Homélies du Temps de l'Avent

Année liturgique A

1er dimanche de l’Avent A 27 novembre 2022
« Dieu existe, je L’ai rencontré » : c’était le titre assez percutant d’un académicien français qui relatait son parcours de foi qui l’avait mené d’un athéisme tranquille à la foi en Jésus-Christ. Cette expérience, finalement beaucoup la font un jour ou l’autre : sans doute ne serions-nous pas là ce matin si cela ne nous était pas arrivé, chacun à notre manière. En ce premier dimanche de l’année liturgique, les textes que la liturgie nous propose nous remettent devant cette évidence : oui, Dieu existe, même si je ne Le vois pas, et en plus, Il vient à ma rencontre parce que je compte pour Lui. Dieu existe, en effet : ça ne dépend pas de ma foi, ni de ceux qui le nient, ce qui est finalement une manière de ne pas pouvoir éviter la question. Depuis l’aube de l’humanité, de manière souvent obscure et fragmentaire, les hommes ont su que Quelqu’Un au-dessus d’eux était à l’origine de leur vie. Ils Lui ont rendu un culte, même en ne sachant pas très bien à Qui il s’adressait. Et voici que soudain, se produit dans l’histoire cet événement unique : Celui qu’on appelle Dieu, transcendant, infini, lointain, inconnaissable se manifeste en direct. Il prend la direction d’un peuple, de vies, de destinées. En s’adressant à des personnes précises -Adam et Eve, Abraham, Moyse et tous les autres, Il façonne une manière de Le comprendre plus précisément, pas seulement par les déductions de l’intelligence, mais par révélation, pas seulement de manière théorique, mais dans une relation cœur à cœur, une relation d’amitié offerte et reçue.  Et enfin, comme si ça ne suffisait pas, Il se dérange Lui-même en son Fils unique et Bien-aimé. Dieu n’est donc pas seulement Celui qui existe, ce qui est assez évident : Il est Celui qui vient à nous, qui s’approche et se rend proche parce qu’Il aime, et parce que Celui qui aime ne supporte pas la distance. Le temps de l’Avent, chaque année, veut nous rappeler cette proximité inouïe et ce désir des siècles : « Viens, Seigneur, nous T’attendons ! » Et c’est pourquoi l’Incarnation est l’événement qui fonde le christianisme et qui n’a son équivalent dans aucune autre religion. Après cela, il n’y a rien de mieux à attendre que l’éternité : nous sommes depuis lors dans les derniers temps. Mais si Jésus, Fils unique de Dieu, seconde Personne de la Sainte Trinité, donc Dieu Lui-même est venu sur notre terre il y a 2000 ans, nous avons encore à L’accueillir dans chacune de nos vies, et le critère de cet accueil pourrait être : « Qu’est-ce que ça change dans une quelconque de mes journées ? » C’est ce que nous suggère l’évangile : le partage se fait déjà entre ceux qui mangent, boivent et se marient sans avoir d’autre but que d’en profiter au maximum, en sachant pourtant qu’ils dansent sur un volcan et que le déluge peut survenir à tout moment, et ceux qui consentent à cette attente active qui nous rappelle que l’essentiel et le définitif sont ailleurs. Non pas, bien sûr, et c’est aussi une évidence que l’Incarnation a même développée, qu’il soit interdit de boire, de manger et de se marier ; mais, précise l’apôtre, sans ripailles ni orgie, sans luxure ni débauche ; on peut bien s’occuper du champ et du moulin, mais sans querelles ni jalousies. Autrement dit, sans que ces choses deviennent un absolu, ce que St Paul appelle les œuvres des ténèbres, de ces occupations purement terrestres qui peuvent nous emprisonner jusqu’à nous empêcher de penser à autre chose. Après une longue période où l’on a consommé sans retenue, nous avons maintenant une fantastique opportunité de réfréner, limiter ce qu’on nous a trop présenté comme indispensable à notre bonheur, se contenter du nécessaire pour que ce que nous faisons soit mis résolument sous le regard de Dieu qui vient à nous à chaque instant. Plus le monde nous assourdit et nous abrutit, plus il est urgent de nous réveiller, et cette prise de conscience est déjà un début de lumière. Et cela ne va pas sans un jugement, une division : « L’un est pris, l’autre laissé. » Mais pour celui qui veille, l’avènement de Dieu n’est pas un motif de crainte, une sourde menace comme certaines voix nous le répètent avec insistance. C’est bien plutôt un motif de joie et de confiance : « Relevez la tête, car votre délivrance est proche. » Un jour, nous le croyons, nous déboucherons dans la pleine lumière et dans la paix que nous avons entrevues et ardemment désirées tout au long de notre vie. L’Avent est tout entier rempli de ces petites lumières qui transpercent la nuit et qui aboutissent à la crèche. Même ceux qui n’y pensent guère dans le cours ordinaire de la vie n’y sont pas insensibles. Puissent-ils avec nous aller jusqu'à la source qui est le Christ de Bethléem.

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1er dimanche de l’Avent A 1er décembre 2019
Il arrivera dans l’avenir… C’est le moment, l’heure est venue… c’est à l’heure où vous n’y pensez pas… C’est une sorte d’imminence que ce dimanche nous annonce, mais cette imminence tarde à venir ! Nous sommes coincés entre le temps et l’éternité, ce qui n’est pas toujours très confortable. Cette donnée fondamentale de notre vie sur terre, nous pouvons comme les autres la subir en gémissant -oh, ce temps qui fuit et qui nous manque !- ou le recevoir comme un cadeau de chaque instant qui nous rapproche de la seule échéance certaine : notre mort, c’est-à-dire notre passage vers la vraie vie. Ce temps de l’Avent, qui nous fait recommencer chaque année le parcours qui va de la terre au ciel, de l’Incarnation à la Rédemption, nous invite à prendre à nouveau conscience de cette donnée qui est comme l’air que nous respirons : ça n’empêche pas de boire et de manger, de se marier et de travailler. Sans l’air, sans le temps, nous ne pourrions pas faire tout ça. Et ce cadre nous donne tant de possibilités magnifiques ! Peut-être pourrions-nous commencer par en remercier chaque jour le Créateur : Merci, Seigneur, du temps que Vous nous donnez ! Apprenez-nous à ne pas le gaspiller ! Les premiers chrétiens, auxquels St Paul s’adresse, ont vécu toute une génération comme un long avent, en étant convaincus que le Seigneur allait revenir d’un jour à l’autre. Ils pensaient que le temps réel (non pas symbolique) dans lequel ils vivaient était tout tendu vers la réalisation finale de l’histoire. Et donc, ils ne voyaient pas l’intérêt de créer des structures ecclésiales, une liturgie élaborée, des organisations caritatives. Puisque nous, nous savons que ça peut durer encore un moment, nous avons fait tout ça, et parfois, nous en sommes encombrés comme David dans l’armure de Saül. Mais ces premiers chrétiens, comme Jésus Lui-même d’ailleurs, nous rappellent quelque chose d’important. Ils avaient tort d’attendre la fin du monde de leur vivant, sur ce point ils se trompaient. Mais c’est une erreur qui est au fond de peu d’importance. Car le temps dans sa dimension matérielle -le tic-tac de l’horloge- ce n’est pas si important que ça. Ce qui est important, c’est comment nous le remplissons, comment il est assumé et vécu, ce que nous en faisons. On peut le remplir de futilités, d’égoïsme et d’injustice. Ou bien, parce que Jésus est là depuis sa résurrection et qu’Il le sera pleinement quand il reviendra, rester orienté vers le nord de la boussole qui est son amour sans limites et sans conditions. Quand St Matthieu rédige son évangile, la persécution de Néron vient de décapiter l’Eglise par le martyre des SS Pierre et Paul. Jérusalem a été détruite, alors qu’Isaïe la voyait, 7 siècles avant, comme un point de ralliement d’une humanité renouvelée. Aujourd’hui encore, des conflits de toute sorte défigurent l’humanité : pourquoi est-ce juste le contraire de cette prophétie qui semble s’accomplir sous nos yeux ? D’autant plus que ce sont le plus souvent les petits et les pauvres qui paient la facture. Oui, pourquoi, sinon parce que nous ne sommes pas assez vigilants ? Oh, bien sûr, ce n’est ni vous ni moi qui sommes responsables de tout, mais nous sommes tous capables d’être des témoins coupables, comme les appelle un auteur contemporain. Oui, cette prophétie est une accusation, un reproche cuisant, mais elle est aussi le fondement de notre espérance. Car elle annonce la venue d’un Sauveur, qui est venu, et qui reste malgré tout le Maître de l’histoire. Il respecte notre liberté (un peu trop quand il s’agit des autres, surtout s’ils sont méchants), Il nous laisse somnoler tout en nous le reprochant de temps à autre. Il se réjouit chaque fois que nous ne pactisons pas avec le mal, quel qu’il soit, en nous et autour de nous, oui, là, tout près. La victoire finale dépend de Lui et de Lui seul. Alors, c’est pour quand ? C’est là que le temps nous rattrape ou que nous rattrapons le temps : c’est à travers nous qu’il a choisi de la réaliser. Un peu d’amour donné, de pardon, de gestes de paix aujourd’hui, et le monde ira mieux. C’est dur de se convertir, hein ? Mais à cœur vaillant, rien d’impossible ! Soyons vigilants, accueillons la grâce de chaque instant, sinon, la victoire risque de nous échapper encore durant quelques millénaires.

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1er dimanche de l’Avent A – 27 novembre 2016
L’appellation du temps qui commence une nouvelle année liturgique est déjà en elle-même un programme : Avent veut dire arrivée. Dieu ne cesse de venir à nous. L’ancienne Alliance le pressentait déjà, et aboutit tout entière à l’avènement du Messie. Nous revivons là, dans notre expérience religieuse, génération après génération, cette attente ardente de voir Dieu, enfin, au bout de toutes nos nuits. Noël sera la réalisation définitive de ce désir de l’âme, le début de la fin des temps dans laquelle nous sommes : « Qui Dieu possède, rien ne lui manque », dit Ste Thérèse d’Avila. Il nous faut donc toujours revenir à ce point de non-retour à partir duquel nous comptons désormais le temps et mettre toute notre attention à accueillir le Sauveur qui vient et revient à nous, à longueur de vie. Car lorsque le temps s’allonge, que rien de bien saillant ne vient rompre la monotonie des jours et des mois, on a tendance à s’assoupir et à laisser couler. Ce qui est étonnant, c’est que depuis la venue du Fils de Dieu en ce monde, il s’est toujours trouvé des gens qui ont pris ça au sérieux et qui continuent à se demander comment répondre à cette présence invisible de Dieu dans leur vie, discerner cette approche qui se fait toujours à pas feutrés, comme lors de la naissance de Bethléem. Car Dieu ne s’est pas contenté de venir une seule fois : comme Il s’est manifesté à longueur de siècle depuis la création, sous de multiples formes et par des intermédiaires variés, Il continue à frapper à la porte de notre coeur, sans crier gare et souvent quand on ne L’attend pas. Ce qui est le plus déroutant pour nous, c’est qu’Il vient dans la trame la plus ordinaire de notre vie ; la plupart ne s’en aperçoivent guère : on mange, on boit, on se marie, on est aux champs et au moulin, et ça suffit à remplir la plupart des existences. Dieu, sans doute, n’est pas exclu forcément de l’horizon, mais Il est là incognito, tant qu’on a pas vraiment besoin de Lui. Peut-être que ces dernières années font pressentir un déluge possible, mais tant qu’Il n’est pas là, on ne change pas grand’chose au train-train quotidien. La vision d’Isaïe est toute de lumière et de paix, c’est une promesse radieuse qui rassemble toutes les nations à la montagne du temple du Seigneur. Or, le prophète écrit dans un temps de désolation et d’exil et son livre est aussi celui du Serviteur souffrant. Mais Dieu lui inspire aussi des pages de lumière qui sont comme des trouées dans la nuit. Certes, l’arrivée de cette lumière n’est pas sans provoquer un jugement et une division : l’un est pris et l’autre laissé, dit l’évangile. Celui qui veille est celui qui croit à la lumière et se conduit comme en plein jour, ce qui est un bon critère d’action : je ne fais que ce qui peut être fait au vu et su de tous. La promesse de Dieu est une menace seulement pour ceux qui agissent dans l’ombre et le secret parce que leurs oeuvres sont mauvaises.
L’évangile de ce premier dimanche de l’avent est situé tout à la fin des paroles de Jésus : elles ont dû un peu interloquer les apôtres. Car Il était bien là, et Il dit qu’Il doit venir encore ? Il donne deux caractéristiques de cette venue définitive : elle est inopinée, car Il est le Maître qui n’a pas à s’annoncer, et Il s’imposera de façon irréfutable. Et encore : elle sera universelle, personne ne pourra se défiler, de même que le déluge a emporté tout le monde. A l’inconscience universelle répond la soudaineté implacable de sa venue. Il y a là quelque chose de redoutable qui balaie bien des prétentions humaines de tout maîtriser et prospecter, de prévoir et d’assurer. Il s’agit donc simplement de se tenir prêt à l’imprévisible. Il n’est pas défendu de manger et de boire –avec mesure, l’apôtre le rappelle-, de se marier et de travailler, mais en se souvenant que l’essentiel n’est pas là. On ne peut laisser anesthésier sa conscience, se contenter du confort égoïste qui nous endort si souvent, car en définitive, il n’y a que Dieu qui demeure. La prophétie majestueuse d’Isaïe nous dit que c’est en entendant la voix du Seigneur et en L’acceptant comme Dieu que la paix est enfin donnée à ce monde qui languit en guerre perpétuelle. A la mesure de notre foi, nous pouvons en hâter la réalisation. Le Seigneur se manifestera à nous en cet avent béni : qu’Il nous garde vigilants et paisibles dans l’attente de son avènement définitif.

