées et les intentions du cœur. Rien ne peut se débrouiller vraiment sans le doigt de Dieu. Il s’agit d’assumer de tout son pouvoir le volontaire direct, et obtenir par là que Dieu prenne en charge le reste. Pour s’associer à l’esprit, le sensible doit se proportionner à l’esprit. Il s’agit de se laisser soulever jusque dans les bas-fonds de la chair, comme les marées sont soulevées par la lune. Alors, les mouvements de la sensibilité purifiée viennent d’en haut ; ils restent sensibles, mais réglés et mesurés par le rythme souverain de l’esprit. C’est sans doute l’un des effets les plus profonds du mystère de l’Incarnation : Dieu se rendant visible à nos yeux pour nous élever à l’amour de choses invisibles. Il y a en nous deux mondes qui sont destinés à s’unifier. L’honneur du monde inférieur, c’est d’arriver à servir l’autre. Ce sera ce qui arrivera pleinement dans la résurrection des corps : la réunion de l’âme avec le corps sera une plénitude d’être selon l’esprit. Consentons à ce dégagement progressif, jusqu’à la petite brise, cet accompagnement discret qui soutient la mélodie, la paix et le sentiment qu’en Dieu tout est bien. C’est le vrai sens des vertus de mortification : le Seigneur n’accepte pas de désincarner l’esprit humain, Il veut l’initiation de la chair à sa fonction essentielle et définitive. Que le Christ venu dans la chair achève en nous ce qu’Il a commencé.

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Noël 2017 Messe du Jour
C’était lors d’un de ces grands rassemblements pentecôtistes à l’américaine. Un pasteur très célèbre est là, devant un parterre innombrables de braves gens en attente de quelque chose, qui peuvent lui poser les questions qu’ils veulent. Une femme lui dit : « Si vous aviez à exprimer en une phrase l’essentiel du message de Dieu à l’humanité, que diriez-vous ? » Silence d’un suspens dense de quelques secondes… Puis : «Je dirais ça en 5 mots : Vous ne m’avez pas compris ! » St Jean, nous venons de l’entendre, ne dit au fond pas autre chose, mais aussi avec quelques compléments plus encourageants. « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. » Les siens, les juifs, et ces juifs que nous sommes sans le savoir. Dans le monde qui est tout entier le sien, Dieu choisit une terre et un peuple qu’Il décide de combler plus particulièrement de ses prévenances. Pourquoi ? Cappriccio d’amore, disent les italiens. L’histoire de ce peuple est étrange, tout les sépare des autres peuples, et ça fait pas mal de grincements de dents. Souvent vaincus, conquis, déportés, décimés, remplacés par des étrangers sur leur propre territoire, ils restent invariablement ce qu’ils sont, avec une littérature, un corps de doctrine, des rites qui les rendent inassimilables aux autres peuples. C’est dans cet enclos réservé, ce fief choisi, au cœur des promesses qui galvanise leur espérance, que le Verbe de Dieu s’est présenté. D’un mot neutre et effrayant, l’évangéliste décrit l’accueil qui Lui est fait : « Les siens ne L’ont pas reçu. » Glacial comme une nuit d’hiver. On Lui ferme la porte au nez : pas de place pour toi ici ! Un jour viendra où on Lui refusera même la vie. Tout était ordonné à Lui, par Lui, Il était intervenu dans les moindres incidents de leur histoire, et voilà le résultat. On est loin des flons-flons et des récits attendrissants de Noël, du champagne, du foie gras et de la dinde.

Mais, pourtant, Il est venu : ça, c’est un fait aussi têtu que Lui. Il savait tout cela, tout était prévu, même si rien n’est déterminé. Le Verbe s’est fait chair : c’était le dernier mot de l’amour, puisque naître en ce monde, c’est déjà mourir, et mourir, c’est naître pour l’éternité. Le Verbe, lumière qui reproduit la Lumière, comme un miroir parfait, nous est donné pour que nous disions oui, comme Marie. Il y a donc, Dieu merci, des exceptions. Les autres sont des possibilités manquées, elles ne retiennent pas l’attention de l’évangéliste. Ceux qui ont bien voulu, ils sont allés jusqu’au fond de leur néant, car devant Dieu qui est tout, que sommes-nous ? Et là, en ce fond secret, ces âmes-là ont trouvé l’Etre vrai, elles s’y sont unies, par delà les liens du sang, les désirs de la chair et les vues de leur raison limitée, et maintenant, elles sont nées de Lui à la vraie Vie. Cette naissance se fait dans le temps, parce qu’elle se fait dans la chair qui est nôtre. Mais c’est pour y introduire une autre dimension, qui est celle de l’éternité et de l’infini de Dieu. Notre vie devient porteuse de Dieu, si nous le voulons bien. Tout ce que nous faisons reçoit une dignité, une valeur capables de traduire quelque chose de Dieu en ce monde déjà. Ce que la Vierge Mère a fait dans la perfection de son Cœur Immaculé, nous pouvons le faire avec Elle et à sa suite. Voilà le retournement que Dieu, dans son amour plus invincible encore que nos résistances, introduit dans notre monde par la naissance de son Fils Bien-Aimé. Et cela est une Parole définitive, qui n’en finit pas de résonner à travers l’histoire et ses fureurs, jusque dans les espaces intersidéraux. En vérité, c’est la seule espérance qui nous est donnée. L’amour a vaincu et il vaincra encore, car seul il demeure pour l’éternité. Le Verbe par amour vient à l’âme, et l’âme vient au Verbe. Toute âme droite en face de cette lumière reconnaît l’Amour même. En consentant à nous arracher à l’emprise de la chair, nous laissons Dieu briser les ténèbres qui enveloppent la Lumière. Ceux qui voient et qui vivent sont ceux qui ont consenti à ce brisement. La Lumière est au fond : Elle est pleine de grâce et de vérité. Qu’Il soit accueilli, ça dépend de nous, ça dépend de moi. Continuons à marcher, ayons le courage de recommencer chaque jour avec Lui. C’est le secret très simple de la joie parfaite.

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Noël 2016 Messe du Jour
A un P. Jésuite qui a passé 65 Noëls en Inde, on demandait : « Quel est celui qui vous a le plus marqué ? » « Comment choisir ? Il y a tant d’occasions de se réjouir de Noël, de voir ce bonheur se refléter sur tant de visages comme sur ceux des bergers de la crèche... Eh bien, je pense à un Noël très particulier, non en Inde, mais sur le bateau qui me ramenait en France après 10 ans d’absence. Sur la bateau, il y avait beaucoup de soldats qui rentraient d’Algérie où la guerre faisait rage. J’étais le seul –jeune- prêtre à bord et le commandant m’a demandé de monter sur le pont à la rencontre de ces hommes dont beaucoup désiraient parler à un prêtre. Avant la Messe de Minuit, pendant des heures, j’ai écouté les confessions de ces légionnaires qui avaient pratiquement tous du sang sur les mains. Ils me confiaient des histoires horribles avec un terrible sentiment de culpabilité. Et quand je leur donnais l’absolution, chacun me serrait longuement la main en me remerciant avec émotion… » Oui, paix sur la terre aux hommes de bonne volonté... Mais s’il y a sur la terre de ces hommes-là, ça signifie que tous ne le sont pas forcément. Le mystère de l’Incarnation et le mystère du mal sont étroitement liés, et cela prémunit d’emblée contre une image doucereuse, attendrissante, de la crèche, où la poésie fait oublier la réalité. Car le Sauveur a choisi de naître là, dans la nuit, le froid, la précarité, dans un pays occupé, en ébullition politique et sociale, où la violence se déchaîne dès sa naissance. Les tyrans règnent sans partage, il n’y a pas de grand justicier pour les mettre au pas, et il a fallu des trésors d’ingénuosité maternelle simplement pour que ce divin Bébé ne meure pas de froid dans ces heures critiques des premières semaines de vie sur une terre fort peu accueillante. Oui, c’est cela, le mystère du mal en notre monde, hier comme aujourd’hui, et c’est terriblement concret, et le lot d’une large part de l’humanité.
Sur cette nuit du péché, une lumière est descendue du ciel. Elle est minuscule, mais elle suffit pour trouer les ténèbres les plus épaisses et les plus menaçantes. Et comme elle est divine, jamais elle ne s’éteindra. Elle permet à chacun, de par son existence même, de se positionner : serai-je enfant de la lumière ou fils des ténèbres ? « Suis-moi ! » dira le Sauveur Jésus à beaucoup, mais peu répondront : « Présent ! » Lorsque la Vierge Sainte a prononcé son Fiat, le Royaume de Dieu a commencé sur la terre et Elle en a été la première servante. Et pour nous aussi, ce oui redit aussi souvent que possible, à défaut d’être unique et total, c’est le commencement de la vie éternelle. Ce n’est pas encore la vision béatifique et la lumière de gloire, c’est encore le clair-obscur de la foi, mais ce n’est plus l’obscurité et les ténèbres du monde, le partage est fait ! Depuis la crèche, cette lumière se répand de proche en proche, et les âmes de bonne volonté entrent dans le Royaume de Dieu : c’est au pouvoir de chacun. Tout homme qui appartient au Seigneur porte en lui, invisible mais réel, le Royaume de Dieu. Son fardeau terrestre ne lui est pas enlevé pour autant –on a même parfois l’impression qu’il s’alourdit- mais il a au coeur une force et un élan qui rendent doux le joug et léger le fardeau.
Et cette lumière ouvre la porte sur un autre mystère : celui de la pauvreté. Ce n’est pas le moindre des paradoxes chrétiens que de lutter d’une part contre toutes les formes de pauvreté, matérielle, psychique ou spirituelle et de l’autre, de savoir que c’est la première béatitude qui ouvre les portes du Royaume, et que l’Enfant de Bethléem, avant même de savoir parler, nous désigne par son exemple. Car l’amour est toujours une pauvreté consentie et même recherchée : être rien pour que l’autre soit tout, être si petit pour qu’il ne soit pas effrayé, renoncer à toute puissance pour qu’il soit lui, simplement. Ce qui est vrai à un degré surémiment au sein de la Trinité Sainte, le Verbe devenu petit Enfant a voulu que ça le soit aussi pour le dernier et le plus misérable des hommes, pour que jamais personne ne puisse dire : ce message ne me concerne pas, je suis trop misérable ! Qu’Il fasse grandir en nous sa lumière. Qu’elle repousse en nous, d’abord, autour de nous ensuite, les ténèbres du mal et du péché, car on sent bien, en ce jour, qu’on est capable de dire oui au bien et au vrai, au moins un peu : cela aussi est le miracle de Noël qui se répète chaque année, au-delà des débordements commerciaux et des lumières factices. Et qu’advienne un peu le Royaume de Dieu sur notre terre douloureuse parce que nous aurons accueilli cet Enfant qui nous sourit.

Dimanche de la Sainte Famille 31 décembre 2023
Peut-on imaginer famille plus idéale que celle qui se présente au Temple parmi tant d’autres, pour accomplir les rites de la Loi de Moyse ? Paradoxalement, le Verbe fait chair n’avait pas besoin de faire les présentations et Marie Immaculée n’avait à être purifiée de rien. Saint Joseph, peut-être, se disait-il que comme père aux yeux des hommes, ce qu’il était d’ailleurs en toute vérité selon le droit juif, il accomplirait ce geste de piété envers le Très-Haut, Lui faisant entière confiance quant au contenu à lui donner. Ce qui est sûr, c’est que nous étions tous présents en Lui, Jésus, frère de tous ses frères les hommes, qui s’offrirait en leur nom à tous sur l’autel de la croix. Marie n’a qu’un Enfant -famille idéale selon les prudents critères modernes- mais Elle en porte des milliards avec Lui. Joseph sait que la biologie ne dit pas tout des relations et que les seuls critères ne sont pas que physiques quand on s’efforce d’être humain à part entière. Et l’Enfant qui grandit et se fortifie comme tous les enfants du monde, sans heurt ni crise d’adolescence, ne tarde pas à commencer déjà son métier de Sauveur en faisant simplement le mieux possible pour chacun, là où son Père du ciel Lui demande d’être.

Oui, quelle famille ! En face, on ne peut qu’être effondré, frustré, déçu, de regarder le désastre de tant de familles qui nous entourent : éclatées, recomposées à force d’avoir été décomposées, enfants tyrannisés par l’égoïsme d’adultes irresponsables, conjoints en dépression face à d’autres manipulateurs sans scrupules. Comment ne pas comprendre ceux qui disent : la famille ? C’est fini, mieux vaut pas. On passe ensemble le temps que ça colle, et sitôt que ça coince, ciao, on se doit rien.  Surtout pas d’engagement, ça coûte trop cher. Les enfants ? Ils se débrouilleront et ils feront comme nous, de toutes façons. Dans ce contexte, parler de la Sainte Famille, c’est de la provocation, de la culpabilisation, impossible d’en tirer quelque chose d’autre que des complexes inutiles. Tant mieux pour eux, ça ne nous concerne plus.

Eh bien, je ne peux pas croire ça, envers et contre tout. Pour trois raisons au moins.

Première : moi, ça me fait un vieux bien de rencontrer, je pourrais même dire souvent, des familles qui vont bien. Vous savez, de ces familles où les enfants se tapent et se tirent les cheveux, où papa est marié avec son boulot, où maman papote un peu beaucoup au téléphone, enfin, des familles normales, quoi, mais où chacun est heureux de repasser le seuil de la maison chaque fois qu’il y rentre, comme cette aînée qui disait à sa maman : « Tu sais, quand je vois les familles de mes copines, je suis heureuse de la mienne et je ne l’échangerais pour rien au monde contre une autre. » C’est une famille de 6 enfants, dont la dernière est une petite trisomique adoptée… Des familles comme ça, il y en a plus qu’on croit et qu’est-ce que ça fait du bien de les rencontrer ! Les autres se réchauffent à leur contact et ça les aide à grandir et à se recoller.

Deuxième : On devient ce que l’on regarde. Si, comme nous persuadent les médias et réseaux sociaux confondus, nous ne savons regarder que ce qui va mal, comme une vague excuse à notre médiocrité et à notre égoïsme, bien sûr que la moindre difficulté nous fera sombrer dans la déprime et l’inaction. Croyez-vous que de faire vivre sous le même toit un Fils du Dieu Vivant, Trois fois Saint, une Mère Immaculée et un pécheur comme St Joseph, même si c’est sans nul doute le plus grand saint de l’Eglise, ça se soit fait sans effort d’adaptation à l’autre ? Or, il n’est pas d’école plus haute de prière contemplative, pas d’apprentissage plus délicat du service du prochain, pas de dévouement plus illimité sans calcul ni jalousie. Devant nos difficultés, levons les yeux, et demandons-leur : « Vous faisiez comment, vous ?

Troisième : Et pour ne pas nous décourager trop vite d’un idéal réputé inaccessible, nous ne saurions oublier que Jésus est notre Sauveur, Marie notre Mère depuis la croix surtout, St Joseph le pourvoyeur de toutes les grâces célestes et terrestres, Protecteur de l’Eglise pour laquelle il a toujours eu fort à faire. Ce qu’Ils nous font voir, Ils nous l’offrent. On est donc pas comme un enfant pauvre devant une vitrine de Noël qui lui dit : « C’est pas pour toi ! » Ils veulent tout nous donner, tout, vous entendez, il faut le leur demander, sans arrêt, beaucoup, et deux fois plutôt qu’une. Ils ne se laissent jamais vaincre en générosité. Et leur Famille, c’est la nôtre, Ils nous portent chacun à leur manière.