2ème dimanche de l’Avent A 4 décembre 2022
« En ces jours-là… » Les deux premiers chapitres de l’évangile de St Matthieu concernent sa naissance et son enfance. Le troisième fait un saut chronologique d’une trentaine d’années, qui fait l’impasse sur la vie cachée de Nazareth. Une nouvelle ère commence avec une voix. Il y a beaucoup de voix qui nous remplissent les oreilles hier comme aujourd’hui. Mais cette voix n’est pas comme les autres. Elle draine les foules jusqu’au désert où elle se déploie avec une force inédite. Pourtant, il n’a rien pour séduire : l’accoutrement, la marginalité, la rudesse du langage devraient logiquement en éloigner beaucoup. Or, même la crème de la société religieuse se déplace. Car, quoi qu’on en puisse dire ou penser, il y a au fond de tout homme une sorte d’instinct de vérité qui affleure malgré tous les obstacles dus au milieu, à l’éducation, aux préjugés, aux intérêts. Peut-être aussi un peu de curiosité, mais Dieu se sert de tout, et Il nous prend par l’anse qui est du bon côté. Pouvaient-ils prévoir, ces chefs religieux, qu’ils seraient frontalement pris à parti ? L’évangile, en tous cas, ne dit rien de leur réaction. Ils sont passés à la lessive comme tout le monde. On a comme l’impression que l’Esprit de Sagesse dont parle le prophète s’est doucement coulé dans les cœurs les plus réfractaires à son action, il adoucit les paroles sévères du Précurseur pour les incliner vers Celui qui doit venir après lui et devant lequel il n’est rien. Car c’est la conversion du cœur qui est la grande affaire, ce qui a toujours été la préoccupation de tous les hommes de Dieu. En chacun, il y a du bon et du moins bon, et même du mauvais. L’Esprit et sa lumière viennent faire le tri quand on le laisse entrer : c’est ce qui donne la paix véritable, son premier fruit et l’indice le plus clair de la présence de Dieu dans une âme. En ces temps troublés, les foules étaient avides de retrouver la paix intérieure, à défaut de la tranquillité sociale et civile dans ce pays occupé, sans cesse secoué par l’agitation de groupes rebelles.

Voici donc Dieu qui commence à venir et à agir : Il le fait par la voix de ce prophète, tellement puissante qu’elle peut bien faire surgir des enfants à Abraham à partir des pierres du désert. Pour les juifs, en effet, les païens qu’ils méprisent ne sont rien de plus que les cailloux du désert. Et voici que le feu dévorant de son amour les invite à devenir ses enfants et ses amis, et que beaucoup de ces méprisés les précéderont dans le Royaume qu’Il vient fonder sur la terre. L’eau de la pénitence n’est qu’un début, certes essentiel, car il est signe de cette bonne volonté qui permet à Dieu d’agir, mais celui qui baptise dans le Jourdain doit ensuite passer la main, céder la place à un autre plus puissant que lui, qui baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. Le feu et l’eau : des symboles forts qui traversent toutes les religions et qui, chacun à leur façon, disent quelque chose de l’action divine, invisible et réelle, dans les âmes. Feu de l’amour et du jugement, qui consume impitoyablement ce qui ne vaut rien, comme l’eau purifie en emportant tout sur son passage. Il ne laisse que le choix d’être consumé de son amour à Lui ou de brûler dans le brasier qui ne s’éteint pas si on l’a refusé. Ah, ça, c’est bien autre chose que la morale sociale des pharisiens et des sadducéens ! Ils se contentaient d’une sorte de bienséance qui tenait chacun à sa place et maintenait les privilèges, mais ce feu-là chasse tout égoïsme et purifie les intentions secrètes des cœurs pour que l’amour soit l’unique loi du Royaume qui vient. Il est infiniment plus exigeant qu’une conformité extérieure à un règlement qui permet de faire partie du club. Et, de fait, le mouvement ainsi amorcé se répand comme un feu, il aboutit à la Pentecôte et envahira le monde : y a-t-il un endroit de la planète où ne soit pas parvenu le nom de Jésus-Christ ? Cependant, bien des cœurs ne Le connaissent pas encore comme Quelqu’un qui les aime et qu’ils peuvent aimer. Il faudra encore beaucoup de voix intérieures et extérieures qui remuent et labourent pour que la semence répandue à profusion germe lentement et largement. Puisse chaque chrétien être un petit Jean-Baptiste qui invite et donne envie de s’ouvrir à la lumière et à l’amour, chasse les craintes de se faire avoir, de n’être pas à la hauteur, à contre-courant, ce qui est la condition normale du chrétien en ce monde. Que l’alliance réalisée par le Fils de Dieu qui unit les juifs et les païens se diffuse par tous ceux qui L’accueillent avec joie.

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2ème Dimanche de l’Avent A 4 décembre 2016
Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain : ça fait quand même beaucoup de monde ! La personnalité haute en couleur de Jean-Baptiste faisait donc recette. Certes, il y avait de tout dans ces foules qui se pressaient pour venir le voir au désert, mais lui ne se lassait pas de leur répercuter le message des prophètes : convertissez-vous ! avec une urgence particulière : Le Royaume des cieux est tout proche ! Aux pharisiens et aux sadducéens, il tient un discours adapté qui est non moins percutant, même si le contenu est identique : la conversion, ils connaissaient, pour la prêcher aux autres, mais il leur manquait de payer eux aussi de leur personne. Ils ne risquent pas d’être châtiés par Dieu, puisqu’ils sont sur la liste. Il nous arrive à nous aussi d’être assez forts pour la théorie et un peu plus timides pour la mise en oeuvre. De fait, il ne suffit pas d’avoir son nom sur un registre de baptême, ni même d’être prêtre ou religieuse, pour être à l’abri de tout reproche, pour plaire à Dieu et Lui rendre gloire. On est pas croyant et chrétien par procuration et ce que Dieu désire, c’est notre coeur et l’engagement personnel de tout notre être, pour pécheur qu’il soit et qu’il reste. Si certains méritent d’être traités d’engeance de vipères qui fuit la colère qui vient, ce n’est pas à cause de leur péché ; c’est parce qu’ils croient que malgré leur péché, ils sont plus justes que les autres et que Dieu devrait s’en contenter, parce qu’ils ont le badge d’entrée. Il leur manque l’humilité de ceux qui savent qu’ils n’ont rien à faire valoir et que l’eau qu’ils demandent au Baptiste n’est pas un geste magique qui les dispense du reste. Le discours de Jean-Baptiste, qui prêchait lui-même par son style de vie austère, nous concerne donc tous à des degrés variés. Tous, nous avons à nous retourner sans cesse vers Dieu, car sans cesse, nous L’oublions, et tant de choses prennent dans notre vie trop de place à côté de Lui. Mais de la pierre de notre coeur, dit-il, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham : combien cette parole est prophétique, non seulement dans l’histoire de l’Eglise, où tant de païens sont touchés par le Jésus de l’évangile, et ce n’est jamais fini. Devant Celui qui est capable de nous recréer ainsi, Jean se prosterne dans l’humilité du dernier des serviteurs : à la place de l’eau de la pénitence, Lui, Il donnera l’Esprit-Saint et le feu de l’amour. Pour tous ceux qui accueillent ce don, il ne restera rien des scories du péché, Il chassera tout égoïsme comme la bale du blé jetée au feu. Et de fait, l’amour est bien plus que la morale des pharisiens : c’est peut-être cela que les foules comprenaient confusément et qui leur donnait une formidable espérance. C’est bien plus, ce qui veut dire qu’on ne peut se contenter d’un minimum au-delà duquel on estimerait être quitte. Si l’évangile est plus que la Loi et le décalogue, cela signifie qu’il faut commencer par se laisser instruire, puis persévérer avec la force de Dieu pour Lui rendre gloire, comme dit St Paul aux Romains. Dans le langage de la Bible, connaître Dieu signifie non pas une connaissance théorique, un savoir informatif qui n’engage à rien et ne change rien au comportement : cela veut dire que tout l’être est imprégné de la vie même de Dieu, qui se répand ainsi au-dehors. Il faut donc que nous nous demandions sincèrement : si je dis que je suis chrétien, que je connais Dieu et que je sais qu’Il m’aime, qu’est-ce que ça change à mon comportement de tous les jours ? Il faudrait que, de manière souriante et silencieuse, ceux qui nous rencontrent se demandent : « Qu’est-ce qui fait que celui-là, celle-là, n’est pas comme les autres et que j’ai envie de lui ressembler ? » C’est ce qui fait que petit-à-petit, une société devient ou redevient vitalement chrétienne, selon l’expression du cardinal Journet : ça finit par former sans bruit une force –une force divine !- qui soulève le monde, parce que ces gens se reconnaissent entre eux ; c’est le levain de l’évangile dont il a tant besoin et qui apporte la paix qu’il cherche sans la trouver, en étant si impuissant à la bâtir et à la conserver. Il ne peut y avoir de paix sans la conversion du coeur de chacun, et nous pouvons commencer par le nôtre. C’est l’invitation pressante de Jean-Baptiste, c’est ce qu’annonce le prophète et ce qu’il souhaite ardemment pour les nations en douleur d’enfantement. Laissons-nous purifier par le feu de l’Esprit que le Christ nous apporte à nouveau, et sa gloire sera notre demeure.

3ème dimanche de l’Avent A 11 décembre 2022
L’une des plus grandes pauvretés, c’est de manquer de joie ; pire, peut-être : de ne plus être capable de joie. Jean-Baptiste, dans sa prison, est-il atteint de ce virus sournois qui plombe souvent lourdement tant de nos contemporains ? On serait de fait déprimé pour moins que ça : simplement de s’imaginer ce que pouvait être les prisons d’Hérode, on en a le frisson, même en pensant que son régime de vie antérieur l’avait un peu préparé à vivre de rien, comme les moines qui supportaient mieux que les autres déportés les conditions de vie des camps, parce qu’ils étaient habitués à une grande austérité de vie. Mais sa question posée par ses disciples envoyés à Jésus montre qu’il ne pensait pas d’abord à lui. L’obscurité n’était pas seulement celle des souterrains de la forteresse Antonia : elle avait gagné son esprit. Rien de pire, en effet, que de ne pas savoir pourquoi on souffre, de penser qu’on s’est trompé, d’avoir vécu pour rien ou d’avoir misé sur le mauvais cheval. Il ne pensait pas d’abord à son avenir sur terre. Il avait déjà donné sa vie en rendant témoignage à la vérité et ne regrettait rien. Mais il ne voulait pas orienter de travers ses disciples qui lui faisaient confiance et qu’il avait déjà donnés à Celui qui devait venir après lui. Il a donc besoin d’être rassuré dans ce doute pour pouvoir mourir en paix. Et Jésus qui sait tout cela le rend à la lumière intérieure. Tout ce que les prophètes avaient décrit se réalise point par point sous leurs yeux. Cette surabondance est la cause essentielle de ce qui est le grand thème de ce dimanche : la joie, présente dès le premier mot de l’introït. Savoir que Dieu n’est pas loin, Lui qui est l’amour infini, qu’Il n’est pas indifférent mais plein de compassion, qu’Il est Père miséricordieux qui nous suit pas à pas en respectant notre liberté, voilà le motif d’une joie profonde que les péripéties de la vie quotidienne ne peuvent entamer. C’est cette joie-là qu’Il veut nous faire revivre par l’attente de l’événement le plus heureux de l’histoire : la naissance du Fils de Dieu de la Vierge Immaculée. Cette joie n’est pas réservée aux chrétiens seuls : elle est, comme le chanteront les anges à Noël, pour toute l’humanité, et particulièrement les plus pauvres, les plus pauvres de joie, parce qu’ils sont dans une situation de guerre, d’oppression, de violence, éprouvées dans leur corps ou leur âme qui risque de leur faire oublier que la joie existe. Elle peut même coexister avec la souffrance : c’est ce qui dit joliment un auteur à sa manière : « Jamais on n’aime plus la vie qu’à l’ombre du renoncement. » Autrement dit, c’est dans un certain détachement de ce qui est réputé être indispensable à la joie qu’on la trouve, comme une sorte de supplément inattendu.

Jean-Baptiste dans sa prison est réduit à rien. Il est à la merci de ses geôliers, et la vie d’un condamné de cette sorte ne tient qu’à un fil, comme le montrera l’épisode final de sa vie. Mais tout laisse à penser qu’il n’a rien changé à ses habitudes d’ermite : il retrouve là le silence du désert après avoir été un prédicateur infatigable qui remuait les foules. On aurait pu croire qu’il vivait alors, à l’extérieur, comme nous souvent : aux frontières de nous-mêmes, au plan des émotions, des sentiments, des nerfs, des réflexes. Or, nous pouvons comme lui avoir de ces moments où nous rassemblons calmement notre intelligence et notre affectivité profonde, où le vouloir libre reprend le gouvernail. Car il y a en chaque être humain un lieu profond et secret, un centre infime et vital, à partir duquel toutes les facultés du corps et de l’esprit sont ordonnées. En Orient, on l’appelle le coeur du cœur, comme on parle du cœur d’un arbre. Certains n’y ont encore jamais pénétré. Il est pourtant le lieu le plus réel de notre vie. C’est là que ma petite existence vit Dieu, Père, Fils et Esprit. L’Auteur de toute vie habite mon secret. Et ça prie en moi depuis 25, 40, 90 ans… parce que mon être humain s’origine en l’Etre divin, Créateur de tout. S’il y a un lieu où je suis vraiment moi, c’est bien celui-là. Ma vie sans cesse y surgit de la Vie même de Dieu, ma soif d’être vrai de sa Vérité, mon désir d’aimer de son Amour, source de tout amour. Cela, jamais personne ne pourra me l’enlever, et c’est la source de ma joie.

Oui, il est vraiment très grand, Jean-Baptiste qui nous enseigne la source d’une telle joie ! Ne la négligeons pas, prenons le temps et le chemin qui y conduisent. Jamais plus nous ne nous sentirons malheureux.

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3ème dimanche de l’Avent A 11 décembre 2016
Tous les prisonniers sont avides des moindres nouvelles qui leur rappellent le monde de la liberté. Tout ce qui les sort des contraintes carcérales, ne serait-ce qu’en imagination, est un soulagement et une lumière. C’est encore plus fort pour Jean-Baptiste, qui est accablé d’une obscurité particulière qui le met en cause, lui et jusqu’à sa mission et au sens de sa vie. A qui n’arrive-t-il pas, un jour ou l’autre, de croire tous ses efforts inutiles, de penser qu’on s’est trompé de chemin, qu’on aurait pu ou dû faire autre chose et qu’il ne reste plus qu’un peu de sable qui fuit entre les mains ? Or, cette épreuve crucifiante, pour lui comme pour nous, appelle une réponse de Dieu, c’est une épreuve purificatrice : si souvent en effet, nous entreprenons nos projets généreusement, sans doute, mais aussi grevés d’intérêts divers, de calculs plus ou moins avoués, voire de paresse et de vanité qui méprise les autres. Alors, heureux sommes-nous si Celui qui vient et qui jugera le monde n’est pas pour nous une occasion de chute, qui nous permet d’être lucides et humbles, de ces petits sans prétention qui sont les premiers à entrer dans le Royaume. Jésus ne fait qu’énumérer les miracles classiques et discrets de l’Ecriture qui montrent aux envoyés de Jean qu’Il accomplit toutes les prophéties. Jean ne s’est donc pas trompé en se présentant comme la voix dans le désert, annonçant la merveille de l’homme nouveau qui est à nos portes. C’est pour cela qu’il est grand, plus que tous les autres qui l’ont précédé, son humilité fait place à la lumière de la grâce nouvelle. Sur les icônes, il se tient en général aux côtés de la Mère de Dieu, qui provient Elle aussi de l’Ancienne Alliance et passe dans la nouvelle, à droite et à gauche de Celui qui juge le monde. Voici donc que se réalise ce qu’annonce Isaïe : « Que le désert et la terre de la soif se réjouissent ! » Le monde sans Dieu est aride et stérile, sa venue le transforme en jardin, comme aux origines. L’homme est aveugle, sourd et boîteux tant que le Sauveur ne l’a pas touché, mais alors, il se déploie, ses sens s’ouvrent et ses membres se délient. Le monde promet à ses adeptes tous les conforts et les facilités, mais ses idoles sont elles aussi aveugles, sourdes et muettes, comme disent les psaumes, et leurs adorateurs leur ressemblent. Mais les captifs sont invités à revenir à Jérusalem, à renaître à une vie qui en vaille la peine, comme les déportés qui retournent chez eux. Pour Jean, la libération sera autre : puisque tout s’est réalisé, sa mission est terminée, et il peut rejoindre en droite ligne la joie éternelle ; il est jusqu’au bout le témoin de la lumière, et son martyre est en réalité la récompense d’être libéré de ce monde qui est toujours une prison plus ou moins dorée.
Nous voilà orientés nous aussi vers le retour du Seigneur, définitif, celui-là, puisque nous ne sommes pas destinés à demeurer prisonniers de cette terre. St Jacques nous engage à l’attente patiente, qui est comme symbolisée par certains métiers, comme les cultivateurs qui ne peuvent forcer le rythme des saisons. Les semences poussent, nous dit la parabole, « on ne sait comment », ou plutôt, selon le secret de Dieu, qui est Vie en Lui-même, une vie qui ne peut décevoir. Cela aussi est une grande leçon de vie : dans notre monde où tout va trop vite, il reste au moins la nature qui ne se plie pas aux impatiences de l’homme insatiable. L’apôtre comprend que cette patience est formatrice, parce qu’elle exige un affermissement du coeur, c’est-à-dire de ne pas se laisser mener par la série infinie de nos caprices, mais de décanter nos désirs et de simplifier nos attentes jusqu’à l’Essentiel qui est Dieu. C’est une attitude qui est assez à rebours de notre monde : elle consiste à ne rien précipiter –ce qui ne veut pas dire gaspiller son temps-, ne rien accélérer artificiellement, mais laisser venir à soi tout ce que Dieu nous destine pour nous rapprocher de Lui. Même si on peut être légitimement impatient du retour du Seigneur, on est en même temps renvoyés aux prophètes et à leur patience qui espère à longueur de siècle. C’est aussi la patience de Marie en cet Avent : la femme enceinte ne peut aller plus vite que la nature. Quand Il viendra, le Désiré des nations, Il dépassera toutes nos attentes. Jean l’a compris ce jour-là, et il est dans la paix et le bonheur de donner sa vie jusqu’au bout.

4ème dimanche de l’Avent A 18 décembre 2022
Nous sommes à quelques jours du solstice d’hiver, au cœur de la nuit qui marque la fête de Noël, et à partir duquel les jours recommencent à grandir. C’est un beau symbole enraciné au cœur de notre petite planète telle qu’elle est sortie des mains du Créateur. A voir ses œuvres, nous pouvons ainsi apprendre quelque chose de Lui. L’évangile de ce dimanche est pour ainsi dire tout entier dans cette pénombre dont on ne sait pas encore si elle est le prélude à une obscurité plus épaisse ou le dernier moment avant le jour qui pointe. Marie était dans cette pénombre jusqu’à l’arrivée de l’ange : Elle était toute donnée à Dieu, mais ne savait pas encore concrètement ce qu’Il allait Lui demander. Sa foi était sans faille, mais d’autant plus obscure et profonde qu’elle ne pouvait s’appuyer sur rien de précis. Maintenant, Elle sait qu’elle sera la Mère du Sauveur, mais pas encore tout ce que cela impliquera, et d’abord, comment couvrir ce secret. Elle est le vase de silence et ce n’est pas Elle qui percera l’événement sans paroles qui s’est passé entre Elle et le Saint-Esprit. Car personne d’autre ne sait, pas même Joseph, son fiancé. Pour lui, la foi est plus mystérieuse encore. Il Lui fait une confiance totale, mais ce qui vient d’arriver est si déroutant ! Inévitablement, on bavarde à ce sujet : on sait qu’ils sont fiancés, mais ils n’habitent pas encore ensemble. Unanimement, on considère l’Enfant comme celui de Joseph, mais, il y a un… mais. Dieu a le temps. Ce n’est que des dizaines d’années plus tard que les évangiles noueront la gerbe. Pour le moment, Joseph est dans l’obscurité : comment concevoir que dans sa fiancée, c’est Dieu Lui-même qui vient ? Au silence de Marie, il pense répondre en la renvoyant en silence. Il faut un songe pour le rassurer et faire de lui le gardien du secret, qui reste donc entier pour tout le monde.

Quant à la prophétie d’Isaïe, elle est pénombre elle aussi : un savant exégète a pu dire que ce texte est le plus controversé de la Bible. Dieu offre au roi Achaz, en difficulté, un signe éclatant. Mais le roi sait qu’on ne peut tenter Dieu et il le refuse avec noblesse. Isaïe le prend à contrepied et le blâme de n’avoir pas accepté. Mais le texte reste obstinément obscur : Jeune femme, vierge, enfant, Emmanuel : de qui s’agit-il ? Prophétie de bonheur ou menace ? Il faudra 6 siècles pour que la traduction grecque, peu avant le Christ, se hasarde à préciser en parlant d’une vierge et d’un Dieu-avec-nous qui sera le Messie : quand l’événement se produit à Nazareth, on commence à comprendre et les évangiles, grâce à l’illumination de l’Esprit Saint le comprendront plus tard encore. Oui, Dieu prend vraiment le temps pour faire entrevoir ce qu’Il veut dire !

Pour l’Enfant, Roi-Messie, St Paul plonge lui aussi ses lecteurs dans l’embarras: selon la chair, Il est issu de la lignée de David, mais c’est seulement sa Résurrection qui consacre ce fils de David comme Messie d’Israël. Autrement dit, ce n’est pas à sa naissance qu’on comprendra, mais à sa mort. Après la bassesse de sa vie, vient la gloire de sa Résurrection. Durant sa vie, beaucoup se sont inquiétés de ses pouvoirs miraculeux, alors qu’Il n’est que le fils du charpentier, et c’est pour s’être fait l’égal de Dieu qu’Il sera condamné. Le Père n’interviendra pas, et ce seront les ténèbres sur toute la terre. Dieu a le temps, encore une fois, et tout se joue en définitive dans le décret divin, qui surplombe tous les événements.

Quand le monde est dans l’obscurité, nous pensons à tous les pauvres gens qui grelottent à Kiev ou ailleurs. Un higoumène ukrainien écrivait récemment : « Les gens prient beaucoup. Malgré les difficultés, il n’y a pas de sentiment de dépression ou de déception. Nous nous aidons les uns les autres. Nous croyons que la puissance de Dieu est plus forte que toute autorité terrestre. Nous croyons à la victoire du Bien. Continuez à prier pour nous, et que Dieu vous bénisse ! » Avec Marie, avec Joseph, avec tous ceux qui les écoutent et les suivent, croyons que c’est surtout dans la nuit qu’il est bon de croire à la lumière.

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4ème dimanche de l’Avent A 18 décembre 2016
Après la fête de l’Immaculée, ce dimanche pourrait être appelé dimanche de la Vierge. Elle est de fait le plus grand personnage de l’Avent, pour les raisons multiples que l’on sait. Avec Elle, nous sommes dans les derniers préparatifs, bien plus près de l’Evénement que le prophète qui parlait de ce signe merveilleux et inopiné. Car cette naissance virginale semblait enlever le Messie du peuple juif : puisqu’Il est d’abord Fils de Dieu, peut-on encore Le considérer validement comme fils de David ? Pour cela en effet, Marie ne suffit pas, pourrait-on dire. Voici donc qu’entre en scène un autre personnage, non moins inattendu, qui assurera cette filiation qui accomplit les prophéties. St Matthieu s’étend largement sur les réactions de Joseph et le rôle qui sera le sien dans le plan du salut. Nous admirons ici la précision du plan de Dieu, qui intègre parfaitement la liberté de chacun, la soutient dans ce qu’elle a de meilleur, pour arriver au but. Que se serait-il passé si Marie avait hésité, si Joseph avait piqué la mouche ou simplement hésité à faire confiance, si l’ange n’avait pas su y faire ? On dit qu’on avait une fois posé la question au Seigneur : « Eh oui, si ?... Avez-vous un plan de secours ? » « Non, répondit-Il, je n’ai pas d’autre plan. » Le salut du monde suspendu à des libertés humaines ! C’est absolument vertigineux, et nous montre à quel point Dieu prend au sérieux nos réactions, nos acquiescements, combien Il peut être désolé de nos refus : quand nous disons non, nous Le privons d’un bien qu’Il avait prévu et désiré de toute éternité. Bénissons-Le d’avoir soutenu et accueilli le don que Marie et Joseph ont fait d’eux-mêmes à ce moment inouï de l’histoire des hommes ! Nous ne nous étonnerons pas de Marie : Elle est tellement au-dessus des réactions ordinaires. Mais St Joseph, ah, là, il nous faut l’admirer d’une façon particulière. Il est bien plus que ce mari trompé, comme on a pu le dire presque grossièrement. C’est un jeune homme droit et pieux, il connaît bien sa fiancée et sait qu’Elle est incapable de la moindre tromperie. Avec Elle, il a certainement accepté pour lui-même la virginité. C’est vraiment un juste, et on le voit au fil de sa réflexion racontée avec précision par l’évangéliste. S’il avait cru Marie coupable, pour être juste et fidèle à la Loi, il devait la dénoncer. S’il ne le fait pas, il n’en fait pas assez. S’il pense qu’Elle est innocente, alors, il est injuste en la répudiant secrètement : là, il en fait trop. Le vrai problème, ce n’est pas de savoir s’il La croit innocente ou coupable, mais de savoir s’il était au courant de la conception virginale : C’est comment , en relation avec la question de Marie à l’annonciation : « Comment cela va-t-il se faire ? », ce qui veut dire que tous deux acceptent d’avance le plan de Dieu et demandent juste quelques précisions sur le mode d’opération. En fait, Joseph refuse en un premier temps de se faire passer pour le père de cet Enfant qu’il sait être le Fils de Dieu. S’il a pensé à répudier Marie, c’est pas délicatesse envers Dieu d’abord, par obéissance à la volonté du Seigneur qui apparemment ne lui avait confié aucune mission envers Marie et son Fils. Il préfère se retirer sur la pointe des pieds pour ne pas s’interposer dans la réalisation d’un projet qui le dépasse. Mais Dieu a eu cette délicatesse particulière de le rassurer en lui envoyant son ange et en lui expliquant la suite : ainsi, il pourra en toute quiétude donner son nom à l’Enfant, qui sera fils de son père au sens juridique, c-à-d fils de David, comme prévu. Oui, tout ça méritait bien le déplacement d’un ange pour le conforter dans sa mission, et là, il n’hésite plus.
Même si notre destin n’est pas le sien, il a beaucoup à nous dire en ces derniers jours de l’Avent : on pourrait résumer les éléments de sa justice en 3 mots : il sait, il accueille, et il sert. Il sait par l’Ecriture et par Marie ce qui va se passer : il sait dans un immense respect et une foi sans faille. Il accueille cet Enfant qui n’est pas de lui, avec la même tendresse que s’il était de lui : quelle abnégation, quel détachement ! Et il Le sert comme son Dieu, en se laissant déranger par tout cet impromptu que le Père des cieux a mis en place grâce à lui. Qu’il nous aide à devenir des justes comme lui, en acceptant pas à pas le projet de Dieu pour nos vies, afin qu’Il puisse être présent à notre monde, aujourd’hui comme hier.

Année liturgique B

1er Dimanche de l’Avent Année B 3 décembre 2023
Les paroles d’Isaïe, le prophète de l’Avent, résonnent à jamais dans les strophes de la prière déchirante du Rorate : « Nous étions desséchés comme des feuilles, nos crimes, comme le vent, nous emportaient… Tu nous avais caché ton visage, tu nous as laissés au pouvoir de nos péchés… Et pourtant, c’est Toi notre Père ! » Toute l’histoire de l’humanité est comme résumée dans ce cri : remplie de fureurs et de violences, nous vivons dans une accélération toujours pire du temps, comme si nous étions coincés entre un passé illisible et un futur inquiétant, dans une effervescence et une addiction au changement comme palliatif à une démission fataliste. Le corollaire, comme un sous-produit toxique de cette accélération, c’est toujours moins de compréhension du projet global, du sens de l’aventure humaine, qui touche les jeunes, en particulier : quel monde leur laissons-nous ? Bien sûr, il ne sert à rien de se culpabiliser à moindres frais, comme un placebo supplémentaire : ni vous ni moi n’avons prise directe sur la marche du monde. Sauf au plan spirituel, celui qui nous rassemble en ce moment.

 « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! » Oui, pourquoi Dieu n’intervient-Il pas ? Pourquoi laisse-t-Il l’homme faire ses bêtises monstrueuses, siècle après siècle, dont les plus innocents sont chroniquement les premières victimes ? Parfois la tentation existe de le Lui reprocher ; mais c’est oublier que l’amour est impuissant par nature : la seule chose qui met en échec la toute-puissance de Dieu, c’est notre volonté contraire. Là, Il ne peut vraiment rien, jusqu’à ce que nous nous décidions à comprendre et à changer. Notre attente, c’est un sauveur qui nous libère de la souffrance, de la haine, de l’oppression et des manipulations, et finalement du péché et de la mort. Mais là aussi, nous oublions quelque chose : c’est que ce salut, comme on l’appelle, cette délivrance, l’action salvatrice de Dieu, ne s’accomplit pas en ce monde seulement. Il ne s’agit pas de revenir simplement à l’Eden des origines, comme s’il ne s’était rien passé entre deux : on efface tout et on recommence ! Le salut offert par Dieu en son Fils Jésus a bien commencé dans l’histoire, à Bethléem, comme nous le fêterons dans quelques semaines, mais il transcende l’histoire. Dans l’histoire, l’homme n’est pas sauvé, il meurt, simplement. Il est sauvé quand il sort du temps, qu’il n’est plus soumis au temps, avalé par les événements, mais tiré en dehors de cette histoire qui le fait tant souffrir. Même si on en était resté au paradis des origines, si l’homme n’avait pas choisi le contraire de Dieu et de son amour, nous étions promis à l’éternité bienheureuse qui est plus que tous les bonheurs limités de la terre. Il a promis de nous libérer de toutes les limites qui nous enserrent, tout ce qui monopolise notre activité et notre temps ici-bas. Et pour cela, Il perce lui-même l’enveloppe du temps, Il vient infuser dans ce temps douloureux une autre dimension, un autre esprit qui nous fait pressentir comme par contraste ce que peut être le ciel. Ce qui fait que, à la croix par exemple, sa douceur, son pardon, son accueil des pécheurs font l’admiration du centurion païen: « En ce moment même, c’est le ciel sur la terre ! » Une libération qui ne serait que temporelle ne serait pas divine, digne de Dieu.