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Dimanche de la Sainte Famille 26 décembre 2021
Une étape-clef dans l’aventure de cette Famille unique entre toutes nous est racontée dans l’évangile de ce dimanche, le lendemain de Noël. Un saut dans le temps, mais pas seulement : bien au-delà de l’événement lui-même, cette fugue inattendue de cet Enfant devenu grand, c’est une sorte de liminaire de l’évangile que St Luc nous propose. Fait-divers de beaucoup de familles : au seuil de l’adolescence, voici que l’enfant semble réagir contre ses parents, sans leur demander leur avis ; et donc, parents angoissés, une mère qui formule des reproches, un père qui se tait et voit son autorité méconnue, bref, est-ce là un modèle de Sainte Famille ? C’est d’autant plus curieux et déconcertant que c’est le seul épisode est la seule lumière qui nous soit donnée sur ce que Jésus a fait entre la petite enfance et l’âge adulte : on voudrait bien voir quelque chose de la vie quotidienne à Nazareth, son apprentissage de la vie, le travail… Rien, à part ce que les évangiles apocryphes ont bordé sur ce thème, mais que les évangélistes d’ont pas cru bon de mentionner. Selon les coutumes juives, ce qui est sûr, en tous cas, c’est que Jésus est désormais un adulte dans la foi - 12 ans, l’âge de la Bar-mitzwah - ce que les peintres ont traduit en représentant un St Joseph âgé, aux cheveux blancs. Il a accompli sa tâche, et le Père du ciel prend le relais qui sera déclaré au baptême dans le Jourdain. Emerveillement et inquiétude se mêlent devant ce qui se pointe dans l’avenir de l’Enfant. A la Présentation au Temple, on était déjà orienté vers la Croix, par la mention du glaive de douleur. Tout a été accompli, une formule qui revient pour l’enfantement, la circoncision, la purification, mais ici, tout est dépassé. A Marie, il avait été annoncé qu’elle serait la Mère du Fils de Dieu, mais lorsque son Enfant se révèle tout orienté vers son Père, il lui faut faire un nouveau pas dans la foi, en attendant l’illumination complète. Sa méditation reste ouverte et nous sommes invités à progresser avec Elle dans l’intelligence du mystère de Jésus. Car en fait, il s’agit d’une crise autour de Jésus. Savez-vous que les deux idéogrammes chinois qui rendent ce mot de crise veulent dire, l’un épreuve, et l’autre opportunité ? Il est donc normal que toutes les familles, tous les couples, toutes les personnes traversent des crises, qui avec la grâce de Dieu deviennent des occasions de croissance spirituelle et humaine. Il est donc normal que le jeune Jésus fasse preuve de liberté et affirme sa relation unique au Père. Après le va et vient des recherches, voici que Marie et Joseph retrouvent leur Enfant assis au milieu des docteurs, alors qu’ils Le cherchaient dans la caravane en marche : le Père est sa demeure stable et définitive, et c’est entre ses mains qu’Il remettra sa vie pour l’éternité. Toutes les personnes engagées dans l’épisode nous disent quelque chose à la fois du mystère de Jésus et de la famille dans laquelle Il reste inséré. Au début, l’enfant n’est pas spécialement mis en lumière : Il est comme absorbé dans le groupe familial ; ensuite, il y a cette journée de marche des parents qui semblent ne se soucier de rien ; puis une autre journée dans l’angoisse de l’avoir perdu. C’est au terme de cette rupture provisoire que les relations se rétablissent : soulagement pour les parents, et pour le Fils une nouvelle soumission. Les docteurs du Temple admirent l’intelligence du jeune garçon, mais ne soupçonnent guère son mystère. Au contraire, les parents voient plus loin, plus haut, ils s’ouvrent à un effort qui dépasse les limites d’un incident pour se prolonger au long d’années obscures et fécondes. Ils ont retrouvé leur Fils, physiquement, mais il leur faut Le chercher encore, sans être coupés de Lui. Et c’est bien sûr à Marie qu’est échue la meilleure part de cette quête : c’est parce qu’Elle a osé prendre la parole que Jésus va pouvoir La guider vers une lumière supérieure insoupçonnée. Un peu comme à Cana : même intervention audacieuse de la Mère, même réponse d’apparence rude du Fils, même résultat : première manifestation du Fils de Dieu, et de sa gloire dans le second cas. Tout est orienté vers la montée à Jérusalem, route douloureuse avant qu’éclate la lumière du 3ème jour et qu’on puisse reconnaître, à travers l’Enfant assis au milieu des docteurs, le Fils siégeant à la droite du Père. La scène va bien au-delà des manifestations de Jésus au monde pour orienter vers le terme de sa vie : la parfaite intimité du Père et du Fils dans l’accomplissement du salut par sa mort et sa Résurrection. En attendant, c’est au sein de la famille de Nazareth que grandit cet Homme, pas à pas, selon le cheminement des destinées humaines. C’est cela qui donne tout leur prix à nos familles, comme elles sont, en tendant vers la maturité de chacun selon sa grâce propre. Toute éducation n’a qu’une règle d’or : aider la personne à devenir elle-même, à mûrir, à grandir en liberté intérieure vraie, selon la Volonté du Père.

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Sainte Famille 27 décembre 2020
Le silence enveloppe dès le début la vie de la Sainte Famille. Une fois repartis les bergers et leurs troupeaux, les mages et leurs chameaux, c’est une période de 30 ans qui s’ouvre, dont on ne sait à peu près rien. Cependant, les quelques phrases des évangélistes nous en suggèrent plus que la matérialité des faits. Saint Luc, qui est celui qui sans doute nous en dit le plus, insiste dès le début sur l’environnement de cette famille apparemment semblable à toutes les autres. Ils s’aiment, ils travaillent, ils obéissent au recensement ordonné par l’autorité civile ; ils sont soucieux d’accomplir tout ce que la Loi demande aux membres du peuple élu, dont le rite de la présentation d’un premier né était prévu par le livre de l’Exode et le Lévitique. Ils sont parfaitement intégrés dans ce peuple où Dieu régit tout, tout ce que veut bien Lui laisser régir chaque personne libre. Ils connaissent bien les traditions de leur peuple et en vivent avec foi et piété, comme si ça allait de soi. Et de fait, combien les choses sont plus faciles quand l’essentiel n’est pas discutable, que tout est en place sous le regard de Dieu : c’est une marque de maturité, aussi bien humaine que religieuse, que de savoir s’intégrer dans une communauté sans qu’on se croie obligé de réinventer la roue à chaque génération. Et pourtant, cette famille vit sa foi à une telle altitude qu’elle aurait pu s’affranchir de toutes ces prescriptions, désirer un renouveau radical qui renverrait les pharisiens à leur copie, convertirait d’un coup les païens, en remontrerait à tous les croyants déviants. Or, ils n’établissent pas leur propre culte, ils ne se retirent pas en marge de leur village, leur religion est tout simplement celle de leur peuple. Jésus Lui-même, jusqu’à sa mort, ne contestera pas ce qu’Il avait reçu enfant : « Je ne suis pas venu abolir mais accomplir. » Juste sa manière de le vivre changera profondément quelque chose, mais cela se fera après sa mort et sa résurrection : on pourrait presque dire que ce n’est pas Lui qui a directement provoqué la rupture du christianisme avec le judaïsme.

Ce changement imperceptible, enveloppé dans un comportement si ordinaire que la foule présente ce jour-là au Temple n’a rien vu qui attire l’attention, il y a deux personnages qui l’ont repéré. Siméon et Anne sont des contemplatifs, dont le regard perçant va au-delà des apparences, parce qu’ils vivent dans une foi silencieuse, en éveil, depuis tant d’années. Un sens intérieur les avertit qu’ils sont en présence du Saint d’Israël : oui, Il est là, le Désiré des nations, Celui auquel est adressé tout le culte minutieusement accompli en ce lieu ! Et puisqu’il est là, le culte, le Temple, la synagogue n’ont plus lieu d’être. S’il avait suffi d’accomplir les 613 préceptes de la Loi de Moyse, sans rien attendre de plus, l’esprit pharisien le fait parfaitement. Ce plus, c’est la rencontre avec le Dieu vivant, au-delà de tout ce qu’on peut faire à son service. C’est un don inouï, que rien d’humain seulement ne saurait produire. Il est donc nécessaire de tenir cette double attitude pour que cette rencontre soit possible : se couler humblement dans une Tradition, elle-même inspirée par Dieu, tout en sachant qu’aucune tradition n’épuisera jamais dans son langage la totalité du Mystère de Dieu. De fait, la foi chrétienne produira un culte à elle, mais il contient encore nombre d’éléments qui lui viennent de la foi juive, et il ne s’est trouvé que quelques hérétiques pour le contester. Ainsi, au-delà du chant et de la parole, il y a le silence, mais dans ce cas, ce n’est pas un vide d’activité : c’est une plénitude où les mots ne servent plus à rien désormais, parce qu’on est au-delà des mots et des émotions. « Maintenant, tu peux laisser ton serviteur t’en aller… » Puisque Dieu Lui-même s’est dévoilé dans la forme d’un Enfant, il n’y a rien plus d’autre à attendre. C’est pourquoi, sans doute, la foi chrétienne, tout en respectant l’ordre établi, le dépassera toujours et sera immanquablement gênante pour toute velléité de totalitarisme, quelle qu’elle soit. Avec Siméon et Anne, désirons avoir assez de foi pour aboutir à cette intériorité contemplative sans laquelle toute forme de culte est vide : c’est la marque de ce dimanche qui scelle l’intimité radieuse de Bethléem.

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Dimanche de la Sainte Famille 30 décembre 2018
Familles décriées, recomposées, déchirées, et en même temps incontournables, parce que nous sommes tous issus d’une famille, et il n’y en a aucune qui soit idéale et parfaite. Aujourd’hui, les bergers sont partis, les mages pas encore arrivés, le bœuf et l’âne retournés à leur labeur paysan, et ce couple à nul autre pareil, qui est devenu famille avec l’arrivée de l’Enfant de la crèche se retrouve dans la vie ordinaire de tous ceux qui ont à s’occuper en priorité d’un bébé dans les conditions précaires et bousculées, entre la Galilée, la Judée, et bientôt l’Egypte. Vraiment, « Le bon Dieu, Il est pas raisonnable ! Quand je t’ai épousée, j’aurais dû poser mes conditions ! » dit St Joseph dans la Pastorale des Santons de Provence. La vérité, c’est qu’il est admirable, ce saint Joseph, et pas moins que son Epouse et son Enfant, qui sont l’un et l’autre à une altitude plus basse qui aurait pu les complexer pour de bon. Là nous touchons du doigt l’amour vrai qui ne donne de complexes à personnes, n’induit aucune jalousie (car la jalousie c’est transformer un bien, repéré chez l’autre, en mal, car il n’est pas mien), ne rabaisse et ne méprise d’aucune manière, même quand il doit dire les choses.

La finale de l’évangile de cette fête nous met devant les yeux l’image idyllique que l’on a d’ordinaire quand on pense à la Sainte Famille. Tellement idéale qu’elle nous donnerait quelques complexes, pour le coup, en nous décourageant d’avance d’arriver tant soit peu à ce sommet de perfection qui n’est pas de la terre. Pourtant, l’épisode décrit par St Luc, on pourrait dire l’incident, est là pour nous rassurer. Quelle est donc cette incompréhension entre l’Enfant et ses parents, qui ressemble à une crise d’adolescence où Marie semble faire des reproches à Jésus, et où le père se tait, à son habitude, comme dépassé par les événements ? Cette scène est la seule que Marie ait rapportée à son biographe, de la vie à Nazareth qui couvre les 30 ans de ce qu’on appelle la vie cachée, qui mérite en effet bien son nom. Elle doit donc être très importante, une sorte de secret caché entre les lignes, un ressort qui l’anime. Car même Marie, championne de la méditation, paraît n’avoir pas vraiment compris. Cet Enfant surdoué vit en effet à un niveau secret, au-delà des apparences. Il est certes un Enfant modèle, mais pas un Enfant sage, forcément. Il a des audaces qui montrent qu’il est un passionné de Dieu, de l’Ecriture Sainte qu’il comprend mieux que les docteurs de la Loi. Il est en train d’entrer dans la vie comme mû par une sorte de bienheureuse contrainte, polarisé comme un amoureux qui a Quelqu’Un dans sa vie. Il a une conscience très vive de son identité, et on comprend que même sa Mère très pure ne pouvait l’avoir au même degré. Il dit : « mon Père » et non pas « notre Père », ce qu’Il fera quand Il nous indiquera comment prier : là, nous sommes tous sur pied d’égalité. Ici, il dénonce comme un malentendu : il s’agit d’un autre que Joseph que je vénère pourtant comme mon père de la terre. L’essentiel de sa vie est dans l’invisible : c’est là l’ordre de la foi. En cela, Il est le modèle absolu, même si pour Lui, ça s’appelle l’union hypostatique. Et ce secret, comme par osmose tout aussi invisible, Il le partage en premier avec Marie et Joseph. Eux aussi ont à faire semblable adhésion d’amour aux projets de Dieu, et en particulier sur leur Fils. On peut dire que leur foi est crucifiante et pascale : ils Le retrouvent « le troisième jour ». Un autre jour, Marie Le perdra, et ne Le retrouvera que dans la gloire, assis à la droite du Père. Il ne sera plus dans sa maison, mais chez le Père, et c’est Elle qui sera accueillie chez Eux.

Péguy a écrit que les parents sont les grands aventuriers des temps modernes. Elever des enfants, c’est les aider à devenir pleinement eux-mêmes. Que de crises de croissance avant d’y arriver tant soit peu ! Le plus souvent, il n’y a de solution que dans la confiance sans cesse renouvelée, qui s’appelle sens de la foi en langage chrétien. Mais nos enfants sont aussi portés par une prière qui nous dépasse, celle de la Vierge très bonne et de St Joseph, qui s’occupe en particulier de l’intendance. Ne l’oublions jamais : avec Eux, nos enfants pourront traverser toutes les crises. Car l’essentiel est d’arriver un jour dans la Maison du Père pour ne plus en repartir.

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31 décembre 2017 Dimanche de la Sainte Famille
L’épisode que la liturgie a choisi pour cette fête de la Sainte Famille, dans l’octave de Noël, nous fait rencontrer deux traits chers à la piété chrétienne : le cantique de Syméon, le Nunc dimittis, que l’on chante à complies, et l’évocation de la Vierge des sept douleurs, Notre-Dame de Compassion, vénérée entre autres en notre église depuis sa consécration au XIVème siècle. De plus tout ce qui est caractéristique de l’évangile de St Luc se retrouve dans ce passage : ne dit-on pas que chaque page de l’évangile contient l’évangile tout entier ? La scène se déroule au temple, centre du monde de St Luc ; mais les rites qui s’y déroulent sont profondément renouvelés, au point de passer sous silence la purification annoncée au début ; la mission de Jésus y est présentée comme la consolation, la délivrance universelle, le salut ; ceux qui L’accueillent sont les pauvres, représentés par ces deux vieillards, qui sont censés ne plus attendre que la mort et sont en fait conviés à la vie. La louange jaillit sous la motion de l’Esprit Saint qui les conduit vers la lumière. Et enfin, il y a la route, de Bethléem à Nazareth, de Nazareth à Jérusalem, et retour. Tout cela pour nous faire comprendre quelque chose de cette réalité humaine fondamentale qu’est la famille, au sein de laquelle le Fils du Très-Haut a voulu naître et grandir, comme une confirmation de l’œuvre du Créateur aux origines, une réhabilitation de ce milieu divin qui permet l’apprentissage de l’amour, l’oeuvre essentielle de notre vie.

Entre tous ces lieux et ces temps sont tissés d’innombrables événements et rencontres : nous sommes par essences des êtres de relation, puisque créés à l’image de Dieu qui est Lui-même relation trinitaire et communion d’amour parfait. A la différence de Jean-Baptiste, qui passe au désert le temps de préparation à sa mission, Jésus se retire à Nazareth, dans ce petit village coloré où Il travaille en silence au milieu de ses concitoyens. Il se rendra encore à Jérusalem : en témoigne l’épisode du recouvrement au Temple, justement. Ainsi se dévoile comme par cercles concentriques cette réalité qui est le cadre universel de la vie sur la terre : la famille. Famille charnelle de nos parents et de notre ascendance ; de notre paroisse et de notre origine ; de notre monastère, car notre Père St Benoît ne s’est pas inspiré d’une autre modèle que celui de la gens romaine ; de l’Eglise de la terre et de celle du ciel, qui rassemble tous les hommes de bonne volonté dans le bonheur que Dieu, Père, a voulu partager avec ceux qu’Il aime. Là, nous sommes invités à sympathiser avec le monde entier, non pas en idéalisant ce qui reste limité, pécheur, imparfait, mais en souriant à ce qui est unique, irremplaçable, réjouissant dans chacun.

Nous sommes tous enrichis les uns par les autres, et même si ça frotte parfois (souvent ?) entre les membres d’une même famille, ce que nous recevons ainsi à longueur de vie est proprement merveilleux. C’est ainsi que notre âme s’élargit au-delà des limites de son moi étriqué pour communier à l’infini de Dieu, ce qui se voit dans cette Famille qui seule mérite à ce point le nom de Sainte : un partage continu d’amour donné, de bienveillance patiente, de désir de rendre heureux en s’oubliant, de grandir jusqu’à l’épanouissement parfait promis dans les cieux. Il nous faut donc d’urgence éviter l’esprit de consommation, qui nous pousse à exiger et à déprécier, à comparer et à rejeter, pour louer Dieu de tout ce qu’Il nous donne par nos familles. Ce que nous dit Syméon dans son cantique : la promesse est accomplie : avant lui, Abraham avait pu se plaindre de son piétinement ; Moyse et Elie, déçus, avaient souhaité mourir, de même que Tobie ; Syméon, lui, peut s’endormir en paix comme Jacob après avoir revu son fils Joseph. Oui, en cet Enfant, centre de la Famille, tout est donné : « Tout chair verra le salut de Dieu » avait prophétisé Isaïe.

Familles de la terre, je vous aime, car tout ce qui s’y vit de beau, de grand et de bon vient de Dieu et nous conduit à sa gloire. Puissions-nous être les collaborateurs émerveillés de cette œuvre de grâce pour le bonheur de notre monde.