Et pour reprendre la parabole de ce dimanche, entretemps, Il est parti en voyage. Il nous a laissés en charge du temps et de l’histoire. La situation semble sans cesse se dégrader dans l’impuissance ou l’indifférence générale, malgré beaucoup de belles paroles et de bonnes intentions. Et le pire, c’est que quoi qu’on fasse, pour la génération actuelle, il ne semble guère y avoir de solution dans ce temps. Beaucoup risquent de mourir misérablement avant qu’une ébauche de solution soit trouvée. Il y a donc pas mal à faire, et d’abord en pensant et en croyant que le message du Christ et de l’évangile nous tient en éveil, là où nous sommes, pour adoucir, consoler, accueillir chaque fois que c’est possible -et c’est toujours possible, avec les doses infimes des moyens pauvres : la prière, le temps, le partage, le sourire. Alors se réalisera quelque chose de cette « incroyable descente du divin dans l’humain », comme aimait à le dire le cardinal Journet. Alors on pourra dire qu’il n’est pas venu pour rien, et que sa présence, rendue plus tangible par nos actes, est la seule solution avant l’éternité où tous les pauvres, dont nous sommes les premiers, sont attendus avec impatience.

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1er dimanche de l’Avent B 29 novembre 2020
Depuis toujours, l’homme est en manque de Dieu, qu’il le sache ou non. Nous ne pouvons d’aucune manière subsister par nous-mêmes, nous sommes foncièrement dépendants du milieu dans lequel nous vivons, au matériel comme au spirituel. Et en même temps, nous nous sentons à l’étroit, enserrés dans une infinité de contraintes qui limitent notre liberté. Qui nous libèrera vraiment, dilatera notre cœur une bonne fois pour toutes, nous rendra heureux pour de bon ? Toute l’histoire de l’humanité est remplie de l’attente de cette libération. Le cri du prophète Isaïe, à la fin de son livre, après avoir passé par les prophéties de l’Emmanuel et les poèmes du Serviteur souffrant, résume l’aspiration foncière du cœur humain : « Ah, si tu déchirais les cieux, et si tu descendais !... » Or, cet événement est arrivé : c’est ce que nous célébrerons à Noël, c’est l’Enfant de Bethléem, le Désiré des nations et des collines éternelles. Cette irruption de Dieu en personne dans l’histoire humaine est bien un fait historique, datable avec précision, mais en même temps un acte qui transcende l’histoire. Ce qui s’est passé sur ce coin de terre infime concerne chaque être humain, parce qu’Il a voulu être, Lui aussi, un vrai homme, avec tout ce que ça comporte de limites et d’aspirations infinies. Ce que librement, Il a choisi de vivre en ce point de l’histoire universelle, c’est le chablon, le modèle de toute vie, qui n’est pas seulement un petit nombre d’années au terme duquel il y a l’éternité. Ce qu’il nous offre comme en supplément, c’est de briser l’enveloppe, c’est la libération d’un rêve qui ne serait que temporel, enfermé dans l’horizon de ce monde qui passe. Jésus emploie en ce dimanche l’image de ce Maître qui doit revenir, parce qu’il est parti. Et de fait, on a souvent l’impression qu’Il n’est plus là, et qu’Il nous a laissés patauger en charge du temps et de l’histoire. Il ne s’agit pas seulement de libérer tant de gens de situations intolérables, qui n’arriveront jamais probablement à une vie décente, à cause du froid, de la faim, de la maladie ou de la guerre, et Dieu sait s’il y a à faire tout ce qu’on peut pour soulager cette mer de souffrances. Malgré toutes les belles paroles et les bonnes intentions, ils vivent dans des situations qui ne cessent de se détériorer, et c’est le tonneau des danaïdes depuis l’aurore de l’humanité. Il est donc sûr que l’espoir de la solution n’est pas dans l’ordre du temps. Quelles que soient les solutions concrétisées, beaucoup mourront misérablement avant qu’on ait pu faire quelque chose d’efficace. Le message du Christ est-il pour eux ? N’est-il pas une solution de luxe pour les privilégiés que nous sommes ? On comprendrait alors ceux qui penchent pour des solutions révolutionnaires et violentes, mais on sait très bien que loin de régler le problème, elles l’accentuent et le rendent plus intolérable encore. Et là aussi, les vrais pauvres ne s’y sont jamais trompés, eux qui ont compris de tous temps que Jésus est venu pour eux en premier depuis Bethléem, et qu’Il leur a ouvert un autre horizon qui est celui du ciel où les anges chantent sa gloire. C’est pourquoi on peut être libre et heureux même en camp de concentration quand on sait qu’Il est là, tout près et qu’un jour le voile se déchirera pour nous prendre avec Lui dans la joie éternelle. Ce qui rend la vie intéressante, ce n’est pas l’amélioration de notre confort, c’est ce désir abouti et qui commence déjà maintenant chaque fois qu’un peu d’amour est semé, car cet amour est l’éternité en acte. Dans le contexte de l’histoire, l’homme ne peut être sauvé : il meurt, simplement, au bout de son parcours. Il est sauvé lorsqu’il n’est plus soumis au temps, plus avalé par l’histoire mais tiré en dehors.

Et c’est ça qu’Il nous a promis. Peut-être est-ce cela, veiller : ne pas se résigner à se laisser enfermer dans le temps et lever assez les yeux pour ne pas voir que les limites de l’existence, en travaillant simplement sans se poser de questions inutiles, parce que l’essentiel est ailleurs. C’est bien là le paradoxe essentiel de la foi chrétienne : c’est au moment où le Fils de Dieu va venir partager notre vie sur la terre qu’Il nous rappelle que nous ne sommes pas faits pour nous éterniser ici-bas et que nous sommes seulement en noviciat d’éternité. Et cette perspective doit imprégner jusqu’au moindre de nos actes.

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1er dimanche de l’Avent B 3 décembre 2017
     Notre vie et notre temps sont situés, on pourrait dire essentiellement, entre un départ et un retour. Dieu vient et revient sans cesse, parce qu’Il est toujours là, et c’est souvent nous qui ne sommes pas là pour l’accueillir. D’où cette injonction pressante qu’Il adresse à tous : « Veillez ! » Cet ordre revient 3 fois dans les derniers versets de l’évangile. Cette attitude de vie et d’âme est suffisante pour caractériser la vie chrétienne tout entière et sous toutes ses formes, mais particulièrement celle qui s’embarrasse le moins possible des préoccupations terrestres : la vie monastique. Elle détermine un état d’âme qui est plus important que la préoccupation du retour du Maître, et aussi enjoint à tous de ne pas relâcher leur tâche habituelle, dont le Maître nous a investis et pour laquelle il compte sur nous. Mais le fait est que l’homme supporte mal l’ignorance. Dès les premiers temps de l’Eglise, des disciples ont cherché à percer ce qui reste le secret de Dieu, que même le Fils, nous dit Jésus, ne sait pas. Cette recherche en a démobilisé plus d’un : certains se disaient que si Dieu revenait bientôt, pas besoin d’en faire trop. St Paul a dû lutter contre ces faux mystiques –qui ne sont en fait que d’authentiques rêveurs- qui abandonnaient leurs engagements quotidiens et leurs responsabilités à cause de supputations hasardeuses. Il n’est pas d’année où des illuminés se retirent quelque part en prédisant la fin du monde.

     Au sens premier, veiller, c’est s’abstenir de sommeil. Mais il est clair ici qu’il s’agit d’abord d’un sens symbolique : passer d’une mentalité d’endormi à une vie pleine et active aux yeux de Dieu, de la cigale à la fourmi. Le temps où le Maître est absent n’est pas un temps vide, il se caractérise au contraire par une responsabilité attentive et active. Il reviendra seulement pour mener à son plein achèvement l’activité des disciples. Et c’est son retour inopiné, au moment où l’on s’y attendra le moins, qui fait le partage entre les veilleurs et les tire-au-flanc, ce retour est en même temps un jugement. Chez St Marc, ce retour est lié à la nuit, seul moment où est prévu cet événement capital. Or, chez lui plus que chez les autres évangélistes, la nuit fait la charnière entre le ministère de Jésus et sa Passion. Dans la tradition biblique, le salut est réservé au jour : ici, la nuit peut devenir elle aussi le temps du salut –on pense bien sûr à la nuit pascale et à celle de l’Exode. La vie du disciple, finalement, ne peut pas se passer de ce temps privilégié de la nuit, de cette longue et incertaine attente qui le détache peu à peu de l’efficacité terrestre pour lui faire désirer ardemment la seule richesse qui ne déçoit pas, c’est-à-dire Dieu Lui-même. Paradoxalement, on peut même dire que le temps de la nuit est plus actif que celui du jour. Ce texte invite donc le chrétien à réfléchir sur l’essentiel de sa vie.

Toute vie connaît des périodes agréables, qui alternent avec d’autres plus troublées et inquiétantes. En général, quand tout va bien, on laisse couler et on profite de tous les avantages du moment. Dans le meilleur des cas, on se donne un peu de peine pour la tâche immédiate, mais sans autre horizon que ce monde d’apparence et de bien-être. Et il est vrai que ça ne sert à rien de craindre toutes les catastrophes qui peuvent nous atteindre, ou d’en appeler à la puissance divine pour mettre avec éclat de l’ordre dans notre désordre. Jésus nous adresse plutôt un message réaliste et dynamique. Il pourrait se résumer dans la célèbre phrase de Pascal : « Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. » Quel que soit le monde dans lequel nous avons à œuvrer, ce n’est pas en lui qu’est notre vraie fin : elle dépasse ce monde visible. Seul Jésus peut nous donner cette intériorité, cette proximité avec Lui qui permet à la moindre de nos actions d’être féconde et pleine de sens. C’est pourquoi nous avons à garder les yeux fixés sur Lui, le Fils de l’Homme qui nous montre ce qu’est notre vie humaine. Elle n’est pas achevée tant qu’elle ne débouche pas à tout moment sur l’éternité bienheureuse. Voilà ce qu’Il dit à tous : « Veillez ! »

2ème dimanche de l’Avent B 10 décembre 2023
« Il veut que tous aient le temps de se convertir » : oui, la grande affaire de la vie, c’est la conversion, c’est le changement de cap pour se tourner résolument vers le Bien véritable qui est Dieu et son amour. Notre vie en creux et bosses, Dieu veut en faire une belle route droite et plane, et nous préférons souvent les pistes hasardeuses ou les raccourcis douteux. Il n’est sans doute pas sans signification que Jean-Baptiste prêche cette conversion en plongeant les pénitents dans le Jourdain : il ne les met pas sur un chemin, il les laisse être portés par l’eau ! Ce qui nous donne déjà une indication précieuse : dans notre aventure avec Dieu, il ne s’agit pas tant de faire à la force des bras et des poignets que de se laisser porter, ce que suggère le radical hébreu du mot miséricorde : il est celui qui désigne le sein maternel qui porte l’enfant ; le mieux qu’il a à faire, c’est de se laisser porter. Nous sommes souvent trop là, sans le vouloir, dans notre désir de conversion ; se laisser faire suppose une grande dose de confiance qui ne nous est pas naturelle. Nous préférons avoir l’illusion de maîtriser pour ne pas avoir à nous en remettre à quelqu’un d’autre, fut-Il Dieu en personne. Prendre le risque de voguer sur l’eau en en faisant son amie est plus sûr et plus facile que de marcher sur la terre ferme. L’invisible de la foi est plus sûr que ce qu’on voit.

Pour reprendre notre comparaison, jusqu’aux derniers siècles, les voies fluviales étaient estimées plus faciles que les chemins cahoteux, mal entretenus, boueux en hiver et poussiéreux en été. On préférait donc charger les marchandises ou les personnes sur un bateau, en espérant qu’une tempête ne l’empêche pas d’arriver à bon port. L’eau si crainte des juifs qui n’avaient pas le pied marin, comme chacun sait, devenait un auxiliaire commode de transport. C’est donc un entrelacement de symboles riches de signification qui nous introduit à ce thème de la conversion. Le baptême donné par Jean n’est qu’un signe de bonne volonté, il n’a pas encore la puissance sacramentelle du baptême dans l’Eau et l’Esprit Saint qui suivra Pâques et la Pentecôte, mais c’est déjà beaucoup de se disposer consciemment à recevoir les grâces que Dieu veut nous donner, de ne pas mettre trop d’obstacles sur leur chemin. C’est même la seule part active de l’opération, tout le reste étant l’oeuvre de Dieu et de Lui seul. C’est justement la base de notre confiance qui nous permet de nous en remettre à Lui sans réserve et dans la paix qu’il donne à ses amis. Un saint, c’est un chrétien qui offre une moindre résistance à la grâce.

Quand on parle de conversion et de vie spirituelle, un autre écueil à éviter serait de croire qu’il faut d’abord tout aplanir autour pour avoir le loisir de s’adonner aux choses de l’esprit. Tant de choses immédiates nous préoccupent beaucoup, remplissent nos journées comme le tonneau des danaïdes : vivement la retraite, qu’on ait le temps de prier. Il faudrait demander aux retraités pour savoir si c’est vrai ? Non, les ravins à combler et les collines à raboter ne sont pas de obstacles extérieurs à nous, ils sont en nous, par ordre de priorité. Personne n’a plus de temps pour rien, aujourd’hui. Sauf, miraculeusement, pour ce qui nous intéresse vraiment : là, on trouve toujours le temps ! C’est la parabole des gros et des petits cailloux dans le bocal : j’ai un bocal que je veux remplir. Je commence par mettre les plus gros cailloux, jusqu’au bord. Il est plein de gros cailloux. Plus de place ? Si, on peut encore mettre des petits cailloux entre les gros. Tout-à-fait plein ? Non, on peut encore mettre du sable entre les gros et petits cailloux. Et en dernier, je peux encore mettre de l’eau jusqu’au bord. Mais si je commence par l’eau, je ne pourrai mettre ni les gros, ni les petits cailloux, ni le sable. Donc, le critère pour mettre en premier ce qui déterminera le reste, c’est l’intérêt qu’on porte à ce qui nous fait vivre. C’est ce choix, parfois courageux et difficile, qui aplanit et qui comble pour que notre âme soit une autoroute, un beau fleuve tranquille où la grâce peut avancer et semer la joie et la paix. Il y aura toujours. Grâce à Dieu, il y aura toujours des cœurs doux et pacifiques capables de Le laisser faire, retroussant leurs manches et jouant de la pelle et de la rame pour Lui prêter inlassablement main forte. Ainsi devient possible le pardon des péchés, la bonne nouvelle de l’évangile. C’est le cœur de l’Eglise, face à un monde qui ne sait que condamner et désigner des coupables pour éviter de se mettre en cause. Oh, viens, Emmanuel, Dieu avec nous !