31 décembre 2022
« Nous avons reçu grâce sur grâce. » Les paroles de plénitude du Prologue résonnent sans fin à nos oreilles comme le commentaire inépuisable de l’événement central de l’histoire. Tout est là, dans un présent éternel, et chaque fois que nous nous en approchons, nous sommes aux portes de l’éternité. Comment nous souvenir assez que « nous avons reçu grâce sur grâce », que tout ce que nous recevons de la main de Dieu est grâce, y compris ce que nous serions tentés de voir sous un autre jour, parce que contraire à nos attentes ?

Tout, dans le Verbe, manifeste l’amour du Père ; ce que jamais encore on avait pu entrevoir du mystère du Dieu Très-Haut, Jésus de Nazareth le montre à tous ceux qui veulent bien ouvrir les yeux du cœur. Dans une seule parole, un seul geste de Lui, il y a toute grâce et toute vérité. Tout ce que nous pouvons désirer est là, à portée de main, pourrait-on dire, en vertu de l’Incarnation. Il n’en finit pas de se déverser, Lui, l’Amour sans bornes, dans nos âmes limitées.

Faisons ces jours l’inventaire émerveillé des grâces reçues chaque jour, rassemblons-les en un bouquet que nous offrirons dans le Magnificat de la Vierge, chaque soir à vêpres. La lumière est toujours au fond de ce que nous vivons, mais il faut consentir à chaque instant à briser le carcan de ténèbres qui l’enserre, en La laissant dissoudre les liens de la chair et de la vie seulement humaine qui n’est pas la vraie vie qu’Il veut nous donner. Comme le disait merveilleusement un grand spirituel : « Cette voix divine (du Verbe) nous dit : J’éclaire et j’aime. J’éclaire mon amour ; je révèle que mon être, c’est d’aimer et se donner. Quiconque entend cela me connaît et me voit. Il reçoit en lui mes traits. Il devient mon image et en moi, il voit le Père. »

1er janvier 2024 Marie, Mère de Dieu
Le passage d’une année civile à l’autre se double, pour nous, chrétiens d’une signification bien plus riche qu’un simple changement de calendrier. Le temps que Dieu nous donne et que nous pouvons quantifier se remplit ainsi d’un sens qui le dépasse de beaucoup ; il n’est pas une simple succession d’instants inertes et d’années qui se ressemblent, mais la découverte d’un mystère de vie que l’existence terrestre ne saurait épuiser ni même expliquer en elle-même. Cette découverte et compréhension progressive ne s’effectue pas seulement en nous-mêmes, comme si nous tirions tout de notre propre fonds, comme une caricature de maïeutique. Elle se fait au gré des rencontres avec d’autres. Le mystère de Dieu nous est parfois directement, spirituellement dévoilé, mais le plus souvent comme réfracté dans les innombrables contacts humains qui jalonnent toute existence. Et parmi eux, certains sont plus marquants et significatifs que d’autres. Les plus hauts sont les plus purement spirituels. Ce jour de l’an nous met en contact avec la plus extraordinaire personnalité qu’il nous est donné de rencontrer après Dieu Lui-même : celle que la tradition de l’Eglise, au concile d’Ephèse, n’a pas hésité à appeler Mère de Dieu. Mère de Jésus-Christ, oui, c’est évident, puisque dans sa véritable humanité, Il est né comme tous les hommes de l’enfantement d’une maman. Mais Mère du Dieu trois fois Saint, Créateur du ciel et de la terre, comment expliquer cette totale disproportion ? L’audace de la foi de l’Eglise est pourtant entièrement justifiée, parce que l’amour élève toujours celui qui en est l’objet, il tend à l’égalité et ne supporte pas que l’autre soit moindre. Dieu ennoblit tout ce qu’Il touche. Et comme aucune créature n’a mieux répondu à l’amour infini de son Dieu, mieux correspondu parfaitement à ses attentes, Il Lui répond en la comblant au-delà de tout ce qu’on pouvait attendre et imaginer. Dès l’aurore de sa vie, Elle avait compris que Dieu était tout et qu’Elle ne pouvait que se consacrer entièrement à Lui : c’est le vœu de virginité que dans le secret de son cœur elle avait prononcé ; mais dans une foi tout aussi totale, elle s’était laissée fiancer à Joseph, alors que c’était selon les vraisemblances humaines un projet contradictoire. Peut-on imaginer un instant à quel dilemme ils ont été un temps confrontés, laissant à Dieu seul de le dénouer par ce qu’il faut bien appeler un miracle, et quel miracle ! Ce miracle, c’est la maternité divine. Elle aurait été pleinement achevée dans sa vocation par la seule virginité : on ne peut donner plus à Dieu que son cœur et son corps. Dieu a voulu Lui donner ce qu’Elle ne prévoyait d’aucune façon : être Mère, et pas de n’importe qui, être Mère de Dieu ! C’est comme pour la Sainte Eucharistie : il fallait être Dieu pour penser à ça ! C’est tellement au-delà des prévisions humaines que ça ne peut venir que de Lui.

Voilà donc ce qui nous est donné en guise de renouvellement en ce début d’année. Dieu vient de l’avenir, Il ne cesse de nous ouvrir des chemins inconnus que nous n’aurions pas imaginé. Il le fait sous les auspices de Celle qui nous sera donnée pour Mère à la Croix. Car la Mère de Dieu est aussi la Mère des hommes. Il ne lui suffit pas, en quelque sorte, d’être seulement donnée à Dieu dans la virginité. Car il peut y avoir, hélas, des virginités stériles et repliées sur elles-mêmes. Elle, sans y renoncer, mais en la dépassant, Elle continue de se dévouer à longueur de siècle pour tous ceux que Dieu aime et que son Fils veut sauver. Elle contribue à les enfanter à la vie divine, dans le secret de son Coeur très pur qui n’oublie personne. Quel contraste dans l’évangile entre les bergers qui parlent et qui racontent, qui ne peuvent contenir leur enthousiasme, et le silence de Marie qui garde en un écho éternel la grandeur des événements qu’Elle vient de vivre. Là aussi, Elle est Mère admirable par son silence et sa prière où tout ne cesse d’être dit et secrètement communiqué aux amoureux de la même discrétion qui parle plus fort que tout ce qu’on peut dire. Que ce soit notre programme d’année et qu’Elle nous y engage toujours plus profondément.

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1er janvier 2023  Sainte Marie, Mère de Dieu
Marie qui retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. Ah, si seulement, les évangiles avaient été moins lacunaires au sujet de cette méditation, comme elle aurait aidé la nôtre ! C’est comme une onde de rayonnement qui part du mystère du Christ et s’élargit jusqu’aux confins de l’univers créé, reflétant la richesse de cette irruption de Dieu en personne dans notre histoire. Depuis ce jour béni où le monde s’est réveillé avec un Habitant de plus qui était Dieu en Personne, serons-nous à jamais capables d’inventorier à quel point cet événement a changé la face de la terre, même si on a parfois l’impression que rien n’a changé ? Il est vrai qu’Il est si discret… En ce 1er jour de l’an, qui est d’abord octave de Noël, notre reconnaissance se tourne d’abord vers Celle qui a rendu possible ce miracle, l’impensable proximité de Dieu.
Elle est la Femme par Excellence, comme Lui est le Fils de l’Homme, puisque la vocation de la femme, selon le plan du Créateur et quoi qu’on puisse en dire, est de transmettre la vie, de relayer la fécondité de Dieu à travers le temps. Marie l’a fait de manière tellement unique qu’elle mérite d’être appelée Mère de Dieu -car son Fils est Dieu !- Mère de l’Eglise –« Femme, voici ton Fils » et Mère de tous les hommes, dépassant donc de beaucoup le seul engendrement physique. Il est donc beaucoup d’autres fécondités que celle d’avoir des enfants. En ayant eu que cet Enfant-là, Elle demeure au sommet de la maternité, qui devient du coup universelle : encore un indice de cet éclatement des frontières humaines quad Dieu s’insère dans notre humanité.

Il y a comme un contraste, dans l’évangile d’aujourd’hui, entre le monde stupéfait, les bergers qui racontent, tous ces témoins qui ne peuvent retenir un bruyant enthousiasme, et Marie infiniment douce et silencieuse au milieu de toute cette agitation sympathique. Peut-être même en a-t-Elle secrètement un peu souffert, Elle qui ne désirait que se recueillir, adorante et attentive à Celui qui venait de naître au monde qu’il venait sauver ? Et de fait, nous qui parlons et bavardons sans cesse, nous avons du mal, parfois, à vraiment écouter les autres. A l’école de son Enfant, Elle s’est mise en disponibilité totale, c’est Lui qui parlait et agissait par Elle. Si tout le monde faisait ça, n’y aurait-il pas plus de paix sur la terre ? Nous trouverions avec les autres l’harmonie parfaite dans la tonalité unique de Dieu qui fait l’admiration des anges qui s’y connaissent en la matière. Même les bergers seraient bouche bée devant cette concorde qui est le ciel sur la terre, cette fois. La Mère, ici, est mère, simplement, l’Enfant a le droit d’être petit et pas un adulte inachevé, St Joseph père vraiment, mais pas père parfait, parce qu’il n’y en a pas sur la terre : chacun à sa place pleine et entière dans notre univers de rédemption qui n'est pas encore la Jérusalem céleste, mais le gage et la promesse.

Que Dieu nous apprenne, à la suite de la Vierge notre Mère, d’être pleinement et sereinement abandonnés dans la main experte de Dieu. Cela suffit largement à notre bonheur. Qu’Elle nous apprenne à sourire quand ça coûte, à garder le silence quand ça démange, à faire ces tas de chose simples, parce qu’on sait que ce n’est pas inutile même si ce n’est pas glorieux, du mieux qu’on peut, en s’oubliant avec ses prétentions mal placées. Oui, ainsi la paix peut régner en nous, parce que nous ne tiendrons à rien d’autre de fondamental que la gloire de Dieu et à son amour. C’en est assez pour que nous soyons à pied d’œuvre, avec nos bonnes résolutions de début d’année, en espérant qu’elles tiennent au moins jusqu’à ce soir pour les reprendre avec courage demain matin. Le tout est de les reprendre et les reprendre encore : on ne nous demande pas de réussir tout ce que nous entreprenons, mais de recommencer, en sachant que la grâce est toujours prévenante et qu’elle anticipe même sur notre bonne volonté. Ce peut être une forme efficace de vœux que de la demander pour nous-mêmes (« charité bien ordonnée commence par soi-même ») et pour tous ceux que nous aimons, en n’oubliant pas ceux nous n’aimons pas assez, aujourd’hui et chaque jour que Dieu nous donne.

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1er janvier 2022 Ste Marie Mère de Dieu
Marie, Mère de Dieu, Theotokos : c’est sous ce titre singulier que nous vénérons en ce jour Celle par qui nous est venu le Sauveur. Un titre qui n’a pas été accepté sans d’âpres débats théologiques pour être enfin défini par le concile d’Ephèse en 431 comme faisant partie de la foi de l’Eglise. Celle qui a enfanté Dieu, qui porte Dieu : comment, en effet, peut-on accepter qu’une créature porte en Elle le Créateur ? L’hérétique Nestorius soutenait en effet qu’on pouvait dire qu’Elle était Mère du Christ, Mère du Messie ou du Sauveur, mais pas Mère de Dieu : ce qui revenait à dire -et c’est ce qui fait de lui un hérétique- que le Christ n’est pas la seconde Personne de la Trinité, qu’Il n’est pas Dieu. Et c’est pourquoi l’Eglise a tenu à proclamer cette vérité de foi : la Vierge Sainte est le rempart des hérésies. C’est ce que précise le catéchisme de l’Eglise : « Celle qui a conçu comme homme, du Saint-Esprit, et qui est devenu vraiment son fils selon la chair, n’est autre que le Fils éternel du Père, la deuxième Personne de la Trinité. L’Eglise confesse donc que Marie est Mère de Dieu. »

Une fête liturgique est avant tout destinée à nous réjouir des grandeurs de la foi, mais aussi à nourrir notre piété en nous faisant goûter spirituellement ce que Dieu nous propose de croire. Penchons-nous donc un peu sur ce que veut dire « Mère de Dieu » pour nous, puisque nous sommes frères du Christ. A l’Annonciation, l’ange révèle à Marie qu’Elle est épouse de Dieu, dans l’unité de l’amour avec Lui, et qu’Elle porte en Elle le fruit de cet Amour. Elle est troublée, nous dit l’évangile, car les paroles de l’ange lui font entrevoir la profondeur secrète de cette union à Dieu. Elle consent sans résister à ce choix totalement gratuit de Dieu et se met à sa disposition pour qu’Il puisse faire ce qu’Il veut d’Elle. En se déclarant la petite servante du Seigneur, Elle témoigne de la vérité de ses épousailles avec son Dieu, Elle connaît Dieu et ne veut être qu’à Lui. Alors qu’Elle n’est encore que fiancée à Joseph – l’évangile précise : « avant qu’ils aient mené vie commune » - Elle se trouve enceinte, non par l’intervention d’un homme, mais sous l’action de l’Esprit-Saint : Il joue donc à la fois le rôle d’Epoux vis-à-vis de Marie et le rôle de Père à l’égard de l’Enfant. Sans l’Esprit d’amour, le Père n’engendrerait pas son Fils dans l’amour. Le Père et l’Esprit-Saint sont complémentaires dans l’unique fait de l’engendrement du Fils éternel -Ante luciferum genui Te, chante l’introït de la Messe de Minuit et celui du jour de l’Epiphanie- et Ils le sont également dans la conception du Verbe Incarné en Marie. Il y a bien de quoi avoir le vertige : ce qui se passe en Marie est exactement ce qui se passe en Dieu de toute éternité ! Ce qui se passe au ciel est mis à notre portée sur la terre. C’est un peu quelque chose de ce genre que nous visons à la Messe : le don de Jésus à la Croix est rendu présent sur l’autel, chaque fois que nous célébrons les Saints Mystères. Dieu ne cesse de se rendre proche de ceux qu’Il aime, de toutes les manières possibles. Le sommet de cette opération se réalise en Marie, parce que jamais une créature ne fut plus docile et transparente à la grâce de Dieu qui restaure t surélève. Toute sa vocation consiste à enfanter le Fils engendré du Père et conçu en Elle par l’Esprit-Saint. Cette venue du Fils en Marie est don de l’Esprit-Saint, œuvre de l’amour éternel, le plus intense, le plus parfait, le plus infini et indéfini ! Elle met Dieu au monde, la plénitude de la divinité étant présente en ce Nouveau-Né, prémices de l’humanité rachetée. L’immense simplicité de la vie divine nous centre sur ce Fils, nous sommes portés au cœur de ce mystère d’engendrement qui est l’acte unique et éternel de Dieu. Marie est le lieu de cette simplicité en ce monde : Elle est l’acte de l’Esprit-Saint mis à notre disposition pour aimer en vérité le Fils du Père. La réalité de l’Alliance entre Dieu et les hommes se réalise de la manière la plus parfaite en Marie, et Dieu se livre là aux mains des hommes. Le cœur de Marie devient ainsi pour nous le lieu le plus profond et le plus vrai de notre relation à Dieu, de l’adoration, de la contemplation, de la prière. Quand nous peinons à prier, mettons-nous tout près d’Elle : Elle qui est remplie de l’Esprit-Saint, au point d’en recevoir le Fils Bien-Aimé comme son enfant, Elle nous remplira de cette joie éternelle du Père engendrant son fils dans l’amour. Aucune contemplation naturelle à l’homme en quête de Dieu ne peut atteindre ce qui lui est donné là, dans le Cœur de Marie. Qu’Elle nous aide à entrer toujours plus avant dans la joie de Dieu, car sa joie est de se donner sans mesure.

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1er janvier 2021 Sainte Marie, Mère de Dieu
En ce jour octave de Noël, c’est la Mère de Dieu qui est comme le résumé de tout ce que Dieu a voulu, fait et dit en ces jours saints. Et il est beau de voir que c’est en Elle que se reflète le mieux et le plus parfaitement l’œuvre du Tout-Puissant. Dieu qui s’est rendu visible à nos yeux, comme dit la préface de Noël, en la personne du Verbe qui est Dieu, est comme réfracté dans la plus splendide des créatures : c’est tout le programme de restauration du genre humain qui est déjà réalisé comme un modèle insurpassable, et c’est pourquoi elle est spes nostra, notre espérance, comme nous le chantons tous les soirs à la fin de complies. Dieu n’est nulle part plus visible qu’en la Vierge très sainte, la Femme revêtue du soleil, revêtue de la beauté de Dieu comme d’un vêtement. Elle est Dieu rendu plus aimable, plus accessible, et Il est venu à nous par Elle, en effet. St Anselme nous dit qu’Elle a une beauté surnaturelle telle qu’il n’en peut être pensée de plus grande que celle de Dieu, ce que la liturgie a repris dans l’une des antiennes de la fête d’aujourd’hui. A l’Annonciation, nous avons vu vers qui va l’ambassadeur de Dieu : c’est en Elle que se résume la nature humaine tout entière. Et on n’affirme rien de trop quand on dit qu’Elle est la Mère des vivants, la nouvelle Eve, qui remplace la première qui a failli. On se rappelle aussi le sermon de notre père St Bernard, où il met en scène toute cette humanité prostrée qui attend dans un désir ardent la réponse que l’ange sollicite d’Elle. Ceux qui étaient sujets de la Loi attendaient leur délivrance, ils espéraient devenir des fils de la maison et non esclaves. Et nous savons la simplicité de sa réponse qui nous vaut le salut.