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2ème dimanche de l’Avent B 6 décembre 2020
Ce sont deux beaux exordes que nous présente la liturgie de ce dimanche : le Livre de la Consolation, comme on l’a appelé à cause des premiers mots que nous avons entendus dans la bouche d’Isaïe, qui forme un tout au milieu des oracles du prophète ; de consolation, ils en avaient bien besoin, ces déportés emmenés à Babylone comme misérable butin de guerre et réduits en esclavage. Et de même, ce frémissement qui pointe en cette première page de l’évangile de St Marc, où l’on commence à pressentir que quelque chose d’exceptionnel est en train d’arriver pour ce peuple occupé par la puissante domination de Rome. Une bonne portion d’humanité sera toujours dans cet état qui contrarie la liberté et la dignité de tant d’humains opprimés par des potentats sans scrupules. Mais au-delà de tous les esclavages historiques, il en est un qui est beaucoup plus profond, et qui est la cause de tous les autres : l’esclavage du péché, cet acte libre de l’homme qui est capable de choisir le contraire de son bonheur et de faire le malheur des autres. C’est à cela que s’attaque Jean-Baptiste, en renvoyant chacun à sa propre conscience, car le mal social ou politique n’est que la somme de beaucoup d’égoïsmes. Il est donc des paroles puissantes, elles aussi, qui raniment l’espérance abattue en indiquant le chemin d’un futur plus heureux. Etonnant pouvoir de la parole et de la pensée, qui pèse finalement plus lourd que les contraintes matérielles et que la mort elle-même ! Vivons-nous assez à l’altitude des pensées vraies et justes, au lieu de nous laisser enfermer dans la matérialité pénible qui ne pourra jamais être le tout de l’homme ? Le détachement de Jean-Baptiste, son style de vie ascétique et rudimentaire impressionnent les foules et les rendent attentives à sa parole âpre : « Il parle fort, mais on sait qu’il a raison ! » Même Hérode, qu’il qualifie de renard, subira son ascendant : « Quand il l’entendait, il était très embarrassé, mais pourtant il aimait l’entendre. » Car il sentait au fond de sa conscience que Jean n’était pas comme ces courtisans qui le flattaient en espérant ses faveurs et en le méprisant. Quand il s’agit de la parole qui vient de Dieu, la différence avec les autres paroles, c’est que ces mots-là ont un vrai contenu, elles sont des paroles de poids et elles nous jugent, nous qui sommes si souvent légers et superficiels. Et c’est là la première conversion que Jean nous indique à travers le signe de purification de son baptême. Il sait, bien sûr, que ce n’est pas encore le baptême qui prendra toute sa force de la mort et de la résurrection du Christ, mais c’est déjà un indice de bonne volonté et de vérité de ces foules qui savent qu’elles ont besoin d’être sauvées de leur péché.

Car la venue du Seigneur qui vient consoler son peuple a besoin d’être préparée. Quand nous demandons à Dieu une grâce, Il est toujours disposé à nous écouter ; encore faut-il la recevoir, être assez simple et pauvre pour recevoir ce qu’Il nous donne, et qui n’est pas toujours exactement ce que nous demandons. Il est fréquent que Dieu réponde en décalé, ce qui nous déroute souvent et nous fait croire qu’Il ne nous écoute pas. Or Il sait mieux que nous ce qu’il nous faut. Il n’est pas en retard et il patiente, comme dit l’apôtre, ce qui devrait nous mettre en branle sur cette route qui aboutit à la Jérusalem d’En-Haut. Conversion et pénitence sont les deux grands thèmes de sa prédication : se tourner résolument vers Dieu en élaguant courageusement tout ce qui pourrait ralentir la marche ; et compenser par un renoncement volontaire le péché, qui est de mettre la main sur un bien indu. Nous aurions sans doute avantage à redécouvrir ce sens de la pénitence. Il y a deux ans, un jeune réfugié érythréen arrivé chez nous s’étonnait que les jeunes de son âge, qui se disaient chrétiens comme lui, ne fassent pas pénitence en carême, comme dans son pays : les gens qui n’ont rien trouvent encore le moyen de retrancher quelque chose à leur train de vie pourtant misérable, tandis que nous ne savons plus renoncer à rien de notre confort. Et on peut en outre faire pénitence pour les autres, pécheurs comme nous, ce qui est une charité particulièrement délicate. Que le Précurseur nous engage sur cette voie qui nous permettra de recevoir dans un cœur purifié Celui qui vient nous sauver.

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2ème dimanche de l’Avent B 10 décembre 2017
Le plus court des évangiles –celui de St Marc- commence pour ainsi dire sans introduction : il y plonge brusquement, par la prédication de Jean-Baptiste qui réalise ce qu’annonçait Isaïe, 8 siècles plus tôt. Son commencement à lui, ce n’est pas une généalogie, ce n’est pas une naissance, c’est une annonce, le commencement de labonne nouvelle de l’évangile, de but en blanc. C’est une nouvelle création : la Bible s’ouvre aussi sur un commencement. Le dessein de Dieu connaît là un commencement nouveau. Et cette bonne nouvelle, c’est Jésus Christ, le Fils de Dieu, le Messie espéré depuis toujours. Il vient parachever, sauver, redresser la création abimée par le péché de l’homme. Son évangile se termine par la confession du centurion : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! »

Il y a un prologue au ministère, à la manifestation de Jésus : c’est ce que dit Jean-Baptiste. Sans attendre, comme un zoom de caméra au cinéma, on distingue un mouvement de foule dans laquelle émerge, en gros plan, ce personnage pas ordinaire du Baptiste. Pourtant, il ne s’agit pas de voir, mais d’entendre. Ce qu’il dit ne satisfait pas d’abord notre curiosité, mais s’adresse au cœur profond qu’il bouscule pour le faire bouger. Tout de suite, la caméra intérieure nous pousse plus loin : ce n’est pas lui qu’il faut voir, c’est Celui qui vient après lui. Il est, dit-il, plus puissant  que tous ceux qui L’ont précédé, ce qui était une caractéristique connue du Messie, qui doit être victorieux de la puissance de Satan et établir le Règne de Dieu. Mais pour les chrétiens auxquels s’adresse l’évangile, c’est plus encore : Il est vraiment Dieu, Dieu tout-puissant. La Présence de l’Esprit sera manifestée au baptême, et tout ce qui suivra prouvera sa divinité. Cette intervention était si attendue que Dieu était fréquemment appelé, dans les psaumes par exemple, comme Celui qui vient. Cette divinité de Jésus se montre aussi par le mouvement qu’il entraîne, un frémissement de vie irrésistible, une sorte de bing-bang surnaturel radicalement nouveau dans l’histoire. Ici même est initié le baptême dans l’Esprit Saint qui convertira les foules à la Pentecôte, à la suite de la Résurrection. C’est comme le mur du son d’un avion supersonique : on ne le voit pas venir jusqu’à ce que le le coup éclate, et quand on en prend conscience, l’engin est déjà loin, ne laissant que des traces ténues dans le ciel.

Quand Jésus intervient dans l’histoire des hommes, c’est comme une onde de choc qui retentit dans toute leur vie. Jean pourrait tenir, quantitativement, plus de place que Jésus. Les foules pourront même s’y tromper un moment. Mais son rôle, c’est de montrer l’effet de ce bang. Il prépare cette venue en se retirant au désert, et c’est là que les gens viendront le trouver, en laissant tout ce qui est la trame ordinaire de leur vie. C’est ce que nous faisons, modestement, en venant chaque dimanche ici., pour demander à Dieu de nous purifier et nous disposer à la rencontre avec Lui, qui est la seule chose importante de notre vie. On ne va à la rencontre de Dieu que dans le dépouillement de ce qui n’est pas Lui. Et nous sommes invités, nous aussi, à retrouver le bouleversement initial des convertis, car la foi repose sur une expérience de ce genre, sous peine de ne pas être. Nous avons tous à passer, à longueur de vie, de la facilité et du conformisme à la profondeur et à l’intériorité. Dieu nous appelle à manifester quelque chose de sa puissance aimante à travers la faiblesse de notre foi, qui fait que d’autres peuvent se poser la question : « Qu’y a-t-il derrière ce regard, cet agir, cette personne ? » pour que l’on puisse découvrir que la vie, c’est plus grand et plus beau qu’on pensait. Sans rien imposer, c’est amener doucement chacun à découvrir ce qu’il a de plus vrai en lui et à y conformer sa vie. C’est peut-être ça, simplement, la mission du chrétien : cette ouverture de l’homme à la vérité, c’est la preuve de l’évangile. Derrière chaque homme qui fait un pas dans cette direction, il y a Quelqu’Un qui vient. C’est que qui fait vibrer notre espérance au cours de l’histoire, quelle que soit son apparence peu reluisante, mais où se trouve la présence cachée du Christ, Fils de Dieu.

3ème dimanche Avent B 17 décembre 2023
Le temps de l’Avent a une particularité liturgique qui le différencie du Carême, ce temps de pénitence qui nous prépare à l’autre grande fête de l’année, Pâques. Alors que le Carême prohibe le chant de l’alleluia, l’Avent non seulement le maintient, mais le renforce, et non seulement à la Messe, mais à l’office : la plupart des antiennes se terminent par alleluia, comme au temps pascal. La liturgie est toujours expressive du mystère chrétien, et ses insistances nous indiquent au passage quelque chose que nous serions en danger d’oublier. Ce dimanche qui nous rapproche de Noël est le dimanche de la joie : ô combien nous en avons besoin, de cette joie, qui semble avoir disparu de tant de visages. Le rose des ornements est la traduction de l’aurore qui pointe au cœur de la nuit finissante. Nous sommes toujours à la fin de la nuit, même si nous avons l’impression parfois qu’elle n’en finit pas…C’est pourquoi l’alleluia redoublé est comme un appel pressant à la joie qui vient.

Mais cette joie existe-t-elle ? Non seulement on se demande comment l’obtenir et en vivre, mais on en vient à douter de son existence, à certaines heures particulièrement sombres. Un maître nous est donné dans l’évangile de ce dimanche pour nous mettre sur la voie : il s’y connaît, dans cette histoire de chemins à tracer et à indiquer ! Personnage surprenant que ce Jean du désert, aux antipodes de l’image qu’on attendrait d’un homme religieux. Accoutrement étrange, son lieu d’habitation -s’il en a une- est en dehors de la civilisation, son menu dégoûterait n’importe qui. Sa parole n’est guère plus attirante : le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne ménage pas ses auditeurs. Chez lui aussi, la joie a-t-elle une place dans sa vie ? Rien d’extérieur, en tous cas, ne le laisse supposer ni même deviner. Pourtant, très secrètement, un premier indice nous met sur la voie : il apparaît comme totalement détaché de lui-même et de son image, indifférent à ce qu’on peut dire et penser. Les envoyés des prêtres et des lévites le harcèlent de questions sur son identité et sa mission. Il leur répond de manière bourrue, par monosyllabes, presque en les envoyant balader. Quant à lui, il n’a aucune préoccupation même de savoir qui il est, tant il est identifié à sa mission. Vraiment aucun souci de réalisation personnelle, mais plutôt un effacement de plus en plus profond qui laisse toute la place à la présence de Jésus, le Messie attendu, seule source de joie authentique. Et lorsqu’Il paraîtra « officiellement », il pourra disparaître. Il vit à plein la béatitude des cœurs purs, dont il est dit qu’ils verront Dieu. Il est en cela vraiment moine, s’enfonçant dans une solitude toujours plus absolue, ce que souligne l’Ecriture chaque fois qu’elle parle des grands amis de Dieu, en établissant un lien étroit entre solitude et rencontre de Dieu. Abraham est seul au désert devant sa tente quand il reçoit les 3 mystérieux visiteurs. Moyse s’était avancé loin dans le désert quand il voit brûler le buisson ardent, et il sera seul à l’Horeb. Elie fuit le monde qui lui en veut et il lui faut marcher 40 jours et 40 nuits au désert pour recevoir la révélation de Dieu dans la brise légère. Quand Marie reçoit l’ange Gabriel, Joseph n’est pas là et Elle est seule avec lui. Jésus avait emmené ses trois fidèles seulement au Thabor, et Il sera plus seul encore à Gethsemani. On dirait que Dieu est pudique quand Il se révèle à ses amis, comme s’Il ne voulait pas de témoins, sinon celui ou celle qu’Il choisit. C’est ce qui permit à Jean de reconnaître, venant de son désert, Celui qui venait parmi les autres se faire baptiser au bord du Jourdain.

La joie est donc fondamentalement à venir, donnée seulement comme un désir en train de se réaliser, mais pas encore pleinement là. Dans la mesure où nous acceptons de devenir libres comme Jean, pauvres de tout, même de nous-mêmes, où nous acceptons de grand coeur une solitude parfois crucifiante, qui n’est pas seulement manque de contact humain, mais acceptation de ce que nous sommes sous le seul regard de Dieu, alors pointera une certaine joie et une certaine paix, qui nous révélera au passage notre véritable identité qui ne dépend d’aucun autre regard. Il faut que coule pas mal d’eau purificatrice sur nos plumes pour que cela se réalise. Alors, d’autres pourront venir s’abreuver aux sources de la joie qui coulent doucement du Cœur du Sauveur. Et ce sera une joie plus grande encore de la leur avoir donnée, venant de Lui seul.