Mais une mère reste toujours ce qu’elle a été lors de la venue au monde de son enfant. Ainsi Marie le sera autant à Bethléem qu’au pied de la croix. Et Lui, le Fils bien-aimé, a voulu étendre ce privilège maternel à tout le genre humain qu’Elle avait si fidèlement représenté dans son fiat. Mère de Jésus, Mère de Dieu parce que le Christ est Dieu, Mère de tous les hommes, c’est tout un, parce que l’amour unifie tout. Pour Lui, Jésus, sa Mère est une pensée de Dieu, une institution surnaturelle qui s’épanouit pour l’éternité dans la gloire des cieux. Elle est infiniment plus proche et plus efficace aujourd’hui, parce que le plan de Dieu n’a pas failli et qu’il sera un jour parfaitement achevé.

Et donc ce n’est pas une fois, il y a bien longtemps, et nous n’étions pas là à Bethléem, c’est toujours que Notre-Dame est le chemin du Seigneur vers nous. Dieu ne se dédit pas, Il ne fait pas les choses par des procédés d’un instant qui trahiraient l’imperfection. Ce qu’Elle a été pour le corps du Christ, son Fils, Elle veut l’être pour son Corps qui est l’Eglise. Et Elle vient toujours par la même voie, dans le silence, la reconnaissance et l’adoration. C’est par Elle qu’a été réalisée l’union de Dieu avec l’humanité ; c’est donc aussi par Elle que s’accomplira l’union à Dieu pour chacun de nous. Il ne s’agit pas d’avoir pour Elle de la dévotion, avec tout ce que ce mot pourrait suggérer de facultatif et de surajouté: sans rien exagérer ni encore moins enlever au Christ son Fils, Elle est le christianisme même, il n’y a pas de foi complète et authentique sans Elle. Si, dans les litanies par exemple, nous L’appelons Mère, Mère, Mère… c’est que nous sommes de sa famille, et ce n’est pas qu’une formule pieuse. Elle préside à notre éducation surnaturelle, et nous avons tout avantage à ne pas négliger cette relation qui nous constitue enfants de Dieu. Quand nous L’appelons Mère du Bel Amour, de la Sainte Espérance, pleine de foi, ça veut dire que nous La sentons tout près des vertus théologales qui sont la vie surnaturelle donnée par Dieu dans sa plénitude et sa perfection. Et la sainteté n’est pas autre chose qu’une éducation surnaturelle complètement réussie. Voilà un beau programme d’année, que nous Lui confions filialement, sûrs qu’Elle nous guidera quand nous Lui prenons la main. Elle nous montrera comment devenir simples, doux, abandonnés, selon tout ce que Dieu veut et désire pour chacun de nous.

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1er janvier 2020 Sainte Marie, Mère de Dieu
En ce jour octave de Noël, notre regard est encore tourné vers le grand mystère de l’Incarnation du Verbe, prolongeant avec la Vierge Mère sa méditation et son silence adorant. Mère de Dieu : ce titre qui lui a été donné au concile d’Ephèse a quelque chose d’étonnant ; Mère de Jésus, oui, on le comprend. Et Jésus est Dieu, nous le savons et nous le croyons. Il est donc logique de faire le pas, mais que la petitesse de la servante de Dieu puisse être Mère du Créateur des cieux, voilà qui n’est pas banal. Elle nous plonge donc dans le mystère et c’est par Elle que nous pouvons y entrer. Nous nous mettons à son école pour commencer cette année, pour apprendre d’Elle comment accueillir dans la foi les dons de Dieu qui dépassent toujours ce que nous pouvons imaginer.

Dès la première lecture de la Messe, le salut nous est présenté comme un don de Dieu : il s’agit d’une bénédiction que les prêtres avaient l’habitude d’invoquer sur le peuple à la fon des grandes fêtes liturgiques. C’est un texte chargé d’un sens très profond, rythmé par le Nom du Seigneur, qui ne se limite pas à énoncer quelques vérités de foi, mais qui tend à réaliser ce qu’il affirme : ce que Dieu dit, ce que Dieu est, produit par sa propre force, bien-être et salut, de même qu’une malédiction peut être cause de malheur et de ruine. De manière plus précise, Dieu nous offre sa protection et veut nous donner la paix, sa paix, ce qui veut dire le bonheur en abondance. Car la paix est la première condition d’un bonheur concret. Oui, nous espérons que cette année sera meilleure que la précédente, et nous invoquons sur chacun de nous cette bénédiction de Dieu. Pouvons-nous offrir quelque chose de mieux à ceux que nous aimons que cette prière-là qui est le sommet de nos vœux ?

Sur ce chemin, les bergers de l’évangile sont nos maîtres. Ils se mettent en route pour aller adorer l’Enfant que les anges leur ont montré. Quand on se laisse éclairer par le Vérité, on entreprend presque naturellement le chemin de la paix. Cette grande aspiration du cœur de l’homme, à laquelle il lui est impossible de renoncer même dans les pires situations, lui fait désirer ardemment un monde plus humain, qui mette fin à tant d’injustices de plus en plus criantes, à tant de larmes innocentes, tant de violences qui écrasent les plus petits et les plus faibles. Il nous faut bien le sursaut de courage, la bénédiction de Dieu en personne pour induire une autre logique que celle du profit à tout crin, d’un matérialisme épais et réducteur, d’un pillage éhonté de la création ; pour les disciples du Christ en particulier, c’est un mandat permanent qui nous engage corps et âme, là où nous sommes, en regardant plus haut que nous. Je ne fais pas ceci ou cela, je ne renonce pas à tel bien parce que ça me plaît ou selon mon humeur du moment, mais parce que j’aurai reconnu devant Dieu que pour Lui, c’est beau, c’est vrai, c’est bon. Tout choix implique un renoncement pour un plus grand bien. Et notre vie est un tissu de choix petits et grands, qui finissent par tracer un chemin de fidélité et de miséricorde, parce qu’il n’y a pas de fidélité sans pardon reçu et donné. Marie conserve toutes ces choses et les médite assidûment dans son cœur. Qu’Elle nous apprenne cette patiente rumination des choses de Dieu pour devenir des disciples dociles et attentifs. C’est en contemplant la vérité de Dieu que petit à petit, elle nous imprègne, et ainsi, elle nous fait devenir artisans de paix pour bâtir la civilisation de l’amour. Si Marie a osé dire qu’Il faisait en Elle de grandes choses, c’est parce qu’Elle savait que tout venait de Lui et que par Elle-même Elle ne pouvait rien. C’est quand nous sommes réduits à rien que Dieu peut être puissant. Peut-être qu’aucune autre époque, plus que la nôtre, nous aura acculés à cette bienheureuse extrémité où Dieu seul peut faire ce qu’Il désire depuis toujours : que nous soyons en paix dans son Cœur de Père et de Sauveur. Personne, mieux que Marie, ne l’a compris, de la crèche à la croix. Prions-La, prions avec Elle, maintenant et à l’heur de notre mort.

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1er janvier 2019 Sainte Marie, Mère de Dieu
C’est sous les auspices de la Mère de Dieu que nous commençons l’an nouveau. A vrai dire, Elle est toujours présente à nos côtés, et ce jour est pour Elle un jour comme les autres. Elle est en cela aussi un modèle inégalé : il n’y a pas chez Elle les jours avec et les jours sans, Elle est là, simplement, entièrement, dans la disponibilité du fiat de l’Annonciation jamais repris. Nous la vénérons aujourd’hui dans la lumière de Noël, qui a vu le triomphe de sa maternité divine. Là nous voyons où aboutit le oui de l’Annonciation, mais sa vie ne fait que commencer. Pourtant la présence du Verbe Incarné auprès d’Elle pendant 30 ans apportera un changement essentiel à la vie quotidienne. Elle la vivait jusque là dans la foi et l’espérance : à partir de Bethléem, ce sera dans la contemplation de l’amour en Personne, qui s’est rendu visible à ses yeux. Le temps viendra d’un détachement sensible toujours plus grand, où la foi grandira elle aussi jusqu’au jour de l’Assomption où Elle sera pour toujours réunie à son Fils dans la gloire.

C’est un poème magnifique que l’histoire du monde telle que nous la raconte l’Ecriture, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, et à aucune étape Elle n’est absente jusqu’à l’achèvement des gloires de l’éternité. C’est vraiment l’histoire des efforts de Dieu pour s’unir à l’homme. Au départ, il y a l’union symbolique d’Adam et Eve, et à la fin, celle dont parle St Jean dans l’apocalypse : « J’ai vu la cité Sainte, la Jérusalem d’en-Haut, toute parée comme une fiancée pour son Epoux… » Et entre les deux, au centre du temps, il y a l’Incarnation qui rend possible cette union définitive du Christ et de l’Eglise. Après la création de éléments et des vivants, où le Père commande avec autorité –« Que la lumière soit ! », Il se recueille en quelque sorte : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et Il sait que l’union dont Il rêve ne peut être imposée à la créature qui est l’objet de son admiration –l’admiration est toujours un trait de l’amour : c’est qu’il s’agit d’alliance, et Dieu fait de nous ses partenaires. Certes, il n’a pas demandé à Adam s’il voulait exister ou non, c’est un don tellement inouï ! Mais dès qu’il exista, Il tint compte de lui à chaque pas. Et quelque chose de plus grand était prévu encore. Quand tout fut mûr, Il envoie son Ange à Celle qui devait accueillir son message, au nom de la nature humaine tout entière. Elle saurait accueillir les propositions du Très-Haut, consentir sans réserve à l’union tant espérée. Elle est vraiment la Mère de tous les vivants, la vraie Eve, la Mère de la Vie. Il y a ce splendide sermon de St Bernard où le monde entier attend avec anxiété la parole qui sortirait de ses lèvres : le sort du genre humain tout entier en dépend ! Voilà jusqu’où va la condescendance de Dieu pour sa créature. Elle était libre, Elle savait à quelle responsabilité Elle vouait sa vie, Elle n’ignorait aucune des conditions qui devaient jalonner ses années terrestres, comme le vieillard Syméon le Lui avait prophétisé. Elle ne fut surprise par rien, ayant tout accepté d’emblée. Ainsi sommes nous invités à voir notre vie, nous aussi, sans récriminer, sans s’étonner, sans se défiler. Et là, la revanche de Dieu est complète. Le démon avait vaincu la femme et l’avait rendue désobéissante et rebelle ; toute la race humaine en avait été infectée. Mais par ce seul petit mot, c’est lui, le prince de ce monde, qui est vaincu. Et chaque fois que nous nous rapprochons de Marie, que nous nous glissons comme des enfants dans son oui, son royaume recule, dès ici-bas. Méditons avec Elle ces grandes vérités du salut. Bien sûr, le combat durera tant que le monde sera monde –c’est déjà là dans la Genèse : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme… » et il n’y a pas à s’en étonner. Mais la victoire est déjà là : dans l’Immaculée Conception, dans la venue du Verbe dans la chair, sous la croix où Il nous la donne pour Mère. Que cette année en germe, nous la passions à son ombre bienheureuse, dans l’émerveillement des bergers et la joie des anges.

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1er janvier 2018  Sainte Marie, Mère de Dieu
C’est comme par un juste retour des choses, et une gratitude bien méritée, que nous contemplons aujourd’hui Marie, Mère de Dieu, après avoir pendant une semaine contemplé le Verbe fait chair, Fils du Père et son Fils. Et nous Lui demandons de partager un peu avec nous ce qu’Elle retenait et méditait dans son Cœur Immaculé. Car c’est là qu’Elle veut bien se faire l’éducatrice de notre progrès en Dieu. Nous sommes enfants, ignorants, rétifs ; avec la patience que seules les mères peuvent avoir, Elle est à nos côtés, même quand nous L’ignorons en refusant de L’écouter, quand nous pensons qu’Elle fait partie des meubles–car il est normal que maman soit là, à disposition- et c’est le contact silencieux avec la pureté, la tendresse, la beauté qui rayonnent de tout son être que nous sommes lentement transformés, divinement aimantés. Nous ne verrons tout ce que nous devons à ce soutien invisible que dans la gloire du ciel. Car en fait, ici-bas, nous n’en savons à peu près rien : les accroissements surnaturels n’ont pas de thermomètre. Et vouloir à tout prix le mesurer est une coquetterie qui est la marque d’un esprit un peu étroit. Ce qui vaut mieux que ces curiosités, c’est la docilité à l’action de la grâce qui s’accomplit silencieusement en nous quand nous la laissons agir.

Pour une maman, on reste toujours enfant, et pour Elle encore bien davantage. On est toujours un petit pour sa mère. Non pas parce qu’Elle refuserait que nous grandissions, oh non ! Mais en ce qu’Elle continue à chaque étape de voir en nous ce qui reste du meilleur de l’enfant que nous avons été –l’enfance de l’évangile, car Elle-même, Elle est et reste mieux que personne la Fille du Père. Quelqu’un pouvait dire que toute la vie est une nouvelle édition de nous-mêmes. Cela ne se fait qu’en sortant de soi à la rencontre de Dieu et de l’autre. Mais nous ne serons jamais sortis tout-à-fait de la voie purgative : c’est sans cesse qu’il faut renaître, comme disait Jésus au bon Nicodème de l’évangile. Cela veut dire abandonner beaucoup de désirs : les mauvais, bien sûr, mais pas seulement –tous ceux qui nous encombrent inutilement ; maintenir en tout la mesure : ce qu’il faut, pas plus, et même peut-être un peu moins que l’on croit ; avoir l’attitude recueillie de ceux que se sentent avec Dieu et savent que leur âme est un sanctuaire. S’efforcer d’être juste envers tous –et l’on est juste seulement à la condition d’aimer le prochain comme soi-même. On ne s’aquitte jamais complètement de ce que St Paul appelle une dette envers lui. la dette de l’amour mutuel. Tout cela n’est possible que sous la pression intérieure de l’Esprit de Dieu, Celui qui a permis à la Vierge Sainte de devenir Mère de Dieu, et qui n’est jamais sortie de ce que les théologiens appellent l’obombration. L’exercice paisible et habituel de ces dispositions surnaturelles, sans cesse reprises et rendues plus conscientes, suffirait à assurer notre bonheur sur la terre, et celui de beaucoup d’autres que Dieu place à nos côtés.

Pensons-nous assez à ce regard de bienveillance posé sur nous sans jamais se relâcher ? Il n’est en aucun sens une sorte de surveillance, mais un encouragement, une confiance, une espérance que le meilleur déposé en nous par le Dieu créateur s’épanouisse pas à pas, en acceptant même les chutes et en tendant la main pour nous aider à nous relever, chaque fois, sans jamais en avoir assez. C’est la bienheureuse espérance qui est comme celle de cette maman, durant la dernière guerre mondiale, qui dans les difficultés insurmontables de ce temps, disait chaque jour à son fils : « Tu verras, mon grand, ça marchera ! » Mais oui, car avec l’aide ce cette Mère que Jésus nous a donné à l’heure suprême, ça marchera toujours, et souvent mieux que nous l’avions craint et imaginé. Soyons de cette armée innombrable de pauvres qui vivent agrippés à leur chapelet, du 1er janvier au 31 décembre : Elle saura toujours quoi faire de nos misères et de nos difficultés !

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1er janvier 2017
Au fil des solennités de la Nativité, la maternité de la Vierge s’inscrit en filigrane, comme en second par rapport à l’engendrement du Verbe dans le temps, mais aussi comme une réalité indispensable, puisque sans Elle, l’événement central de l’histoire n’aurait pu avoir lieu.
Il est beau de commencer une année nouvelle sous son patronage spécial, comme si Elle voulait nous aider à nous laisser engendrer nous aussi à la grâce et à la vie éternelle qui est au bout de notre parcours dans le temps. Au coeur des lectures de ce dimanche, il y a la méditation silencieuse de Celle qui a le mieux compris ce que Dieu fait, et sans paroles, Elle nous introduit au coeur du mystère à longueur de vie, jusqu’à la clarté plénière du jour d’éternité.

Laissons-nous donc faire quelques instants : Elle nous prend par la main comme des enfants pour nous amener plus près de son Fils. Que voyons-nous chez Elle ? Elle était pauvre et simple, et tout ce qu’Elle nous inspire de vrai et de juste sera merveilleusement pauvre et simple. Elle nous invite à laisser tout les faux-semblants que nous bâtissons laborieusement autour de nos pauvretés, pour découvrir l’authenticité de notre être voulu par Dieu dans son amour infini. Et le premier dépouillement, pour Elle comme pour nous, c’est celui du silence. C’est la seule condition de base pour accueillir ce que Dieu veut nous dire au fil des jours : ne pas se laisser emporter par le flot de pensées inutiles qui nous éloignent de Lui. Silence extérieur d’abord, en fuyant le plus possible les rumeurs ou les vacarmes du monde, la radio ou la TV allumées en permanence, internet pour être soi-disant au courant de tout en oubliant que nous sommes surtout manipulés, les caquetages intérieurs et extérieurs où nous tenons le beau rôle, l’imagination et la mémoire qui s’agitent et nous agitent sans discontinuer. Le silence intérieur est difficile, oui, mais pas impossible, surtout avec Elle qui est Reine et maîtresse en ce domaine : Elle aime ce silence, Elle se tait et Elle l’habite, parce que là, Elle entend Dieu qui lui parle. Car Dieu nous parle jour et nuit, et il nous faut choisir à chaque instant entre sa parole murmurée et tout ce qui Lui fait concurrence, entre ce qui en vaut la peine et ce qui est futile et inconsistant.