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3ème dimanche de l’Avent B 13 décembre 2020
Le dimanche de la joie, la vie en rose : ça peut paraître un peu peu, surtout par les temps qui courent. Et en plus, vous avez entendu l’apôtre, dont les propos ont été mis en musique dès le premier mot de l’introït qui ouvre la Messe d’aujourd’hui : Soyez dans la joie, c’est un ordre ! Facile à dire, quand le monde entier semble nous tirer en sens inverse, quand tout va de travers, semble s’assombrir chaque jour. Eh bien, heureusement que c’est un ordre, comme « Tu aimeras » : ce n’est pas facultatif, et on ne peut être vraiment chrétien si on se dérobe à ce devoir premier, je dirais même vital pour ce monde vers lequel le Christ nous envoie, comme il a envoyé Jean.
A première vue, il y a un certain contraste entre cette joie désirée ardemment et le personnage hirsute de Jean : si c’est ça, la joie chrétienne, a-t-on vraiment envie de la pratiquer ? Le menu de Jean et sa tenue n’étaient pas précisément ceux d’un banquet et d’un jour de fête. Dans ce qu’il dit, il y a des reproches et des injonctions pas faciles à entendre ni à pratiquer. Nous voici donc ramenés à la case départ : on fait comment pour atteindre cette joie qui nous file entre les doigts ? Or la figure de Jean peut sans doute nous aider, paradoxalement. Car Jean est un homme parfaitement heureux parce qu’il est quelqu’un de tout-à-fait libre. Il n’est attaché à rien d’ici-bas, le bonheur profond de son âme ne dépend de rien d’extérieur, il est dépouillé de toute ambition personnelle, n’a aucune préoccupation concernant sa petite personne. Il s’identifie totalement à sa mission, ou plutôt son être tout entier s’épanouit dans sa mission. Il n’a pas d’autre intérêt et donc pas de conflit intérieur. Voilà donc la première condition qui nous met sur le chemin de la vraie joie : avoir les yeux fixés sur autre chose que soi. De fait, si souvent nous sommes tristes parce que nous nous regardons trop. C’est parce qu’il avait le cœur pur qu’il a pu voir Dieu qui venait à lui, et quand des disciples sont arrivés et se sont groupés autour de lui, il les a envoyés à Celui qui était plus grand que lui. La présence envahissante de Dieu a peu à peu pris toute la place en lui, et à mesure il s’est effacé ; en même temps, il a malgré lui drainé les foules, qui sentaient bien qu’il avait en lui cette source intarissable de joie. Lorsque Jésus sera confirmé dans sa mission visible au baptême, il pourra se retirer totalement : mission accomplie ! Les seuls qui n’ont pas compris, ce sont les prêtres et les lévites, qui sont pourtant les spécialistes de la question. Ils le harcèlent pour qu’il se dévoile. Lui, il répond par monosyllabes, comme notre évêque, ce qui les déstabilise davantage. Mais on n’est pas obligé de répondre aux questions de ceux qui savent déjà. Et c’est pourquoi il s’adresse aux foules par-dessus leurs têtes pour leur montrer du doigt Celui qui est non pas la voix, mais le Verbe, la Parole en personne.

La vie monastique est une vie où l’on s’efforce de se désencombrer pour qu’il ne reste plus que Lui au fond du cœur. Mais tout chrétien est invité à élargir aussi au milieu des préoccupations séculières un espace de solitude vraie où Dieu peut être tout et régner sans partage, ne serait-ce qu’un moment, tous les jours et chaque fois que c’est possible. N’avons-nous pas à mieux faire, comme chrétiens, que de nous lamenter sur les malheurs des temps, de ronchonner pour tout et pour rien, de déprimer comme ceux qui n’ont pas d’espérance ? Oui, il faut d’urgence faire le choix de la joie, et elle passe par la croix et la prière, comme elle naît dans le froid et la pauvreté de Bethléem, au milieu des bergers et des anges. Rejoignons-les déjà, soyons anges et bergers pour ceux que nous rencontrons et la joie que nous sèmerons nous reviendra augmentée et enrichie. Notre véritable identité, c’est ce fond intarissable de bonheur que Dieu a voulu pour nous en nous créant et en nous aimant à chaque instant d’une existence qui ne fait que commencer.

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3ème dimanche Avent B  17 décembre 2017
Jean-Baptiste a vraiment une manière originale de se présenter : au lieu de décliner son identité, ses titres, sa mission, il dit surtout ce qu’il n’est pas. On peut donc pardonner à ses auditeurs de ne pas arriver à comprendre qui il est ! Par ailleurs, l’évangéliste donne d’abord quelques indications topographiques qui sont en réalité plutôt symboliques ; Béthanie, au-delà du Jourdain relaie la vision large du salut inaugurée par Isaïe : que les prêtres et les lévites venus exprès de Jérusalem, la ville sainte par excellence, le comprennent à travers l’étrangeté du personnage de Jean. Eux, les experts patentés en matière de purification, viennent s’instruire auprès de lui, c’est déjà un bon début ! Mais leur inspection marque bien un climat de tension entre autorités religieuses et ce prophète charismatique entre tous.

L’évangile de ce dimanche commence par la fin du Prologue de St Jean que nous entendrons en entier le jour de Noël. Texte ineffable et inépuisable, qui prononce aujourd’hui la séparation de la lumière et des ténèbres, comme au premier jour de la création. Or la Lumière est présente au milieu des siens, mais Elle n’est pas encore reconnue. Le rôle de Jean sera de la désigner clairement, pour que chacun puisse l’accueillir ou la refuser, c’est cela la conversion que les foules, sans le savoir, viennent chercher auprès de lui. Dès aujourd’hui sont désignées les 3 catégories des auditoires de Jésus dans l’évangile de St Jean : les juifs, les foules d’Israël, les disciples. Les premiers viennent et ne voient pas. Les seconds viennent et voient. Les troisièmes voient et croient, ce qui nous permet de voir nous aussi où nous en sommes. Tout l’évangile témoigne de cet affrontement entre les autorités juives et les gens de bonne volonté. C’est un procès continuel, dont Jean est le premier témoin, dès le premier jour. Face aux enquêteurs envoyés par les hautes autorités, se dresse ce marginal, sans mandat officiel, mais en réalité envoyé par Dieu. Ils viennent de la Ville Sainte, centre mondial de diffusion et de contrôle de la Parole de Dieu, vers une terre étrangère, par la route ordinaire. Cette route est le chemin du Seigneur, et ils n’ont qu’une hâte : revenir à Jérusalem, comme les disciples d’Emmaüs après la résurrection. Mais Jérusalem ne sera plus la même, car entretemps sera intervenue la nouvelle création.

Pour préciser les choses, Jean commence par dire ce qu’il n’est pas : ni le Christ, ni Elie, ni le prophète. Rien de connu ne peut servir à l’identifier. Puis il ajoute 2 réponses positives : il est la voix. Là les auditeurs savent que Dieu met sur les lèvres des prophètes la parole qu’Il leur donne à transmettre. Sa voix, c’est Dieu Lui-même qui crie. Et il témoigne que Quelqu’un se tient au milieu d’eux, qu’ils ne connaissent pas encore. Pourtant, il a conscience qu’Il était avant lui, qu’Il le dépasse totalement, et il Lui est entièrement subordonné. Mais il ne L’a pas encore identifié, et c’est là toute l’importance de sa parole : son témoignage est d’inviter à croire. Tout Jean-Baptiste est dans ce rôle unique et irremplaçable : le témoin, c’est celui qui est proche et qui sait de quoi il parle, c’est aussi celui qui s’efface le plus possible devant Celui qu’il sert comme le plus petit des serviteurs. Sa véritable identité, c’est d’être réflecteur de la lumière. Il annonce un Jésus présent, mais pas de manière évidente : un Jésus qui propose mais ne s’impose pas. Le témoin invite mais ne contraint pas. Le baptême de conversion achève tout naturellement la rencontre avec le Christ faite par l’intermédiaire du témoin. Cet évangile est comme une démarche catéchuménale : découvrir Jésus par étapes, à tâtons, par des intermédiaires, passer des ténèbres à la lumière. Un échappée vers l’assurance d’une joie qui n’a pas cessé depuis, dans le clair-obscur de la foi. Cela se conquiert comme le dit l’apôtre : « Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâces en toutes circonstances. » En 3 points, une recette simple et infaillible qui nous prémunit contre toute forme de morosité déprimante.

4ème Avent 24 décembre B 2023
Le mystère est toujours enveloppé de silence, c’est son milieu naturel et la condition première pour qu’il puisse se révéler : « Non in commotione Dominus », Dieu n’est pas dans l’agitation et dans le bruit. C’est peut-être l’un des drames les plus profonds de notre monde : Dieu peine à se faire entendre, car la concurrence est humainement trop forte. C’est pourquoi aussi les âmes qui ne sont pas encore insensibles au surnaturel sont attirées par les monastères, qui doivent impérieusement eux-mêmes faire très attention à ne pas se laisser envahir, sous peine de ne plus remplir la précieuse vocation qui leur a été confiée.

En cette vigile de Noël, nous sommes encore dans le silence, comme dit l’apôtre : « Voilà le mystère qui est maintenant révélé : il était resté dans le silence depuis toujours, mais aujourd’hui, il est manifesté. » Le dimanche dans l’octave de Noël chantera à nouveau ce silence éternel, quand les bergers seront repartis et les anges retournés au ciel. Car il y a silence et silence. Silence de mort -la paix des cimetières, ou silence de plénitude et de vie -le tombeau vide du matin de Pâques. Tout ce que Dieu fait de grand se passe dans le silence, le secret, la nuit. Ne craignons pas les mœurs discrètes de Dieu, tellement aux antipodes de notre agitation, de nos peurs du vide, de nos empressements à combler notre néant ! Peut-ton imaginer la Vierge Sainte recevoir l’ange dans le fracas des casseroles, le va-et-vient fébrile et inquiet, même sous prétexte du service de sa maisonnée? Je connaissais un maître des novices qui disait : « Je juge de l’aptitude d’un candidat à la vie monastique à sa manière de fermer les portes. » Respect du silence, condition de la vraie prière, délicatesse envers autrui, écoute attentive de Dieu et refus de tout ce qui peut distraire de Lui… Dans de tels foyers où est cultivé ce genre de finesse, il fait bon vivre et grandir, parce que Dieu peut y avoir la place qu’Il désire et qu’Il mérite.

C’est donc dans ce silence que Marie accueille l’Annonce, comme jamais un cœur humain n’a su accueillir le projet de Dieu sur l’humanité : Eve avait failli à sa mission, Marie la répare. Il lui suffit pour cela d’un seul mot, qui renferme toute sa vie et le destin de l’humanité entière, car il y a des mots qui sauvent et qui réparent, alors que d’autres peuvent semer la mort et la désolation. Mais Dieu est toujours du côté de la vie, et il y en a qui le comprennent et Lui prêtent leur cœur, leurs mains, leurs yeux. J’ai connu quelqu’un à qui un ami a dit un jour : « J’ai vu Dieu dans tes yeux ! » A son insu, c’était vrai, oh, un peu seulement, car Dieu est plus grand que les yeux de quelqu’un. Mais chaque être humain, s’il le veut bien un tout petit peu, peut être porteur de Dieu et manifester quelque chose de son amour sauveur.  Zefirelli, ce grand cinéaste italien qui a porté à l’écran son « Jésus de Nazareth », a su rendre ce que je suis en train de dire de manière extraordinaire. On voit le visage de Marie, toute jeune, à travers les fils du tissage auquel elle travaille, un petit visage fin aux yeux clairs et transparents, d’une simplicité et intensité absolument unique. Elle est prête à se laisse surprendre par l’ange, là, au milieu de son travail quotidien. Oui, je pense que ça a dû se passer comme ça ! On a dit que l’actrice qui a joué ce rôle n’a plus été tout-à-fait la même ensuite.

Soulignons encore un petit détail dans la scène de l’Annonciation : avant de prononcer son fiat, son oui, Marie pose une question à l’ange. Lors de sa vision au Temple, Zacharie, père de St Jean, fera également une demande à l’ange, et il sera privé de parole parce qu’il aura douté. La Vierge très pure, Elle ne doute pas : Elle est Vierge fidèle, pleine de foi. A aucun moment ne s’est glissé en Elle le poison du doute. Sa question concerne seulement le comment de l’opération, car la maternité projetée par Dieu est contraire à son vœu de virginité. Dans ce comment, il y a à la fois l’Immaculée Conception, la Virginité et la Maternité Divine qui sont trois réalités distinctes mais complémentaires. Et nous voyons là de manière resplendissante à quel point Elle est pleine de foi et de grâce.

En conclusion, nous ne pouvons que faire nôtre cette belle pensée de l’Abbesse fondatrice de Ste Cécile de Solesmes qui commente à ses sœurs l’Annonciation :

«Voici la servante du Seigneur ! » Quand une âme est résolue à acquiescer complètement à la volonté de Dieu, vous pouvez être sûres qu’elle arrivera au sommet. On cherche des méthodes de spiritualité ! Prenez la page de l’Annonciation. Si cela a suffi pour faire une Mère de Dieu, cela suffira pour faire une épouse parfaite de Notre Seigneur. »

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4ème dimanche de l’Avent B 20 décembre 2020
Nous entrons dans l’intimité de Noël par la petite porte : l’événement de l’Annonciation. La scène se passe sans témoin : juste la Vierge Sainte, qui ne s’en doutait peut-être pas ce jour-là, et l’ange qui s’en tient à quelques phrases essentielles et s’en retourne comme il était venu. St Joseph n’a même pas été consulté, et personne d’autre n’a rien su. Puisqu’il était là pour couvrir le secret, on ne s’est pas étonné de la voir enceinte après quelque temps : tout était normal, comme pour n’importe quel autre jeune couple qui s’aime bien et n’a pas tardé à accueillir un premier enfant. Tout cela est enveloppé d’une humanité délicate, et c’est peut-être la première caractéristique de l’intervention du Sauveur dans l’histoire des hommes :  au genre humain blessé, Il offre dès les premiers instants toute la délicatesse de son amour, Il l’enveloppe de cette attitude dont on ne connaît même plus le mot aujourd’hui et qui s’appelle la courtoisie. Le Père qui ne sait qu’aimer traduit son être et son action dans la splendeur de l’âme de Marie.  Si nous n’avons de l’Incarnation qu’une vision abstraite, nous passons à côté d’une de ses dimensions qu’on peut qualifier d’essentielle. Car si nous attendons de Dieu qu’Il se manifeste de manière tonitruante, à grands renforts de signes éclatants et d’apparitions répétées, nous nous trompons probablement de Dieu. La mission du Verbe en ce monde s’est réalisée somme toute de façon toute ordinaire, à tel point qu’elle est passée inaperçue aux yeux de la plupart et qu’elle n’a convaincu qu’une poignée de témoins bien disposés. Lorsque Marie dit oui à l’envoyé céleste, puis lorsqu’Elle devient la Mère de Dieu, rien n’a changé visiblement dans le monde. Et son Enfant, né d’une femme, a grandi comme les autres, Il a appris le métier de son père, et ce n’est qu’après bien des années qu’Il a commencé à prêcher à travers villes et villages d’un petit pays qui comptait peu sur la carte. Les pouvoirs en place ont fini par le trouver gênant, et ils s’en sont débarrassés comme beaucoup avant lui et plus encore après Lui : la vie humaine n’a jamais pesé très lourd face aux intérêts mesquins des puissants. Et le soleil a continué de se coucher et de se lever, les hommes ont continué à travailler et à s’amuser, à faire le bien et à faire le mal. Pourtant, un certain changement est advenu, même si ça a pris du temps. Trois siècles plus tard, sans crier gare, l’un des plus puissants empires de la planète s’est déclaré chrétien -un mot inconnu jusque-là, et honni. Depuis 20 siècles, c’est un événement d’histoire incontournable, qui s’insère dans la trame épaisse de l’humanité entière.