Marie reconnaît la Présence de Dieu, Elle relit sa Parole dans les fleurs de Galilée, dans les oliviers et les oiseaux et les étoiles du ciel. Et ainsi, Elle devient de plus en plus abandonnée à l’action de Celui qui la sait docile, infiniment, qui ne cessera de perfectionner son chef-d’oeuvre. Après avoir été la Vierge de l’attente, par sa jeunesse de silence, d’adoration, d’écoute patiente, Elle est devenue porteuse de Dieu, dans tout son être, corps, coeur et âme. Pendant 30 ans, Il continuera d’écrire sa vie, où il y a des lumières et des ombres, des larmes et des sourires, des nuits et des clartés, jusqu’au matin de Pâques qui ouvre le dernier chapitre de sa vie, prélude à la joie éternelle. Et Elle continuera d’enfanter tous ceux qui s’en remettront à Elle, qui se réfugieront sous son manteau au cours des siècles, sachant que là, non seulement ils ne risquent rien, mais qu’ils ont la garantie d’être guidés avec force et douceur pour marcher jusqu’au but de la vie, au-delà des cieux.Alors, avec Elle, nous pourrons dire –

et cela pourrait être notre programme d’année: « Désormais je sais que je ne suis pas seul. Seigneur, je Vous laisse le soin de faire de moi ce que Vous voudrez, ce sera bien. Si Vous voulez que je sois malade, je serai malade ; si Vous voulez que j’aille bien, j’irai bien ; Si Vous me demandez une tâche que j’aime moyennement ou pas du tout, je la ferai par amour de Vous d’abord, pour le service de mes frères ensuite. Quoi que Vous vouliez, je dirai oui : faites de mon année ce que Vous voulez. Ce sera tellement mieux que tout ce que j’essaierai de faire tout seul, sans Vous. »

Si Dieu nous permet de vivre de cette façon, si nous aussi nous le voulons bien, il y aura de la paix sur la terre. Marie, Mère de Dieu, Mère de Miséricorde, Reine de la paix, priez pour nous qui avons recours à Vous !

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1er janvier 2015
MÉDITER, c’est apprendre à tisser sa vie avec la Vierge Sainte !

Après la Vierge qui enfante, l’évangile nous met en présence de Marie qui médite après les événements. Quoi de plus naturel : tout cela était tellement grand, inattendu, incroyable selon les prévisions humaines ! Et cela ne faisait que commencer : bientôt, ce sera les SS. Innocents, la fuite en Egypte, le retour à Nazareth après la mort d’Hérode. La vie, même annoncée, est souvent faite d’imprévus. Il faut parer au plus pressé, on se pose bien des questions, on craint de se tromper, et parfois on voit ensuite qu’on aurait mieux fait d’agir autrement. A la charnière d’une année qui finit, nous revoyons comme en un film ce que nous avons vécu : une année de plus, avec ses douleurs et ses joies, ses possibilités perdues et ses surprises qu’on n’a pas vu venir ! C’est long et c’est court, une année. Ce qu’il en reste ? Difficile à évaluer, mais ce qui est sûr, c’est que ce qui a été fait dans l’amour ne peut pas mourir. Nous pouvons nous joindre à la Vierge Immaculée qui ne s’est pas contentée de vivre ces événements du salut l’un après l’autre, sans réfléchir ou dans une obéissance aveugle à Dieu et à ses messagers, mais en les retenant et les méditant.

Le verbe méditer, en latin, sert à désigner entre autres la toile de l’araignée:
quelque chose de très fin,
presque impalpable,
qui se tisse fil à fil,
et lui permet ensuite de se promener dessus.

Ce travail nous est à nous aussi nécessaire : nous ne profitons pas de notre vie seulement en ingurgitant distraitement un élément après l’autre, mais en les reprenant patiemment pour retenir le meilleur, faire le tri en laissant le moins bon et en gardant ce qui nous fait vivre. Il y a la trame enroulée par Dieu de notre naissance à notre mort (cette trame qui un jour sera tranchée, comme dit le psaume, une fois l’oeuvre achevée), mais il y a aussi la chaîne que la navette, lancée inlassablement d’un côté à l’autre, tissera jour après jour pour en faire une toile solide.
Quand nous vivons, nous sommes emportés par le flot des désirs, des décisions, des émotions qui se succèdent. Oui, c’est important d’écouter ses émotions, pour ne pas devenir insensible, et surtout de ne pas être sensible seulement pour soi-même ; oui, c’est nécessaire d’avoir des projets, mais pas uniquement en vue d’un profit égoïste ; oui, il faut décider et aller jusqu’au bout de ce qu’on veut, en évitant pourtant que les autres en fassent systématiquement les frais. Car en faisant violence aux autres, nous finissons immanquablement par nous faire du mal à nous-mêmes.
Nous ne pouvons donc éviter, si nous voulons réellement avancer, adoucir, perfectionner notre être profond, que reprendre ce que nous avons vécu pour le mettre devant Dieu, en évaluant avec Lui ce qu’il en a résulté. Sous son regard bienveillant, nous n’avons pas à craindre de reconnaître que « là, oui, je me suis planté, là, j’ai été indélicat, là, j’ai fermé les yeux pour ne pas être dérangé ou ne pas voir l’injustice… Là, au contraire, j’ai rencontré quelqu’un de merveilleux, j’ai pu aider une âme en peine à s’en sortir, j’ai su être généreux sans calculer… »

Et cela devient ainsi une histoire sainte, la mienne, qui s’insère en douceur dans le grand dessein du salut de Dieu, pour ma joie et celle de ceux qu’il me donne de côtoyer chaque jour. Alors, chaque année sera remplie de la trame sa grâce et de la chaîne de ma bonne volonté. Il y aura bien quelques noeuds, mais avec un peu d’habileté, ils peuvent être renoués et cachés, quelques taches qu’Il se fera un plaisir d’effacer, et même quelques inégalités inattendues qui feront voir que c’est du tissé main. Dieu a donné à l’intelligence croyante de pouvoir comme Lui tirer le bien du mal et de découvrir que cet humble travail quotidien de discernement est vraiment l’oeuvre de notre vie, et cela n’a pas de prix.

Il y a dans le Jésus de Nazareth de l’incomparable Zefirelli une scène qui nous le rappelle dans une scène d’une beauté unique : Marie est en train de tisser et on la voit attentive au travers de la trame de son métier. Puis Joseph l’appelle, et elle lève un regard d’une pureté inoubliable, comme si elle voyait l’invisible qu’elle n’avait jamais quitté. Qu’elle nous aide tout au long de cette année à tisser nous aussi nos journées avec son regard et la grâce qui nous est donnée par Elle.

 

Epiphanie 7 janvier 2024
La Manifestation du Seigneur -c’est le sens du mot Epiphanie- est en Orient la grande fête de la Nativité, qui supplante Noël en importance et en sens théologique. Pour nous, latins, elle en est comme la floraison et l’épanouissement dynamique : la venue du Verbe en notre chair, le mouvement de Dieu qui vient à notre rencontre trouve sa réponse dans l’arrivée des Rois venus de loin, après les bergers qui étaient tout près. Ils ont entrepris ce long voyage pour venir adorer le Créateur du ciel et de la terre dans cet Enfant pauvre, totalement inattendu, qui va bousculer toutes les idées qu’on peut se faire de Dieu : c’est un beau symbole que cette caravane qui met en branle tout un peuple vers une destination inconnue et s’arrête dans cette étable obscure, écrin provisoire de la plus grande Richesse qui soit au monde et que peu sont capables de reconnaître. Ce n’est pas d’aujourd’hui que le contenant a souvent plus d’importance que le contenu ! Ainsi, nous portons en nous les diverses attitudes qui accueillent cet événement de la venue du Fils de Dieu en ce monde. L’entrée en scène des divers personnages que l’évangile nous décrit nous situe, nous aussi, dans notre recherche du Dieu vivant et vrai. A leur contact, laissons-nous purifier et interroger.

En arrivant à Jérusalem, ces rois étrangers ne connaissent personne. Ils ont mieux à faire, pour se renseigner, que d’aller à l’office du tourisme, où, sans doute, on leur aurait donné l’adresse des meilleurs hôtels. Ils savaient seulement qu’il s’agissait de la naissance du Roi des juifs. Naïvement, ils vont donc tout droit chez le monarque local : entre aristocrates, on se connaît et on se soutient, normalement ? Or, Hérode, apparemment, n’en sait rien. Mais il est viscéralement inquiet : son pouvoir, pour absolu qu’il se présente, est en fait très fragile ; les tyrans sont entourés d’ennemis qui guettent leur moindre faux pas, à commencer par les romains qui le contrôlent. Il est donc prêt à toutes les prostitutions, toutes les fourberies pour conserver son pouvoir chancelant. Au fond, c’est un pauvre homme, qui vit dans une peur constante, victime de son angoisse, mais la faisant payer chèrement à tous les boucs émissaires qui lui tombent sous la main. Pour l’heure, l’Enfant innocent lui échappera, mais à quel prix ! Son fils sera complice avec Pilate et le Sanhédrin, selon le même scénario, et il aura sa tête une trentaine d’années plus tard. Les grands prêtres consultés, eux, savent la réponse. Mais ces théologiens sont tout aussi attachés à leur position et leurs privilèges. Eux aussi sentent que les temps changent et qu’ils pourraient se retrouver au chômage. Au fond, ces deux catégories prennent à leur compte la phrase que dira Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? » N’est vrai que ce qui défend leurs intérêts : c’est à peu près exactement la philosophie la plus courante aujourd’hui.

Face à eux, les mages brillent de tous leurs feux. Eux qui sont de vrais rois et qui pourraient se contenter des mêmes pouvoirs, ils sont à l’opposé de cette mentalité de potentats sans scrupules. Leur science et leur culture n’est en rien un enfermement intellectuel et moral. Ils n’ont rien à perdre, et donc ils sont libres. Libres de la folie qui les fait suivre cette étoile, de se fier un temps à ceux qui ne sont pas fiables, sans leur être asservis, de s’agenouiller aux côtés de bergers crottés, de voir au-delà des apparences pour découvrir une grandeur qu’ils ne connaissaient pas.

Dans la confusion grandissante de notre temps, où éclatent tous les points de repère, où chacun tente vaille que vaille de découvrir quelques bribes de vérités sans cesse contestées par le flot des impressions et des émotions peu fiables, il est des gens qui gardent une simplicité qui leur permet d’accueillir Celui qui depuis 2000 ans se présente à tous les cœurs droits comme un Enfant fragile, signe d’un amour délicat qui a mille visages et continue de toucher tous les pauvres comme Lui. Mais ce Dieu si timide est comme tous les timides : parfois, il intimide, et donc Il est encore et toujours la cible de la haine de certains qui Le voient, Lui et ses disciples, comme un concurrent alors qu’Il s’est fait leur serviteur. Oser dire qu’il n’y a qu’un Sauveur, quelle prétention insoutenable quand on veut soi-même être sauveur, après avoir été victime et bourreau ! Oui, décidément Il ne laissera personne indifférent ! Mais demandons aux Mages de leur ressembler, d’être toujours prêts à charger nos chameaux et de partir dans ce pèlerinage intérieur qui nous mène à la joie de la seule rencontre qui mène à la plénitude de l’éternité.

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8 janvier 2023 Epiphanie du Seigneur
La pauvreté de la crèche, les conditions misérables de cette naissance pourtant divine pourraient faire douter de Dieu et de son savoir-faire. Ça correspond si peu à l’image qu’on se fait de Lui ! Aujourd’hui, Il nous met en scène un complément inattendu, comme un conte de fées, et qui de plus, est vrai. Voici donc ces 3 Rois, ces 3 sages, qui manifestent la surabondance et l’éclat de l’événement, nonobstant les conditions extérieures déroutantes qui l’entourent. Ils sont touchants de grandeur et d’humilité. De grandeur, parce que c’est par eux, païens de surcroît, mais proches de son Cœur, que Dieu s’est fait connaître. Il y a eu les anges, durant la nuit ; mais leur concert était réservé à quelques privilégiés qui d’ordinaire sont privés de billet de parterre, et ils sont promptement retournés d’où ils étaient venus. Il y a eu les bergers, mais leur audience n’a guère dépassé un petit cercle de leurs semblables : les autres les auraient pris pour des illuminés. Mais ce coup-ci, même Hérode prend l’événement au sérieux. Il craint qu’il ait des incidences politiques et sociales : « Il s’émeut, et tout Jérusalem avec lui. » Plus moyen d’éviter la publicité ; il est vrai qu’une caravane de cette opulence, ça ne devait pas passer inaperçu ! Toutes les persécutions de l’Eglise, d’ailleurs, seront déclenchées sur le même modèle : des inquiétudes de potentats, petits ou grands, qui craignent pour leur trône et préfèrent assurer dans le sang et la terreur un pouvoir sans partage. Devant des faits têtus qui manifestent ce Dieu décidément encombrant, l’autorité fragile de l’homme se sentira obligée de sévir, sans se douter que le sang des martyrs, même muet comme celui des SS. Innocents, n’en finira pas d’être une semence de chrétiens. Ce qu’ils ont ainsi dévoilé, ils l’ont fait quasiment à leur insu et malgré eux. Et les mages, de leur côté, ne pensaient qu’à un petit pèlerinage privé, sous couvert de science et de commerce, et ils en ont fait une démonstration théologique ! Ce que Dieu nous fait faire va parfois bien au-delà des motivations qui nous mettent en branle… Là aussi, c’est une constante dans l’histoire de l’Eglise : ceux qui veulent faire avancer le Règne de Dieu en partant du politique ou du social y restent engoncés trop souvent, quand ils ne dévient pas en provoquant des catastrophes pour l’ « écologie des âmes ». Ceux qui écoutent et servent Dieu d’abord, sans souci d’efficacité humaine immédiate ont à l’inverse une incidence très forte sur leur siècle : ne parle-t-on pas du « siècle de S. Bernard », par exemple ? Or c’était un moine contemplatif. C’est l’évangile : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît. » Le seul fait de rechercher Dieu dans l’humilité transforme le monde.

C’est à cause de cela que nos 3 héros se sont pliés aux hommes et aux événements. Ils ont suivi l’étoile sans en faire une idole, ils ont demandé leur chemin, passant même par un collègue douteux dont ils ont vite repéré les noirs desseins. Ils ont été assez fins et surnaturels pour comprendre ce que Dieu leur disait à travers un songe. Et ils sont repartis autrement qu’ils étaient arrivés car on est toujours peu ou prou transformé quand on rencontre vraiment Dieu. Oui, quelle humilité au sommet de leur science ! Et quand ils arrivent à la crèche, c’est tout naturellement qu’ils se prosternent : Dieu peut-Il être abordé autrement ? Et la joie de leur adoration illumine le monde.

Demandons-nous peut-être pourquoi nous ne sommes pas plus heureux, plus irradiés de cette lumière qui vient d’En-Haut sous des apparences si banales ? C’est que nous partons trop souvent de nos pauvres idées sur tout, y compris Dieu, et plus encore sur l’agir de Dieu. Nous sommes là, un chausse-pied en main, pour faire entrer la réalité dans une pointure à la mesure de nos étroitesses. Nous voulons avoir de l’effet, transformer le monde et les autres, pour économiser cette transformation coûteuse entre toutes de nous-mêmes qui s’appelle la conversion. Et nous gardons nos chameaux et nos voyages pour d’autres buts que la recherche du vrai Dieu. Comment ne serions-nous pas déçus, en définitive, après nous être tant essoufflés à courir après du vent, ayant seulement grapillé au passage quelques ersatz de joie…

Si Noël, c’est Dieu qui descend vers l’homme, l’Epiphanie, c’est l’homme qui suit l’étoile pour trouver le chemin de Dieu. Qu’ils soient nos guides sur les chemins du désert : c’est Bethléem et Jérusalem qui en sont le but.