Tout cela nous dit quelque chose d’important, qui est au cœur de la foi chrétienne, parce que c’est la religion du Verbe incarné : ça nous interdit de penser que les événements du salut sont nécessairement extraordinaires, comme un coup de théâtre permanent. Non, Dieu est par essence discret, il s’insère dans la trame serrée des sociétés et des siècles, Il respecte le cours des événements et ne le trouble pas ou si peu. Le moment de l’annonciation est un tournant de l’histoire de l’humanité, et pourtant rien n’apparaît en surface. C’est à travers des instruments vivants, des circonstances où on ne pense même pas à Lui qu’Il continue d’être Emmanuel, Dieu-avec-nous. Il réalise notre salut et celui du monde entier dans et par nos vies humaines de tous les jours. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de nous préparer à Le recevoir, à chaque instant, de ne pas trop Le laisser passer son chemin, mais plutôt d’être en état de prière pour Le voir et Le repérer, comme Marie très Sainte qui est le modèle des âmes attentives dans sa simplicité. Nous n’avons pas à Le chercher ailleurs que là où nous sommes, là où Dieu nous a mis. « Que tout se passe selon ta parole » : en cette heure-là, le sort de l’homme et le dessein éternel dépendaient de Marie ; sa réponse ouvre la voie à l’action efficace de Dieu. Ce jour-là, elle devait accepter ou refuser pour tous ; par ce consentement, Elle acceptait du même coup tout ce que ça entraînerait pour son Fils et pour Elle. Dans cet ensemble surnaturel, Elle n’est pas qu’un instrument qu’on jette après usage : avec Dieu, elle embrasse tout et mesure tout. Alors que nous devons tout à Dieu, Dieu se fait redevable à sa Mère. Nous ne la remercierons jamais assez de ce fiat qu’Elle redit pour l’éternité en notre faveur.

Année liturgique C

1er dimanche de l’Avent C 28 novembre 2021
La plupart des verbes de l’évangile et de la première lecture sont au futur : un avenir nous est ouvert, des événements sont annoncés, un progrès est proposé. Ce qui nous fait prendre à nouveau conscience d’une donnée fondamentale de notre vie : le temps. Avec l’espace, il est un conditionnement incontournable de notre être créé. Nous ne pouvons y échapper, nous sommes dedans, il peut nous être favorable ou au contraire pesant. En tant qu’êtres conscients, il nous appartient d’en faire bon usage, de le traiter en ami plutôt qu’en ennemi. L’être humain, en effet, est seul qui est conscient de l’écoulement du temps, avec une seule certitude au bout : il aboutit à cet événement mystérieux qu’on nomme la mort. Un animal ne sait pas qu’il va mourir ; il peut sentir le danger, percevoir le caractère pénible ou agréable de moments qu’il vit, mais il ne sait pas que sa vie un jour cessera. Et qui plus est, ce caractère provisoire d’une vie qui nous est seulement prêtée ici-bas, il concerne aussi le monde dans lequel nous sommes placés. Ce monde finira lui aussi. Ce qui pose une autre question : et après ? Dès l’aube de l’humanité, la créature humaine a eu le pressentiment très fort d’un « après ». L’immortalité de l’âme traverse toutes les cultures.

Tout cela nous est en quelque sorte remis devant les yeux en ce début d’année, nouveau commencement, comme une perspective qui nous fait vivre la vie présente en vue de l’éternité. La manière dont nous concevons le temps peut nous aider à faire de notre vie un noviciat d’éternité. Pour les civilisations anciennes, la marche du temps était considérée comme une disposition arbitraire des pouvoirs célestes et cosmiques : il y avait des temps propices et des temps néfastes, des temps de salut et des temps de destruction. Alors, l’homme impuissant devant cet arbitraire divin tentait de se réfugier, par la magie, par exemple, dans des cycles sacralisés dont il se rendait participant et où il espérait trouver une certaine stabilité. Le temps biblique, au contraire, est tout entier rempli de Dieu : c’est Lui qui conduit son peuple à travers heurs et malheurs, et Il ne lui refuse jamais sa grâce et son pardon, même quand Il le punit. Les exils et destructions successives de Jérusalem n’ont rien changé à cette certitude, que Jésus reprend à son compte, quand Il annonce qu’un jour, il ne restera pas pierre sur pierre de ce Temple qui faisait l’orgueil des croyants. Le discours eschatologique d’aujourd’hui fait suite à cette prophétie. Mais ce qu’Il prédit n’est pas d’abord la fin du monde, car tout le monde en est plus ou moins conscient. Sous une forme un peu symbolique, il décrit le désordre qui est au cœur de l’histoire, à cause de la cupidité et de l’irresponsabilité indécrottable de la race humaine. Ce que nous vivons en ce moment n’en est-il pas l’actualisation tragique, à un degré encore jamais atteint ? Pourtant Jésus ne parle pas pour nous culpabiliser ou nous faire peur : Il nous invite à relever la tête et à croire que ces signes sont des signes de rédemption, de salut. Que nous réserve l’avenir ? Sans doute, on se dit que ce n’est pas le meilleur qui nous attend, mais ça fait longtemps qu’on le dit. Pourtant le meilleur n’est pas ce qu’on croit : ce n’est pas seulement un monde confortable où il fait bon vivre, où tout roule sans effort, où il n’y a aucun conflit. Le meilleur, c’est la part d’humanité déjà transformée par la présence invisible du Fils de l’Homme, qui permet ainsi de transfigurer même des situations intolérables humainement, et c’est aussi le sens des dernières recommandations qu’Il nous fait. Oui, si on se laisse aller, on s’alourdit dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie, on compense par des ersatz qui ne comblent pas les manques et les frustrations, par définition. Et les dégâts collatéraux engendrent souvent des situations sociales catastrophiques qui sont parfois irréversibles, pour les jeunes et les enfants notamment. Si au contraire, on s’efforce de miser sur Dieu et son amour, de lever sans cesse les yeux vers Lui, Il nous donne une paix qui n’est pas de la terre, Il sème la confiance et la joie. L’entrée du Verbe de Dieu par la petite porte de Bethléem a mis en route cette action humanisante continuée depuis par ses disciples. En ce temps de l’Avent, nous sommes dans cette douce lumière qui perce la nuit du monde, nous célébrons la Présence du Fils de l’Homme au cœur du temps et de l’histoire. Si bien que ce temps commence un avenir radieux qui fait échec même à notre péché. Faisons tout pour L’accueillir à nouveau avec ferveur pour qu’Il nous aide à remplir de Lui le temps qu’Il nous donne en attendant l’éternité.

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1er dimanche de l'Avent C 2 décembre 2018
C’est tout à la fin de l’évangile que le Sauveur Jésus parle de sa venue. Autrement dit, Il prépare ses disciples à son départ de ce monde et à ce qui suivra pour eux. Ce qu’Il dit nous concerne donc au premier degré, nous qui sommes dans ce temps qui suit sa mort et sa résurrection et précède son retour dans la gloire. Une oreille superficielle risque de ne retenir de l’évangile que des images de catastrophes et de perspectives effrayantes. On me racontait ces jours la réaction significative d’une jeune collégienne tombée malade inexplicablement, refusant de se rendre à l’école sous des prétextes visiblement légers. On avait prévu de montrer au élèves le film « Demain » qui propose une alternative crédible aux pronostics très sombres de l’écologie si on ne réagit pas. Mais la seule évocation d’un demain que toutes les informations décrivent comme catastrophique avait réussi à lui faire refuser jusque dans son corps d’envisager la perspective. Terrible emprise des médias qui ne matraquent pratiquement que du négatif, poussant jusqu’au suicide de pauvres jeunes incapables d’imaginer un autre avenir.

     Alors, c’est vrai : il n’y a que deux attitudes possibles. Ou bien, mourir de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde (comme quoi, ça ne date pas d’hier) ; ou bien, écouter les consignes d’espérance qui nous sont données par Jésus en personne, presque comme un testament, en 6 points : 1. Redressez-vous : on peut regarder le monde par le petit bout de la lorgnette ou par le grand, voir systématiquement ce qui ne va pas et ce qui manque, ou au contraire s’entraîner à voir d’abord ce qui est beau et ce qui nous porte, c’est affaire de choix. Nous avons une dignité, ne la laissons pas entamer. 2. Relevez la tête. Si le ciel n’est pas à l’horizon, on attrape tôt ou tard le mal de mer. Ce qui s’agite sur la terre a peut-être moins d’importance que ce qui est solide dans le ciel. 3. Tenez-vous sur vos gardes. Ne pas laisser notre cœur, notre âme et notre intelligence ingurgiter n’importe quoi, sinon on risque la crise de foi. Ne garder que ce qui nous nourrit vraiment. 4. Que votre cœur ne s’alourdisse pas dans la débauche et les soucis de la vie. Même si la débauche ne nous concerne pas, les soucis entretenus en boucle peuvent avoir à peu près le même effet ! Il n’y a plus que ce qui nous tire vers le bas. 5. Restez éveillés. Notre vie est un choix constant entre ce qui est de Dieu et ce qui ne l’est pas. Il n’y a pas de neutralité possible, et ce choix est de chaque instant. Pascal disait : « Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde. Il s’agit de ne pas dormir durant ce temps-là. » 6. Priez. Tout cela n’est pas possible par nos pauvres forces. Nous ne pouvons que le demander à Dieu, à tout instant. Nous savons dans la foi que le monde a un avenir, qui aboutit à la vie éternelle. Ce qui veut dire que nous avons à accepter que tout passe, y compris moi-même ! L’expérience des siècles montre que dans toutes les situations où tout semblait détruit, perdu, ébranlé, l’aventure humaine jaillit comme un chant d’espérance, parce que Dieu seul demeure, Il est le Vivant pour toujours. Ceux qui pensent trouver en eux-mêmes seulement la force de ne pas tomber ne peuvent que sombrer dans la déprime et le désespoir. Il y a en l’homme plus que l’homme, et ce monde éphémère et caduc a été touché par Dieu en son Verbe incarné. C’est pourquoi Il doit revenir pour nous montrer la totalité de son plan, qui ne peut être limité à l’époque qui est la nôtre, comme à aucune autre époque.

Voilà exactement le sens de l’Avent : non pas d’abord l’attente de la naissance du Sauveur à Bethléem, il y a bien longtemps, mais le début de ce que ce Sauveur est venu accomplir par sa mort et sa résurrection. C’est le sens de toute l’histoire des hommes et de notre histoire personnelle, car Dieu est la vie. Même au sein des jours les plus courts de l’année, la lumière existe, et elle ne peut que grandir si nous l’accueillons en nos cœurs, comme les cierges de la couronne de l’Avent.

2ème dimanche de l’Avent C 5 décembre 2021
Une voix dans le désert : comment s’en souvient-on encore aujourd’hui ? Mais comme quelqu’un avait écrit sur un billet de banque : « On ne peut pas arrêter les idées. » Ce que Jean proclame vient de Dieu, c’est Lui qui parle, en fait, et son précurseur n’est qu’une bouche qui articule ses paroles. C’est absolument dérisoire face au puissant exorde de l’évangile de St Luc : les grands de ce monde n’ont pas à tenir compte de ce prophète hirsute qui pourtant ébranlera la cour d’Hérode. Rien que par sa parole, puissante elle aussi, mais dans un autre sens : non pas puissance qui écrase et domine, mais force qui relève et oriente. La parole de Jean marque moins le commencement de l’évangile que la fin des préparatifs. Tout est dit désormais pour que puisse advenir le Verbe en personne, la Parole substantielle, Dieu en action parmi les hommes. Face à Lui, toute autre parole pâlit. La vocation de Jean est présentée comme un carrefour de l’histoire des hommes : à l’universalité du monde figurée par César, empereur de toute la terre, comme il le prétendait, est offert le salut que Dieu apporte à toute chair. Le passage d’une universalité terrestre à toute chair, dans l’espace et dans le temps, se fait par la parole de conversion prêchée par Jean. Le contraste est fort entre les grands de ce monde, tous éphémères même au faîte de leur puissance, et l’action de Dieu dans les cœurs qui L’accueillent et qui font la véritable histoire, celle qui dure jusque dans l’éternité. Après avoir dressé le cadre de l’histoire universelle, c’est pour dire qu’à l’intérieur de ce cadre, dans l’histoire telle qu’elle est à ce moment-là, commence dans le désert, loin des hommes, l’événement décisif pour la vie du monde. Voilà donc le choix qui s’offre à nous comme aux contemporains de Jésus : déjà ici et maintenant, nous avons à choisir entre la terre et le ciel. D’une certaine manière, n’est-ce pas ce choix que nos sociétés ont fait depuis la crise du covid ? On mise tout sur la santé du corps, on prétend éliminer la maladie et la mort même, et si elle arrive, quand même, car on ne peut pas mentir jusqu’au bout, on la cache comme un accident regrettable, en prétendant qu’il ne se reproduira plus dans un système de pensée dont elle ne fait pas partie. Dieu nous a donné la vie comme un cadeau précieux, à préserver le mieux possible, certes, mais pas sans la perspective qui dépasse le bien-être et le confort, ce rétrécissement qui fabrique la déprime et rend insupportable tout ce qui s’y oppose. Avec ou sans vaccin, c’est la vie éternelle ou rien. Et justement, le salut annoncé a une caractéristique essentielle : il est doté d’un dynamique qui atteint le monde entier, qui concerne tout homme et tout l’homme, y compris dans sa dimension immortelle. Tout le contraire d’un rétrécissement. C’est une spécialité de St Luc de souligner cet horizon élargi : dès l’annonce aux bergers, c’est la paix aux hommes qui est proclamée ; au Temple, Syméon voit le salut préparé à la face de tous les peuples ; et sa généalogie nous rappelle que jésus est fils d’Adam, autrement dit le Sauveur de l’humanité entière. Dans l’énumération des personnalités du début, il mêle juifs et païens, autorités politiques étrangères et chefs religieux juifs, comme pour demander aux lecteurs de saisir le nouveau peuple de Dieu dans toutes ses dimensions. Ce qui n’est pas seulement affaire d’extension géographique, mais de recréation globale par le salut qui en est la source.