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2 janvier 2022 Epiphanie du Seigneur
Tout le mystère de la venue du Christ en ce monde est traversé par une immense allégresse : Dieu en personne vient à la rencontre de l’homme, l’homme perdu, l’homme qui souffre, qui n’en peut plus, qui erre dans la quête d’un bonheur impossible. Oui, Dieu nous manque parce que nous Lui manquons, et c’est ce qu’Il nous redit à longueur de siècle et de millénaire. La fête de ce jour est témoin de ce monde en mouvement : le pas lent des caravanes de l’Orient croise le cliquetis des armes, les intrigues de palais surprennent ces rois païens qui ont tout compris et se dérobent à la diplomatie. C’est une nouvelle à sensation qui se porte à la rencontre de la pauvreté de la crèche. Mais au fait, comment ces nobles savants, étrangers et ignorants des Ecritures, savaient-ils que le roi des juifs venait de naître ? Pourquoi l’étoile les conduit-elle à Hérode et non pas, tant qu’à faire, à Jésus ? C’est se jeter dans la gueule de ce loup qui se renseigne visiblement pour tuer ce petit Roi démuni et effacé. Et les voilà qui repartent ensuite, sans laisser aucune trace de leur démarche jusqu’à ce que leurs reliques se retrouvent à Milan, d’abord, puis à Cologne par décision de Frédéric Barberousse. Tout est donc mystère et interrogation, avec des songes et des fuites, des événements qui s’entrelacent à l’orientale. Le climat est celui d’une révélation, sur fond de persécution : ce petit Roi des juifs se trouve déjà face à Hérode ! St Matthieu a donc bien l’intention de nous montrer quelle est la nature de la mission royale de Jésus qui s’achèvera aux portes de Jérusalem, quelques années plus tard.

Voici donc les Mages en marche. Au début et à la fin de l’épisode, l’évangéliste fait mention d’une route : et la seconde n’est pas la même que la première. Des éléments importants ont appris aux Rois à se guider d’une autre manière. C’est comme les pèlerins de St Jacques qui disent que la foi s’apprend par les pieds. La lumière de Jésus remplace désormais celle de l’astre. Il est temps de laisser l’astrologie pour la vraie connaissance : il faudrait pouvoir le dire à beaucoup de gens aujourd’hui qui font le contraire ! Cette démarche de foi, ils la concrétisent par un geste significatif entre tous : ils se prosternent, devant cet Enfant pauvre en lequel ils adorent Dieu en personne. C’est ça, le regard de la foi ! Cette pause-adoration est en contraste avec la pause-question à propos de ce tyran malveillant d’Hérode. Ici aussi se croisent des éléments propres aux mentalités juive et païenne : la littérature de l’époque se complaisait dans les images qui marquaient la naissance des grands personnages : ainsi un astre particulier qui apparaît dans la ciel. C’est le cas pour Abraham, mais aussi pour Alexandre et Auguste, d’où l’expression familière « naître sous une bonne étoile ». Il ne pouvait pas en être autrement pour Jésus. Mais le Roi des nations est un roi humble, en parfait contraste avec ceux de la terre, et les seuls qui ne s’y sont pas trompés sont les bergers, auprès desquels n’ont aucune gêne à s’agenouiller ces grands personnages qui se trouvent au même niveau de foi. Ce n’est donc pas les ignorants contre les sages, la foi-du-charbonnier contre les théologiens : c’est le coude-à-coude des contemplatifs et des petites âmes qui seules ont un accès simple et véritable à Dieu. Ce que j’avais entendu une fois de Benoît XVI : « Il en sait autant que 10 professeurs de théologie et il a la foi d’un premier communiant ! » Jésus, dès son arrivée en ce monde, veut attirer et mettre en marche tous les hommes : ceux qui cherchent Dieu à travers les éléments naturels dont ils disposent, leur science, leur technique, leur magie même. Il vient aussi pour ceux qui ramènent tout à la politique, aux jeux d’influence, les manipulateurs qui ne le savent pas, au risque d’être oppressifs, ceux qui mettent leur absolu dans des idéologies, des systèmes religieux de pensée ou de rites. Pour tous ceux qui L’accueillent, Il est lumière et Il révèle Dieu, Père. Le seul drame, c’est que ceux qui sont apparemment plus proches de Lui, qui connaissent intellectuellement le mieux sa Parole, se trouvent comme incapables de Le reconnaître quand Il se manifeste concrètement. Le tout n’est donc pas d’abord de savoir, mais d’être en chemin, de courir le risque d’expérimenter ce que l’on sait, et parfois d’en être déstabilisé. Car Dieu est toujours plus petit qu’on croit. Le chemin de la foi dure toute la vie. Le pire est de s’arrêter en croyant qu’on a tout compris. Les Mages nous enseignent les 3 composantes de cette recherche : l’interrogation intelligente sur les événements vécus, leur cohérence avec l’Ecriture, l’attachement à la Personne de Jésus, Fils de Dieu et notre Sauveur. Ce qui veut dire : refaire régulièrement de ces pauses-Ecriture et pauses-adoration sous peine de revenir à une attitude simplement païenne.

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3 janvier 2021 Epiphanie du Seigneur
Se laisser guider par une étoile ! Etaient-ils si intelligents, ces mages qu’on vante comme la crème de l’Orient, les prémices des croyants, l’aristocratie intellectuelle et spirituelle des nations ? Si l’astrologie a toujours passablement fasciné beaucoup de gens, ceux qui réfléchissent un peu se refusent à être les jouets de forces obscures qui régissent l’univers inanimé ; la liberté humaine est précisément cet élément qui peut infléchir le cours des choses autrement que les marées. Une coïncidence qu’on peut qualifier de providentielle retient pourtant notre attention cette année, qui est étonnante à plus d’un point de vue. Eprouvante à cause de la pandémie qui nous accable, certes, mais marquée par un autre fait qui est comme un clin d’œil du Créateur, capable de nous rendre courage à la suite de nos Rois venus adorer l’Enfant-Dieu. Savez-vous que le 21 décembre dernier s’est produit un événement pratiquement passé inaperçu à la plupart, surtout préoccupés par les difficultés que l’on sait ? La dernière fois que ça s’est passé, c’était il y a 800 ans, c’est-à-dire à peu près à l’époque des grandes pestes qui ont décimé l’Occident, et c’est l’alignement de la terre avec Saturne et Jupiter, ce qui produit un effet de lumière d’une brillance exceptionnelle. C’est l’astronome Kepler, au XVIème siècle, qui a émis pour la première fois l’hypothèse que ce fut une telle conjonction, en 6 avant notre ère environ, qui a attiré l’attention des Mages et leur a permis de découvrir Celui qui est la vraie lumière. Quand le monde vacille sur ses bases, que la mort rôde partout, que la désespérance s’installe au cœur des hommes, Dieu leur montre cette lumière qui les aide à passer l’épreuve et les conduit vers l’éternité, où il n’y aura plus de nuit, où nous serons dans un bonheur sans nuages dans le Cœur de notre Dieu.

Notre époque a vu la conquête de la lune, les vaisseaux spatiaux encombrent l’espace intersidéral, on projette des conquêtes incessantes qui devraient nous mener toujours plus loin dans les galaxies. Au fait, pourquoi, au juste ? Sinon pour la gloriole des commanditaires, qui dépensent des sommes colossales pour manifester leur emprise sur les éléments, alors que des millions de pauvres gens crèvent de faim. Les Mages, eux, ne mettent la main sur rien : ils observent, ils admirent, ils s’étonnent. Et ils partent quand leur conviction est faite, emportant des cadeaux généreux et symboliques pour cet Enfant mystérieux qu’ils espèrent trouver au bout de leur périple. Sont-ils des naïfs, aux prises avec une astrologie primitive qui les abuse, une projection de leurs rêves qui leur tient lieu de religion ? Même si le monde antique faisait au sacré une plus large place que le nôtre, ce serait un peu rapide de les prendre pour des imbéciles cultivés. Non, ils ont simplement la conviction, comme beaucoup de vrais scientifiques, que Dieu parle par des signes que l’on peut interpréter dans la foi et qui sont ensuite confirmés dans les faits, l’un après l’autre. Et c’est ce qui arrive. Hérode et les autres, empêtrés dans leurs intérêts, n’ont rien vu, rien compris. Eux, ils sont menés en douceur jusqu’à l’étable de Bethléem ; eux, les grands de la terre, ils ne sont ni déçus ni surpris par ce langage déroutant de Dieu. Et l’étoile s’éteint quand ils voient le Soleil de justice. Le chemin de retour connaîtra encore quelques contours pas prévus, mais ils sont aussi prudents : ils ne tiennent pas compte de l’invitation fielleuse du potentat local, ils ne se laissent pas prendre par les liens de leur caste supérieure.

Oui, Dieu parle à travers de multiples signes, et pas seulement dans les étoiles. Il nous faut développer à l’âge adulte une seconde naïveté pour devenir capables de les repérer, pour avoir le courage de les suivre sans savoir toujours où ça peut nous mener. Au-delà de la culture environnante, il y a ce que Dieu dit : c’est ce que les moines de tous les temps ont cru et mis en pratique. Dieu nous trace un chemin sacré souvent semé d’embûches et de carrefours qui nous rendent perplexes, sans que nous puissions revenir en arrière. Ce qui est sûr, c’est qu’Il est au bout du chemin. Si nous devons revenir au point de départ, c’est par un autre chemin qui nous aura nous-mêmes transformés. Voilà l’espérance invincible qui oriente notre marche.

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6 janvier 2020 Epiphanie du Seigneur
L’événement historique de la Naissance de Jésus à Bethléem nous a fait entrer dans le mystère de la manifestation de Dieu, invisible d’ordinaire à nos yeux et qui a voulu ainsi se rendre visible, à notre portée. Pour discrète qu’elle a voulu être, cette arrivée de Dieu sur notre terre a mis en branle tout un monde, à l’instar des foules de chameaux qui se rassemblent à Jérusalem, chargés de toutes les richesses de l’Orient. C’est que Jérusalem elle-même est un mystère : sans cesse ruinée et rebâtie, elle demeure un symbole quasi universel de la présence du Dieu unique en ce monde fragile de l’histoire. Pourtant, ce n’est pas là que naît le Fils de Dieu, mais dans une petite bourgade à un jet de pierre, et encore, en dehors du village. Et c’est là que les prophéties aboutissent, y compris les caravanes annoncées par le prophète, qui entrevoyait après l’un des exils la résurrection de la Ville Sainte où devaient venir les grands de ce monde pour admirer sa puissance. Dieu se manifeste toujours de manière un peu décalée, comme pour dire : Je ne suis pas exactement ce que vous pensez ! C’est repérable aussi dans les diverses manières de réagir des acteurs qui entourent la crèche: et nous, comment réagissons-nous aux invitations parfois déroutantes de Dieu ? Ils ont donc quelque chose à nous dire. Hérode, d’abord, puisqu’il est un « grand » de ce monde ; à la vérité seulement le petit roi fantoche de Judée, à la solde de l’occupant romain, mais il s’efforce de tenir le rang. Homme sans scrupules, qui ne recule devant aucune cruauté pour garder son pouvoir, il est comme tous les tyrans, inquiet foncièrement, car toujours menacé en se faisant beaucoup d’ennemis. Scénario bien classique de ceux qui assoient leur trône sur le sang, l’argent et la belle vie. Alors, quand on lui dit qu’un concurrent qui se prétend lui aussi roi des juifs se pointe dans les parages, c’est la panique ; il cherche de l’appui chez une autre catégorie de gens influents : les prêtres et les scribes d’Israël, guère plus clairvoyants que lui : qui se ressemble s’assemble. Ils connaissent la bonne réponse, mais lui laissent tirer les conclusions pratiques, par peur de se trouver en travers de ses prétentions, ce qui pourrait leur coûter à eux aussi leur pouvoir. Tous ces gens ne cherchent en rien la vérité mais seulement leur avantage, ce qui du coup devient pour nous un critère de réflexion et d’action : si les marrons à tirer du feu sont la seule raison de nos transactions, c’est sans doute à peu près le contraire de ce que Dieu pense.

Les mages nous rendent un son de cloche assez diamétral. Ils sont des grands, eux aussi, car ils traitent au passage avec Hérode d’égal à égal. Mais grands, ils le sont surtout par l’intelligence et par le cœur. Ils ont gardé une âme d’enfant jusque dans leur science astrologique : se laisser guider par une étoile et entreprendre un pareil voyage juste pour vérifier une intuition, il fallait le faire ! Pourtant leur simplicité n’est pas stupidité, et ils savent déjouer les pièges d’Hérode qui tente de les mettre de son côté. Le résultat, c’est qu’ils s’en retournent avec Dieu dans le cœur. St Matthieu qui nous raconte tout cela se plaira, tout au long de son évangile, à nous présenter comme modèles de croyants, non pas des juifs -alors qu’il compose son évangile précisément pour eux- mais ceux qu’ils considèrent comme des païens. Dieu n’est pas reconnu par ceux qu’on croit, et Jérusalem attendra encore longtemps avant d’être la capitale universelle des croyants. Nous n’avons aucune raison d’être inquiets, comme Hérode, parce que nous aurions quelque chose à perdre, et cela à une condition : d’accepter d’être souvent un peu déstabilisés par ce Dieu qui n’est décidément pas comme nous pensons. Et c’est à toutes les époques la difficulté majeure de tous les croyants : essayer de ne pas se tromper de Dieu, se laisser guider par une étoile parmi tant d’autres, qui ne nous rapporte aucun bienfait tangible, mais seulement Dieu Lui-même, ce qui ne nourrit pas toujours son homme ; il faudra nous y faire, car ce n’est pas l’essentiel.

Ils sont rentrés chez eux par un autre chemin. Mais ils n’étaient plus les mêmes. Leurs restes mortels reposent dans le choeur du dôme de Cologne, et ils sont dans la joie de Dieu qu’ils ont trouvé au terme de leur pèlerinage, où ils nous attendent, nous aussi : il n’y a plus d’étoile, ce sont désormais eux qui nous guident.

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6 janvier 2019 Epiphanie du Seigneur
Lorsque tout s’assombrit – « lorsque les ténèbres couvrent les peuples », dit l’épître de ce jour-, l’Eglise reste souvent une cité de lumière au milieu des ruines, seule instance capable de maintenir un minimum de dignité et de cohésion sociale au milieu du chaos. Au moment où l’épreuve menace le bonheur naturel, où il se révèle fragile, précaire et mesuré, la Présence de Dieu, comme un soleil, éclipse les palliatifs que l’ingénuosité humaine cherche pour se donner des raisons d’espérer. Ainsi en va-t-il de la visite des mages : la pauvreté de la crèche, les conditions misérables de cette naissance pourtant divine pourraient faire douter de Dieu et de son savoir-faire. Voici donc ces 3 Rois, ces 3 sages, qui manifestent la surabondance et l’éclat de l’événement, nonobstant les conditions extérieures déroutantes qui l’entourent. Ils sont touchants de grandeur et d’humilité. De grandeur, parce que c’est par eux, païens de surcroît, mais proches de son Cœur, que Dieu s’est fait connaître. Il y a eu les anges, durant la nuit ; mais leur concert était réservé à quelques privilégiés qui d’ordinaire sont privés de billet de parterre, et il sont promptement retournés d’où ils étaient venus. Il y a eu les bergers, mais leur audience n’a guère dépassé un petit cercle de leurs semblables : les autres les auraient pris pour des illuminés. Mais ce coup-ci, même Hérode prend l’événement au sérieux. Il craint qu’il ait des incidences politiques et sociales : « Il s’émeut, et tout Jérusalem avec lui. » Plus moyen d’éviter la publicité ; il est vrai qu’une caravane de cette opulence, ça ne devait pas passer inaperçu ! Toutes les persécutions de l’Eglise, d’ailleurs, seront déclenchées sur le même modèle : des inquiétudes de potentats, petits ou grands, qui craignent pour leur trône et préfèrent assurer dans le sang et la terreur un pouvoir sans partage. Devant des faits têtus qui manifestent ce Dieu décidément encombrant, l’autorité fragile de l’homme se sentira obligée de sévir, sans se douter que le sang des martyrs, même muet comme celui des Saints Innocents, n’en finira pas d’être une semence de chrétiens. Ce qu’ils ont ainsi dévoilé, il l’ont fait quasiment à leur insu et malgré eux. Et les mages, de leur côté, ne pensaient qu’à un petit pèlerinage privé, sous couvert de science et de commerce, et ils en ont fait une démonstration théologique ! Ce que Dieu nous fait faire va parfois bien au-delà des motivations qui nous mettent en branle… Là aussi, c’est une constante dans l’histoire de l’Eglise : ceux qui veulent faire avancer le Règne de Dieu en partant du politique ou du social y restent engoncés trop souvent, quand ils ne dévient pas en provoquant des catastrophes pour l’ « écologie des âmes ». Ceux qui écoutent et servent Dieu d’abord, sans souci d’efficacité humaine immédiate ont à l’inverse une incidence très forte sur leur siècle : ne parle-t-on pas du « siècle de Saint Bernard », par exemple ? Or c’était un moine contemplatif. C’est l’évangile : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît. » Le seul fait de rechercher Dieu dans l’humilité transforme le monde.

    Et à cause de cela nos 3 héros se sont pliés aux hommes et aux événements. Ils ont suivi l’étoile sans en faire une idole, ils ont demandé leur chemin, passant même par un collègue douteux dont ils ont vite repéré les noirs desseins. Ils ont été assez fins et surnaturels pour comprendre ce que Dieu leur disait à travers un songe. Et ils sont repartis autrement qu’ils étaient arrivés car on est toujours peu ou prou transformé quand on rencontre vraiment Dieu. Oui, quelle humilité au sommet de leur science ! Et quand ils arrivent à la crèche, c’est tout naturellement qu’ils se prosternent : Dieu peut-Il être abordé autrement ? Et la joie de leur adoration illumine le monde.

     Demandons-nous peut-être pourquoi nous ne sommes pas plus heureux, plus irradiés de cette lumière qui vient d’En-Haut sous des apparences si banales ? C’est que nous partons trop souvent de nos pauvres idées sur tout, y compris Dieu, et plus encore sur l’agir de Dieu. Nous sommes là, un chausse-pied en main, pour faire entrer la réalité dans une pointure à la mesure de nos étroitesses. Nous voulons avoir de l’effet, transformer le monde et les autres, pour économiser cette transformation coûteuse entre toutes de nous mêmes qui s’appelle la conversion et la pénitence. Et nous gardons nos chameaux et nos voyages pour d’autres buts que la recherche du vrai Dieu. Comment ne serions-nous pas déçus, en définitive, après nous être tant essouflés à courir après du vent, ayant seulement grapillé au passage quelques erzats de joie…

     Voulez-vous une preuve que tout cela est bien réel, beaucoup plus que l’on pourrait l’imaginer ? Allez au dôme de Cologne. Vous y trouverez, au chœur, cette immense châsse des Trois Rois. Il y a une trentaine d’années, un scientifique s’est avisé d’analyser les tissus qui depuis la nuit des temps, enveloppaient les reliques dont l’authenticité apparaissait douteuse à plus d’un. Et on a constaté que ces étoffes de soie pourpre et fil d’or étaient produites au premier siècle de notre ère dans des ateliers de Perse et d’Inde, apanage exclusif des souverains de ces contrées, et que les ossements appartenaient à des gens de condition supérieure, bien nourris et ne travaillant pas, etc… L’histoire est ici plus forte que toutes les belles légendes qui font rêver en marge de l’évangile.

     Si Noël, c’est Dieu qui descend vers l’homme, l’Epiphanie, c’est l’homme qui suit l’étoile pour trouver le chemin de Dieu.

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7 janvier 2018 Epiphanie
« Lève les yeux et regarde ! »
Le monde est un spectacle permanent, au sommet duquel se trouve l’homme ; il est à lui-même un microcosme, un être prodigieusement complexe, en relation continuelle avec l’univers dans lequel il est plongé. Sur le plan physique, d’abord, par la nourriture qu’il reçoit et le travail qu’il produit ; sur le plan intellectuel par les idées qu’il en tire et les projets qu’il élabore ; sur le plan affectif, par l’amour qu’il partage ou le ressentiment, la colère, la haine qu’il peut répandre pour son malheur et celui des autres ; au plan social et religieux enfin, par les rapports qu’il tisse avec ses semblables et avec Dieu. Or, ces relations multiples, avec les actes qui en découlent, les signaux qui les manifestent, les réactions qu’elles provoquent s’enchevêtrent très finement et à tous les niveaux, influent sur le caractère personnel et l’évolution des sociétés. Nous voici bien loin des Rois Mages, pensez-vous : où veut-il en venir ?

Dans cette complexité dont nous ne nous rendons pas compte, la plupart du temps, Dieu fait son chemin, cherche sans cesse notre bien avec une délicatesse infinie. Et pour cela, Il prend chacun comme il est, au stade où il en est, rectifiant le tir à mesure des dispositions changeantes qui sont les nôtres ; quand nous acquiesçons, Il avance, et quand nous l’Ignorons, il veille et attend. Il me semble que c’est l’une des grandes consolations de Noël et de la fête d’aujourd’hui. Dans un de ses sermons, S. Grégoire le Grand nous dit cela, en comparant l’étoile des Mages et l’ange de l’Annonciation. A la Vierge très pure, Il envoie l’un des plus notables de ses messagers célestes : c’est qu’elle est habituée au monde surnaturel, de plein pied dans le dédale des institutions célestes. Et après les très brèves salutations d’usage, il lui parle tout de go, sans guère de préambule, dans un dialogue où tout est mis en place à mesure, juste pour dire à haute voix ce qu’on savait au fond déjà. En quelques phrases, tout est réglé, sans la moindre stratégie, dans la clarté la plus totale. Et Elle se retrouve à l’instant à ce sommet inouï de sainteté qui Lui permet d’accueillir en Elle le Fils de Dieu en personne. De leur côté, les mages sont croyants, certes, mais de plus loin, à leur manière, hors des frontières d’Israël. Ils ont entre Dieu et leur cœur la profondeur de leur savoir et leurs responsabilités : ce sont des scientifiques à qui on en raconte pas et qui n’aiment pas être coincés au bout d’un raisonnement préfabriqué. Il leur faudra du temps pour décanter tout cela, un long chemin pour les amener à s’agenouiller devant un enfant pauvre qui se trouve être, aux antipodes des attentes en vigueur, Dieu Lui-même. Le signe qu’Il leur donne est donc choisi dans leur domaine : les étoiles, puisqu’ils s’y intéressent. Il convient à leur esprit toujours en éveil, et Il leur laisse le temps de s’habituer aux mœurs de Dieu au pas des dromadaires, avec un petit exercice de diplomatie entre deux, histoire de ne pas perdre la main. Là, il s’agit d’un surnaturel presque camouflé, pas contraignant, juste suffisant pour se repérer. Le reste, ils auront le temps de le déduire et de le méditer en rentrant chez eux.

Il faudrait aussi parler des songes de S, Joseph, au cœur de la nuit de la foi, bien bousculée pour ce juste d’une docilité exemplaire. Lui aussi connaît la ligne directe, mais sous mode mineur, comme pour lui laisser le mérite d’une foi qui peut grandir encore. Et il y a toutes les rencontres et les miracles de l’Evangile : pas un qui ne soit exactement sur mesure, de même tout ce que les trésors de la sainteté ont compris du mystère de Dieu, à travers le langage codé qu’il utilise le plus souvent, nous espérant toujours assez intelligents et tenaces pour chercher et chercher encore.

Alors, allez dire que Dieu ne parle pas, qu’Il ne se manifeste pas ! Bien au contraire, Il n’arrête pas, et c’est seulement nous qui sommes si souvent en état de parasitage chronique, occupés sur une autre ligne ou tout simplement partis en vacances sans laisser d’adresse pour qu’on nous laisse tranquilles. Que retenir donc de l’attitude des Mages pour nous aider à lire les signes de Dieu ?

D’abord : ne pas les chercher ailleurs, commesi Dieu devait obligatoirement être inaccessible, en dehors de la vie et de notre portée. C’est vrai qu’Il reste le Tout-Autre, mais non moins aussi qu’Il s’est fait proche dans le mystère de l’Incarnation. « Nous avons vu son étoile en Orient », c’est-à-dire chez nous, au milieu de nos tâches habituelles. Dieu, c’est l’Extraordinaire dans l’ordinaire. L’essentiel, c’est de chercher toujours la Vérité : « …que nous parvenions jusqu’à la contemplation de ta splendeur… » comme dit la collecte. Tout ce qu’on apprend peut y contribuer : la recherche de Mages est large, mais elle ne perd jamais le nord.

Ensuite, s’efforcer d’être désintéressé, se laisser bousculer, ne pas reculer devant l’effort humble, quotidien, parfois monotone, dans ce difficile équilibre où tout peut être utile et rien n’est indispensable, hormis l’Unique Nécessaire. Ordinairement, nous sommes sordidement calculateurs, et nous voulons voir immédiatement l’effet de nos efforts. Il faut, déjà humainement, une patiente sédimentation pour faire une vraie culture : que dire de la Connaissance du Vrai Dieu ?…

Et enfin : Dieu est en avant de nous. « L’étoile les précédait… » Le chemin du retour ne fut pas le même que celui de l’aller, et Il le savait ; c’est même un songe qui le leur a dit. On peut donc Lui faire confiance. Oui, Il parle, Il fait signe : mettons-nous un peu en silence au diapason, et nous L’entendrons.

8 janvier 2024 Baptême du Seigneur
Après la manifestation aux païens par la visite des mages, c’est aujourd’hui la première manifestation publique de Jésus comme l’Oint du Père, le Messie attendu, et l’investiture de sa mission de salut : « Me voici, je suis venu pour faire ta volonté. » Aujourd’hui s’achève le temps de Noël et s’ouvre le temps de la Rédemption. Sentant l’imminence des temps, les foules se pressent auprès de cet ascète hirsute, à la parole âpre. Elles sont un peu comme leur roi Hérode, dérangé par ce langage sans concession, mais qui aimait l’entendre. Nous aussi, il nous arrive plus souvent qu’à notre tour de savoir où est la vérité, d’être secrètement attiré par elle, mais en même temps de mettre toutes les ruses de notre psychologie tordue pour l’esquiver : on est assez champions à ce genre d’exercice ! Les juifs croyaient à la colère de Dieu et ils pensaient un peu vite qu’elle était pour les autres. Or,  la conversion concerne tout homme doué de raison. Les juifs, habitués aux gestes rituels, ont à comprendre qu’il ne suffit pas d’un peu d’eau sur la tête pour être bien vu de Dieu et des autres, et les païens sont appelés à découvrir que ce même Dieu attend quelque chose d’eux aussi. La soumission au rite n’est rien si elle ne s’accompagne d’une vraie conversion du cœur, qui elle-même se prouve par des décisions et des gestes concrets. On peut hélas toujours se cuirasser contre la grâce et rester prisonnier de ses préjugés et de son orgueil, et aussi se contenter de parler au lieu d’agir.

Tout cela est scellé par l’épisode du baptême de Jésus. Il est évident que Lui-même n’avait pas besoin de ce rite de pénitence, puisqu’Il est sans péché, pas plus que de la circoncision, ou de la purification pour sa Mère, ou même de la croix et du tombeau : Il ne méritait pas ça ! Mais justement, c’est déjà ici la méthode de Dieu pour sauver les hommes. Il ne le fait pas de loin, mais au plus près possible. Quand Il nous voit patauger, Il vient patauger avec nous ! « C’est ce qui est juste » répondra-t-il à St Jean qui voulait se récuser. St Luc note un petit détail qu’il est seul à préciser : Jésus priait. En ce moment solennel qui résume toute sa mission, Il est en communion visible avec le Père. Et le Père s’adresse à Lui, non à la foule : « Tu es… » « Bien-aimé », dans le grec profane, comme dans le grec biblique, veut dire « unique » : quand on aime « bien », on aime chacun comme s’il est unique, et c’est vrai de manière parfaite en Dieu. L’apparition de la colombe de l’Esprit Saint confirme cette mission de douceur et de paix. Voici donc Jésus accrédité par cette solennelle investiture pour son ministère public qui commence de fait aujourd’hui. La Trinité tout entière se porte garante d’un monde en passe d’être régénéré. Nous qui avons déjà bénéficié de cette grâce insigne du baptême, il nous reste à nous efforcer de ne pas la rendre impuissante par indolence et négligence, de croire à la force de Dieu en nous.

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9 janvier 2023 Baptême du Seigneur
Pendant. 30 ans, Jésus avait grandi dans le silence de ce petit bourg de Galilée, au sein d’une famille sans histoires. Et voici qu’il prend son tour dans la foule qui se presse auprès de Jean, parmi les pécheurs en désir de conversion. Il est le seul à savoir qu’Il n’est pas exactement dans les mêmes dispositions intérieures, mais ça ne se voit pas plus qu’à Nazareth. Comme les autres, Il est tout en désir d’ouverture à Dieu. Mais ce jour-là va dévoiler son identité la plus profonde, identité d’homme, mais bien plus que cela. Quand Il sort de l’eau, cette identité de son existence dans une époque, une famille, un coin de terre s’entrouvre et se déchire comme le ciel au-dessus de Lui. C’est une force immensément affectueuse qui descend autour de Lui, en Lui, un amour qui vient en grâce légère, comme une colombe, dit l’évangile, Lui dire la chose la plus intime qui soit : « Tu es ! » De toute éternité, Il reçoit tout ce qu’Il est du Père. Pour dire ça, les traducteurs de l’évangile font ce qu’ils peuvent : « Mon bon plaisir, ma faveur, mon amour, ma complaisance… » Tout cela exprime une double allégresse : la joie d’une estime donnée et reçue, la joie procurée par cette bonne opinion à Celui qui l’énonce : dire à Dieu la bonne opinion qu’on a de Lui, chanter la valeur qu’on Lui reconnaît. Jésus, le Fils de l’Homme, se laisse investir sans réserve aucune par ce bonheur d’être aimé par ce Père qui s’approche tout près, qui est la valeur même, l’Etre même à l’origine de tout être, Dieu ineffable et en même temps infiniment proche. Tout le mystère de la foi chrétienne est là, révélé en Jésus.

Pour nous aussi, l’important, c’est de se laisser aimer pour de bon, dire oui à une existence qui devient vivante à chaque instant. Plus nous nous rapprocherons de Lui, plus nous nous laisserons traverser par cette affection en acte qui est Dieu même, plus elle fera en nous son chemin de lumière et de joie. Accueillons aujourd’hui cette eau limpide qui débordera doucement de notre cœur à la suite de Jésus, Fils unique du Père.

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9  janvier 2022 Baptême du Christ C
La fête de ce jour est l’accomplissement du mystère de l’Incarnation : l’Enfant de Bethléem est devenu un adulte, qui a passé 30 ans dans le silence laborieux de Nazareth ; Il a quitté la maison paternelle et après sa retraite au désert, Le voici prêt à commencer sa mission au milieu des hommes. L’épisode raconté par St Luc et les autres évangélistes comporte deux éléments : une scène descriptive -comment ça s’est passé dans les faits- et une théophanie -Dieu qui se manifeste en Personne, Père et Esprit-Saint. St Luc présente l’événement à la manière d’un cinéaste : dès le début du montage de son œuvre, il place une scène à la fois grandiose et furtive qui va aider ensuite à percer l’énigme livrée peu à peu par le scénario. St Luc met en valeur le rôle et la présence de l’Esprit -il est le seul à l’appeler l’Esprit-Saint- cet Esprit qui agit dans la conception virginale, au baptême, dans le ministère et la fondation de l’Eglise à la Pentecôte. Le Père s’associe explicitement à cet acte initial, comme un acte fondateur de la communauté des fils de Dieu dont Jésus est le premier par nature. Nous assistons ici à une révélation adressée à Jésus d’abord, le Premier-Né, mais c’est tout l’univers qui est concerné. Nous sommes par-là invités à saisir toutes les dimensions de notre baptême, en lien avec celui de Jésus. C’est pour Lui comme une pentecôte anticipée, qui révèle qu’en sa Personne, le Père est comblé et trouve sa joie. Il est un être unique relié à ce Père par la communion à l’Esprit qui Le pousse à coïncider avec eux dans une même volonté de constituer une humanité nouvelle. C’est la profonde identité du Père, du Fils et de l’Esprit qui se communique à l’humanité. Le mouvement de l’Incarnation est donc signifié et déjà accompli en germe ici : être chrétien, ce sera découvrir toujours plus cette réalité bouleversante : être quelqu’un qui tire son origine de Dieu qui crée par amour exclusif et qui exalte chacun plus que n’importe quel père pourrait le faire pour son fils ! Car, depuis les origines, Dieu n’a créé le monde que pour cela. St François de Sales fait remarquer qu’on ne plante une vigne que pour son fruit : ce fruit est le premier désiré, mais il n’apparaît qu’après les feuilles et les fleurs. Dieu crée en premier l’univers matériel, puis la vie apparaît quand les conditions sont réunies ; elle se développe de manière de plus en plus complexe, et de cette longue évolution a émergé l’homme. Tout cela pour accueillir l’Homme par excellence, le nouvel Adam, en qui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité, Jésus de Nazareth, le Fils unique du Père, apparu dans ces temps qui sont les derniers, comme dit l’épître aux Hébreux. « Ce fut en vue de ce fruit désirable que fut plantée la vigne de l’univers » dit encore St François. La matière et toutes ses énergies, la vie dans sa complexité infinie, l’émergence de la conscience, de la pensée et de la liberté, tout cela a été voulu pour aboutir à l’Homme-Dieu, orienté dès le départ vers une humanité à laquelle Dieu se communique dans la personne de son Fils éternel. Mais Dieu ne veut pas contenir sa bonté dans ce Fils seulement : Il associe une multitude d’êtres à la grâce filiale, anges et hommes. Et voilà ce que réalise notre baptême : il est à la fois déclaration d’amour de la part de Dieu, par la filiation divine et invitation au don de soi pour inaugurer une vie nouvelle parmi les hommes. Mais encore faut-il que nous Le laissions déployer en nous ses dons, les dons du Saint-Esprit, en particulier. Sans la grâce des sacrements, un enfant ne peut grandir dans la foi, mais d’autre part, ces dons ineffables appellent une collaboration d’autant plus reconnaissante et attentive. Tout est donné et tout reste à faire, en quelque sorte. Dans le baptême, en effet, Dieu veut inverser le courant mortifère qui nous vient du péché d’Adam, Il infléchit la courbe dans le bon sens. Il nous guérit par pure grâce de l’infection du péché originel et de l’infirmité humaine qui en découle. Mais par une disposition de la Providence divine, ces deux guérisons sont distinctes : l’infection est immédiatement et radicalement noyée dans le Sang du Christ, tandis que l’infirmité n’est que lentement et imparfaitement surmontée. Il y a comme une impuissance, un dénuement qui perdure, ce qui nous fait souvent crier vers Dieu : c’est très bien d’être mendiant ! Mais si Dieu ne donne pas à la nature, malgré le don de la grâce, de régner immédiatement et totalement en nous, Il se doit de nous donner ce germe pour parvenir finalement à un triomphe absolu. Comment un enfant, qui a pourtant reçu « tout ce qu’il faut » pour être un saint, comprendra qui est Dieu et ce qu’Il veut lui donner, ce Dieu qui est invisible par nature, s’il ne voit pas dans une vie très ordinaire et quotidienne, ses parents poser des actes, avoir des comportements, prendre du temps en lien avec Dieu et par amour de Lui ? Un abbé bénédictin qui vient de prêcher une retraite donnait une belle définition de la sainteté, à laquelle nous sommes tous appelés : la sainteté, c’est essayer. Eh bien, essayons, pas une fois, mais chaque fois, encore et encore. Dites à vos enfants d’essayer avec vous, et Dieu vous mènera pas à pas au triomphe final avec eux, puisque le baptême signifie en premier que Dieu nous veut tous auprès de Lui dans sa gloire.

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Baptême du Seigneur B 10 janvier 2021
Moment crucial que celui où Jésus se retrouve dans le même bain que les pécheurs en quête de pénitence et de conversion, Lui qui n’en a nul besoin. Crucial au sens de carrefour, croisée de chemins : jusque-là, il n’était qu’un petit enfant juif parmi d’autres, doué mais pauvre, artisan de village comme son père, qui savait des choses dont on se demandait déjà où Il les avait pêchées. Que pouvait-Il avoir appris, sinon ce que lui avait donné la synagogue de Nazareth ? Et de Nazareth, que peut-il sortir de bon ? Il suivait toutes les coutumes pieuses de sa famille, dans cette Galilée conservatrice du Royaume du Nord. Et voici qu’à 30 ans, de manière totalement imprévue, Il quitte sa région, se sépare de sa famille, au point que ses proches viennent un jour Le rechercher pour le ramener à la maison, en disant qu’Il perd la tête. Il a pris la route du désert, comme Jean, son cousin, que rien ne destinait à être cet ermite hirsute et tonitruant qui remuait les foules. Sa voie était aussi toute tracée : de famille sacerdotale, il aurait eu comme son père Zacharie une fonction honorable où il aurait pu sans doute faire beaucoup de bien. Or, il prend le chemin du désert, qui par définition ne conduit nulle part : dans la solitude, là où il n’y a plus de chemin, c’est le Chemin qui vient à lui. Et c’est là -mais il est hautement symbolique que l’événement se passe au bord de l’eau, qui est le contraire du désert, ce qui est un classique des prophètes : le désert qui se change en eaux jaillissantes- c’est là que se passe l’événement d’aujourd’hui. A force d’écouter dans la solitude, il peut entendre une Voix qu’il n’attendait pas, la Voix du Père qui tonne dans ce lieu où il ne se passe rien, comme soutenue par le bruissement de l’eau. Elle lui fait découvrir d’un coup la voix profonde de son cœur, en même temps que Celui qu’elle désigne comme l’Unique, le Bien-Aimé, le Fils du Père éternel. C’est la révélation que c’est Lui, la Voie, le Chemin, pour tous les hommes en quête de vérité. Dieu est rarement conforme à nos attentes.

En général, la plupart d’entre nous bâtissent leur vie en regardant en arrière : « Ah, l’enfance insouciante… le temps des études… le service militaire…»  Après coup, tout est plus beau en arrière, et le présent est toujours plus raboteux. Ou bien, on projette ses rêves et ses chimères sur un avenir rose, parce qu’il est toujours facile de monter ses idées en mayonnaise et en jeu de cubes. Mythes du paradis perdu et du Grand Soir qui aliènent l’homme à son présent. Nous sommes à la fois en relation au temps qui n’est déjà plus, produits finis (ou pas tout-à-fait finis, justement) de nos chromosomes et de notre éducation, et en même temps en relation avec l’éternité à venir, qui détermine notre identité vraie. L’avenir se construit en tenant compte du passé -pas moyen de faire autrement, de toutes façons- mais sans s’y laisser enfermer, et sans forcer le futur à correspondre en tous points à nos désirs. Humilité et don de soi, décision et souplesse, en écoutant la seule Voix qui ne trompe pas, en regardant le seul Visage qui ne déçoit pas. Il est urgent de se ménager un petit coin de désert où on peut attendre cette Voix, où on est amené un beau jour au bord de l’eau rien que pour ça, pour entendre que nous sommes fils et filles du Père, pour que nous soit révélé le fond de notre être. Et comme les mages, on repart par un autre chemin, parce qu’on ne repart jamais comme on est venu d’une expérience de ce genre.

Quel qu’ait été le chemin qui nous a conduits  jusque-là, avec ses joies et ses douleurs, ses grâces et ses blessures, en ligne droite ou par des méandres sinueux, nous sommes appelés à cette rencontre qui est en elle-même une conversion. Là peut être guérie toute blessure, donner un sens à notre présent comme à notre avenir révélé en Jésus, Fils bien-aimé du Père, notre frère.

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Baptême du Seigneur 13 janvier 2019
Le mystère de la manifestation –Epiphanie- du Christ se développe en trois tableaux dont nous avons fêté le premier dans l’adoration des Mages et le salut promis aux nations. Après un saut d’une trentaine d’années, nous voici aujourd’hui dans la dernière partie de la vie du Sauveur Jésus, qui est marquée par cet événement singulier, la première intervention de la Trinité au seuil de la vie publique du Messie. Il s’agit bien ici d’un mystère, quelque chose de grandiose qui dépasse notre compréhension humaine et que nous ne pouvons qu’approcher avec crainte et adoration, comme Moyse lorsqu’il rencontrait Dieu et Lui parlait.

Les rites de purification sont communs à toutes les religions : ils signifient la conscience du péché que seul Dieu peut laver. L’eau devient le signe extérieur de ce désir de correspondre à la sainteté de Dieu et de faire ce qui est juste devant Lui. Mais en même temps, l’homme pressent sa radicale impuissance et refait donc à longueur de vie les mêmes gestes. Les juifs connaissaient eux aussi ces pratiques ; le baptême par immersion avait un sens plus solennel et plus plénier, qui était l’aboutissement de longs efforts de purification intérieure et la marque d’un engagement plus décisif dans une vie pleinement fidèle au Seigneur ; il était aussi donné à des personnes qui voulait adhérer à la religion d’Israël, et certains le considéraient alors aussi important que la circoncision, une sorte de préfiguration de notre baptême. Le baptême de Jean comprend ces deux aspects ; il est donné au désert, lieu de retraite, comporte l’aveu des péchés et le repentir, et signifie une conversion définitive pour se préparer à accueillir le Messie. Tout cela fait comprendre les protestations de Jean quand Jésus vient lui demander de Le recevoir comme les autres pécheurs : il pressent la qualité exceptionnelle de son cousin et voit bien que la logique habituelle du geste ne s’applique pas à Lui. Pourtant il cède à ses instances quand Jésus lui donne cette raison énigmatique qui fonde sa décision irrévocable : « C’est de cette façon que nous devons accomplir ce qui est juste. » Quelle est donc cette justice, selon Lui ? Le premier geste du Christ est emblématique de toute sa mission : Il se met d’emblée du côté des pécheurs, Il veut être solidaire de l’homme dans sa faillite spirituelle. Il prend la condition humaine non pas de haut et de façon extérieure, mais de l’intérieur, l’entraînant dans un mouvement qui respecte la liberté de chacun pour la redresser. C’est là la manière dont Il présente le droit, comme disait Isaïe, en persévérant dans sa propre fidélité à l’amour du Père. Et ce sera une telle révolution qu’Il sera pris à parti par les maîtres du temps, qui ne supporteront pas qu’Il paie ainsi de sa personne et ne se contente pas de donner quelques indications gratuites sur la nécessité de se convertir. L’ombre de la croix se profile dès le baptême, dont il parlera d’ailleurs comme son baptême réel, celui-ci n’en étant que l’annonce. Et le Père répond à cette humiliation volontaire par l’envoi de l’Esprit et en disant que Celui-ci, Jésus de Nazareth, est vraiment le Fils qu’Il comble de son amour.

Que veut-Il nous dire aujourd’hui ? Il veut donc être à niveau avec notre faiblesse et notre pauvreté : c’est là qu’Il nous attend. Inutile donc de Le chercher ailleurs, de se donner de l’importance et de cacher notre insignifiance sous des exigences de respect envers notre petit moi érigé en divinité. Pas plus qu’il n’est désirable de s’imaginer que nous puissions être un jour dignes de sa protection et de son amour. Au contraire, c’est au creux de notre mauvaise conscience, de notre péché accepté et reconnu qu’Il nous rejoint et nous apprend à recourir à Lui sur le chemin de la réhabilitation. C’est en nous laissant tremper et décrasser dans son eau que nous pouvons remonter sur la rive et recevoir comme Lui l’Esprit qui fait de nous des fils, ses frères. C’est dans la proximité et l’acceptation de la faiblesse – la nôtre et l’indulgence pour celle des autres – que nous désirerons toujours plus notre purification et la nécessité d’une conversion sans cesse plus sincère. Notre baptême, qui est bien plus que celui de Jean et déjà en nous victoire contre le mal, nous engage sur ce chemin qui conduit à la vie. Tout est donc déjà dit en ce premier acte : il nous reste à en développer la logique qui fleurira à Pâques.

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Baptême du Seigneur 13 janvier 2019
Aujourd’hui s’achèvent les fêtes de la Nativité du Seigneur, par un saut dans le temps d’une trentaine d’années : nous retrouvons le Sauveur Jésus au début de son ministère public, après une jeunesse dont on ne sait que le poids d’un silence impressionnant. Cet événement du baptême de Jésus est rapporté par les 4 évangiles : il est donc de première importance pour la compréhension de son être et de sa mission. Et chaque évangéliste insiste sur l’un ou l’autre aspect qui lui est propre. Chez St Luc, on en trouve particulièrement 3, que les autres ne reprennent pas : 1. Jésus reçoit ce baptême comme tout le peuple ; 2. C’est en priant que l’Esprit Saint se manifeste à Lui ; 3. La voix venue du ciel le désigne comme Fils engendré du Père aujourd’hui. Or ces trois accents sont précieux pour comprendre mieux notre propre baptême.

     Après 2000 ans de christianisme, nous savons, si nous voulons bien nous laisser guider par le foi de l’Eglise, qui est Jésus : le Fils du Père Eternel, oui, cet Enfant de la crèche est vraiment Dieu ! Mais au moment où Il se présente à Jean, personne ne Le connaît encore. Il n’a pas encore prêché, pas fait de miracles, par appelé un seul disciple. Il n’est qu’un modeste artisan de village qui en sait un peu plus que les autres au plan de la foi, et encore, seuls ses proches s’en rendent un peu compte. Il est comme tant d’autres : un jeune juif pratiquant, fidèle à la Loi, comme tout le monde devrait l’être. Il vient là comme tout le monde, accomplir un geste de piété, comme on va en pèlerinage à Jérusalem et comme on va prier au Temple. Nous aussi, nous sommes venus ce matin comme tout le monde ?... Plus tout-à-fait, puisque beaucoup de gens, au demeurant pas forcément plus méchants que nous, on lâché ce type d’humble fidélité : on ne va plus à la Messe le dimanche, on ne baptise plus ses enfants, parce que déjà, on ne s’est pas marié, et on finira sans même passer par l’église… Or, nous ne sommes pas chrétiens tout seuls. Si nous n’éprouvons peut-être pas toujours le besoin de nous rassembler avec d’autres, sans doute les autres ont-ils besoin de nous, de notre exemple, de notre fidélité. Il n’y a pas de vie chrétienne isolée. Jésus, Fils de Dieu, éternel et parfait, s’insère pleinement dans ce petit peuple dont Il veut être solidaire jusque dans son côté le plus moche, le moins intéressant : son péché. Positivement, le premier effet du baptême est de nous faire entrer dans cette famille qu’est l’Eglise, qui n’est pas un club select de gens qui se croient parfaits, mais de cabossés en espérance de rédemption. Ensuite St Luc nous dit que la descente de l’Esprit Saint sur Jésus est non pas une conséquence du baptême –il ne faut pas oublier qu’il n’a rien de sacramentel au sens où on l’entend aujourd’hui, mais qu’il est seulement un signe de repentir et de bonne volonté- mais un fruit de sa prière, de son désir extériorisé de communion avec son Père et l’Esprit-Saint. Il n’a bien sûr pas attendu ce jour là pour être en communion avec eux, mais d’une effusion particulière de l’Esprit au sens d’un charisme, c-à-d un don de l’Esprit pour les autres, pour le bien de la communauté dans laquelle Il se plonge. C’est pour elle qu’Il commence aujourd’hui son ministère et qu’il reçoit du Père cette mission. Il le dira dans la synagogue de Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, Il m’a consacré, m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres. » Nous aussi, à sa suite, c’est seulement en communion de prière très fidèle, persévérante et profonde, que nous pourrons témoigner de Lui à la face du monde. La prière n’est pas un acte privé, destiné seulement à l’entretien de notre vie intérieure : elle nous pousse en avant à rayonner quelque chose de Dieu que nous recevons, selon notre état de vie. Ce que signifie le sacrement de confirmation qui achève notre baptême.

Et enfin, St Luc reprend le ps. 2 que nous avons chanté souvent durant le temps de Noël : « Aujourd’hui, je t’ai engendré. » Ce jeune homme qui est comme tout le monde, Il est rempli d’un mystère indicible, et les mots sont un peu courts pour dire ce mystère. Le Cardinal Danneels écrivait : « Comment savoir si nous sommes passés à cette foi réelle, où Jésus est pour nous plus qu’un prophète ? C’est très simple : ne faisons-nous que penser à Jésus, parler à Jésus, en discuter, l’admirer et rien de plus ? Ou nous mettons-nous à sa suite et L’adorons-nous ? » Car il y a loin, en effet, de la simple admiration à l’adoration où l’on remet à Dieu seul toute sa vie et ses désirs pour qu’il soit non pas seulement un ami, mais notre Seigneur et notre Père.

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Baptême du Seigneur 8 janvier 2018
C’est presque une mise en scène spatiale de l’Incarnation que l’évangile de cette fête nous propose : Celui qui est le Christ, Verbe de Dieu et son Fils Unique descend au plus profond de notre condition humaine, dans cette eau boueuse où barbotent les pécheurs en espérance de purification. Les paroles décapantes de Jean-Baptiste résonnent à leurs oreilles et ils courbent la tête sous l’algarade, en ayant conscience qu’ils méritent sa sévérité, comme des enfants pas très sages qui savent que, comme on dit, c’est pour leur bien. Mais ce qui les frappe aujourd’hui plus encore, c’est l’exemple de ce prophète qu’ils admirent en le craignant : lui qui est si grand à leurs yeux, il n’a pas de paroles assez fortes pour se faire tout petit devant Celui qui vient. Il annonce que ce geste de pénitence qu’il leur conseille n’est qu’une pâle annonce de ce que Lui, le Messie, accomplira par son sacrifice : le pardon des péchés que pour l’heure, il ne pouvait que dénoncer et pointer du doigt. Tout comme les sacrifices du Temple étaient impuissants à enlever cette tare qui nous colle à la peau, le baptême de Jean n’était rien d’autre qu’un geste d’espérance.

Mais le sommet de la fête de ce jour, c’est la parole du Père qui est comme l’investiture de la mission du Fils en ce monde : c’est le dernier mot de la théophanie que nous fêtions hier dans la visite des mages à la crèche. Jésus prend la place de l’homme pécheur et courbe la tête en son nom sous l’eau du Baptiste et c’est là, au plus bas de la condition humaine, dans ce rite mystérieux, que la Trinité tout entière proclame la divinité de Jésus de Nazareth. Ainsi est déjà amorcée notre adoption. C’est pourquoi les textes anciens de la Messe évoquaient les enfants de lumière que nous sommes devenus dans le baptême, le vrai, et rappelaient à tous qu’il ne peut rien subsister de ténèbres dans notre conduite, pour ne désirer rien qui ne ne soit vrai et droit. Tout cela, nous l’avons demandé dans la prière d’ouverture de la Messe : puissions-nous, au terme des fêtes de la Nativité, nous garder toujours dans la sainte volonté de Celui qui s’est fait péché pour nous, comme dit l’Apôtre.