C’est à l’accueil de ce que Dieu veut et propose que sert la préparation de Jean et le signe de l’eau qui l’accompagne. Il y a en effet fort à faire pour que la voie soit libre dans nos cœurs afin que Dieu puisse y arriver sans encombre, pour que puisse s’opérer la rencontre. N’y accède que celui qui a fait tout le chemin possible de son côté ; mais en même temps l’action de sauver n’appartient qu’à Dieu, c’est un cadeau gratuit et immérité, sans commune mesure avec les efforts consentis et les bonnes dispositions élaborées pour l’accueillir. Dieu nous donne tout, mais Il ne fait pas à notre place ce qui nous revient. Il y a donc un équilibre subtil entre le primat de l’action divine -la grâce est toujours gratuite, et nous peinons souvent à concevoir à quel point- et la nécessité de la réponse humaine. On est toujours un peu coincés entre le pélagianisme (c’est l’effort de l’homme qui mérite la grâce) et le quiétisme (Dieu fait tout, donc je n’ai rien à faire). Le geste d’humilité du baptême de Jean est du genre « signe de bonne volonté », sur lequel se greffera l’action propre de Dieu. Dieu nous honore en comptant sur notre pauvre effort, qui déjà vient de Lui. Parole, rencontre, événement, conscience : à travers eux passe l’initiative qui vient de Dieu. Non un système, une idéologie produite par l’homme, mais une référence à plus grand que soi qui seule peut sauver ce qui était perdu.

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2ème dimanche de l’Avent C 9 décembre 2018
En un exorde très solennel, St Luc commence son évangile en situant dans l’histoire cette incroyable aventure du Fils de Dieu en personne qui vient des cieux poser ses pieds sur notre petite terre. Il énumère tout ce qui compte ici-bas, à commencer par le maître du monde, l’empereur Tibère, représenté en Palestine par un procurateur de piètre catégorie, dont on retiendra le nom dans le Credo, à cause d’un épisode plus célèbre que lui. Puis les quatre princes fantoches qui se partagent un pouvoir de pacotille, mis en place par les romains pour mieux tenir en main ce pays remuant, et, comble du comble, les deux grands-prêtres, parce qu’un seul, ce serait trop simple et trop limpide. Mais ces trois puissances, qui sont le comble de la division, s’entendront bien, trente ans plus tard, pour faire mourir Jésus. En somme, la corruption politique et religieuse à son sommet de comédie et de prétention, l’image parfaite de la décadence qui jette le soupçon sur toute autorité ici-bas, un peu comme aujourd’hui où plus personne ne croit vraiment que le pouvoir en place soit réellement au service du bien public. Mais au fond, à quelques glorieuses exceptions près, n’en est-il pas toujours ainsi ? Cela ne fait que mettre en valeur par contraste un personnage comme Jean, marginal s’il en est, qui pourtant draine les foules par sa rusticité et ses paroles sans concessions, qui lui coûteront la tête, à lui aussi, parce que la vérité a un prix, plus fort que la mort même. Voilà campé le décor, tout autre qu’idéal, dans lequel le Verbe se fait chair. On pourrait presque dire que Dieu s’ingénie à choisir le pire pour se manifester. C’est dom Chapman, un bénédictin anglais ami de Newman, qui disait : « Quand tout va mal, c’est signe que pour Dieu, tout va bien. »

Dans ce drame du monde livré au péché, nous ne sommes pas neutres. On ne peut se contenter de compter les points et d’attendre que les grands se convertissent, et qu’enfin, un pouvoir politique irréprochable se mette à ne faire que du bien désintéressé, et même que l’Eglise ne soit composée que de gens immaculés, et qu’il suffise de suivre sans faire d’effort. Ce que Jean prêche, ce n’est pas d’abord aux grands de ce monde qu’il le fait. La seule fois qu’il osera le faire, ça ne lui réussira guère. Les gens auxquels il s’adresse, ce sont de pauvres gens qui n’ont rien à perdre et tout à espérer, parce que le gros de la population de tous les temps, ce sont ces gens-là. Et que leur dit-il ? Il les convie à un travail de bulldozer : aplanir des routes, combler des ravins, abaisser des montagnes et des collines… Jésus dira Lui aussi : « Si vous aviez la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne… » Il semble qu’ils ont tous deux une prédilection pour les travaux d’utilité publique, puisque ceux qui sont aux commandes ne les intéressent pas ? Et en ce temps-là, ces travaux-là ne se faisaient pas en appuyant sur une manette et des boutons, mais à la sueur du front et des muscles. Le baptême de conversion, simple signe de bonne volonté, c’est le début d’une entreprise autrement pharaonique qui est la remontée intérieure de notre pauvre nature humaine éreintée par des millénaires de péché, de négligence, de trahison et de mensonge. Quand on pense à la peine que nous avons de changer des habitudes parfois infimes qui nous collent à la peau, on se trouve bel et bien dans ce registre des choses impossibles à vues humaines, ce que Jacques Rivière, ami de Péguy, appelle les « dérangements énormes » des petites aises bien installées et souvent farouchement défendues qui sont la trame ordinaire de nos vies ! Tout ce qui nous fait dire, au fond, cette parole qui fleurit à foison sur les lèvres des ados : « J’ai pas envie… » St Paul nous invite à un tri, dont le motif est l’amour de Dieu, qui nous fait progresser dans la connaissance de ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Un critère toujours de saison qui nous garde de tomber dans ce que quelqu’un appelait le sens suraigü de l’inessentiel. Pour que Jérusalem puisse quitter sa robe de tristesse et de misère, il y a en chacun de nous des montagnes d’égoïsme, des collines de paresse, des ravins d’injustice, des passages tortueux de mensonge à raser et à combler. Si nous n’avons pas de bulldozer à disposition, commençons à la cuillère, Dieu ne nous laissera pas trimer jusqu’au bout, car Il vient en personne, et c’est cela, le salut de Dieu.

3ème Avent C 12 décembre 2021
Pousse des cris de joie…réjouis-toi… tressaille d’allégresse ! Facile à dire, vous ne trouvez pas ? Pourtant Sophonie écrit à une époque aussi sombre que la nôtre, et son langage est très souvent sévère, face aux cultes des faux dieux, aux modes indécentes, aux ministres corrompus. Il a du péché une notion profonde, ce péché qui est une atteinte personnelle au Dieu vivant. Pourtant, un reste subsiste qui ne suit pas le gros de la troupe et reste fidèle dans le silence et l’humilité. Grâce à eux, Dieu est là, vraiment, et son Jour resplendira infailliblement : c’est la cause de cette joie, au-delà des apparences décevantes et des épreuves du moment. Nous, lorsque nous pensons joie, nous voyons festivités et banquets, mets délicats et vins raffinés ; le menu de St Jean Baptiste est plus spartiate, visiblement. Lorsque nous espérons nous réjouir, nous allons à un spectacle qui nous divertisse et nous fasse rire : Jean, lui, n’a qu’un mot à la bouche : « Repentez-vous ! » Ah bon, c’est ça, sa bonne nouvelle ? Si nous nous imaginons en tenue de gala, lui se contente de poils de chameau - ça gratte, si vous saviez !- et une courroie de cuir, pas vraiment le comble de l’élégance ! Et malgré tout ça, les foules lui courent après, lui demandent conseil, même Hérode qu’il ne ménageait pas aimait l’écouter ! Comment ça se fait ? Peut-être déjà simplement que la plupart comprenaient qu’il disait la vérité, même si elle n’est pas toujours agréable à entendre. Et ils voyaient qu’il était profondément heureux, parce que totalement libre. Il n’a pas de tourment intérieur à concilier ses intérêts avec sa mission : il n’a pas d’intérêt, tout simplement. Et donc, il n’y a pas de place en lui pour une quelconque frustration. Ce qui nous pose la question de savoir ce qu’est le vrai bonheur, la vraie joie. Pas seulement le plaisir passager, le sentiment du bien-être qu’on trouve dans le divertissement ; car ce genre d’activité ne dure pas, et après, bonjour, tristesse ! Plus nous nous engageons dans le superficiel, dans l’évasion, la fantaisie, plus nous éloignons de la signification profonde de notre existence. St Jean a le regard assez purifié pour reconnaître tout de suite Celui qui vient baptiser dans l’Esprit-Saint et le feu. Lorsqu’on regarde avec les yeux de Dieu, toute la réalité est différente : on voit à la fois la beauté et le péché. La conversion nécessaire n’est pas un obstacle à la joie, c’est ce qui empêche de se croire trop vite arrivé. Car le but n’est pas la satisfaction tranquille d’un accomplissement personnel, comme on le fait croire aujourd’hui : toutes les techniques de développement personnel, en étant son propre centre de gravité, la seule réalité autour de laquelle le monde tourne. La vraie joie, c’est celle d’un cœur contrit et d’une existence partagée, c’est de reconnaître ce besoin du cœur de l’homme de s’effacer devant Dieu et de trouver ainsi un amour plus grand que soi. Même un soldat ou un collecteur d’impôt peut faire honnêtement ce qui lui est demandé, sans forcément changer de profession. Se convertir, ça ne veut pas dire forcément changer de place, trouver en dehors de soi des conditions plus favorables à la vertu ; c’est changer d’attitude, c’est regarder par le bon bout de la lunette depuis là où on est, c’est tirer le meilleur parti de ce qu’on a entre les mains, c’est accepter avec le sourire sa pauvreté, en sachant que quand elle est acceptée non comme une fatalité pesante, mais comme une opportunité, elle attire la grâce de Dieu. Et de fait, nous venons à la Messe avec nos préoccupations, nos meurtrissures, nos murmures intérieurs et nos critiques. Nous avons toute la semaine lutté et eu des moments de succès ou d’échec. Chacun a ses convictions, ses recettes miracles qui ne marchent pas, ses espoirs déçus et ses surprises qui agacent. On avance ainsi, cahin caha, en se demandant comment ça finira quand on sera vieux. Et pourtant, quand on veut bien se donner encore un peu de peine, quand on ne calcule pas trop ce qu’on donne, une certaine joie est au rendez-vous. On dépose tout ça en bouquet au pied de la croix et Dieu fait le tri, ou plutôt Il se sert de tout, vraiment de tout, pour que ça serve au salut de tous, parce qu’Il a voulu que ça se passe comme ça. Il y a bien le tri entre le grain et la paille, mais la paille, quand elle brûle, dégage de la lumière et de la chaleur. Il est très puissant, Celui que Jean annonce ! Si nous nous en remettons à Lui sans réserve, Il fera ce que nous sommes incapables de faire, et c’est ce qui sera notre joie. Jean l’avait bien compris, lui qui disait qu’il faut qu’Il grandisse et que nous nous fassions tout petits. Alors, nous serons au niveau de la crèche et de plain-pied avec l’Enfant qui nous sourira et nous prendra par la main comme ses frères.

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3ème de l’Avent C 16 décembre 2018
« Pousse des cris de joie, tressaille d’allégresse, soyez toujours dans la joie… » On serait d’emblée tenté de dire : « Pfff, facile à dire !... » Si beaucoup de gens « s’éclatent », notamment en fin de semaine, par définition, il ne reste souvent ensuite que des morceaux. Piètre antidote à une société passablement morose au total, à laquelle on ne sait quelle pilule de joie administrer qui soit tant soit peu efficace. Cette joie à laquelle Dieu nous invite en ce dimanche rose est-elle réaliste et plausible ? Oui, répond l’évangile de ce jour, dans un réalisme très concret, mais à 3 conditions. Et c’est Jean-Baptiste, qui apparaît précisément comme un rabat-joie aux observateurs un peu pressés, qui nous les énumère. Avant de nous pencher sur ses recettes, écoutons la seconde partie de son sermon. Le peuple était en attente, est-il précisé, ce qui veut dire que les consignes morales ne lui suffisent pas. Et il leur parle de Celui qui doit venir et qui est plus puissant que lui. Il ne se contentera pas de leur donner un signe de conversion, de les encourager dans leur désir de correspondre aux dons de Dieu : Il les remplira de l’Esprit même de Dieu, voilà sa promesse. Le monde est un mélange douloureux de bien et de mal, mais il marche vers une clarification radicale, vers un jugement qui le nettoiera de tout mal. Pour le moment, il y a le bon grain, que nous ne voyons pas assez, parce qu’il est sous la bale qui ne vaut rien. Ah non, ce n’est pas pour ce gâchis, cette saleté que j’ai créé le monde, dit Dieu, et ça ne durera pas éternellement ! Mais au lieu d’attendre passivement que Dieu fasse le tri sur l’aire à vanner, nous pouvons déjà commencer à notre mesure. Nous nous scandalisons à juste titre parce que certains sont gavés pendant que d’autre meurent de faim ? Fort bien : que puis-je faire pour qu’un pauvre, aujourd’hui, ait à manger et pas seulement du pain, mais de l’amitié ? Il y en a qui ont des privilèges dûs à leur métier, leur fonction, leur travail même. Mais «noblesse oblige » et je puis me demander comment j’utilise le petit pouvoir qui est le mien –car tout le monde en a au moins un peu, même au monastère- pour le service d’autrui, non comme un faire-valoir et une volonté de puissance méprisante. Il y a de multiples formes de violence, verbale notamment, auxquelles on ne prête que rarement attention et qui laissent des blessures durables chez ceux qui en sont victimes. Or un disciple du Christ se doit d’être un doux, même s’il n’est pas faible. C’est même le contraire qui est vrai : la douceur vient du don de force, parmi les dons du St Esprit ! Accepterons-nous de nous poser régulièrement la question : « Et nous, que devons-nous faire, et moi, que dois-je faire ? » Et si, sans doute, malgré toute bonne volonté, on voit bien qu’on y arrive pas, ou très peu ou seulement de temps en temps, là, nous ne pouvons que mendier la grâce de Celui qui baptise dans l’Esprit Saint et le feu. Ce feu vient pour purifier jusqu’à nos meilleures intentions, l’Esprit est un vent de tempête qui chasse tout ce qui ne pèse pas lourd dans notre vie. La joie, c’est de voir que Dieu est vainqueur de toute lourdeur et impossibilité humaines. La vraie joie chrétienne est une tristesse surmontée par le Haut, sans gémir sans cesse sur ce qui est laid, ce qui ne va pas, ce qui s’oppose à notre plaisir immédiat qui nous tient souvent lieu de joie, mais en étant sûr que Dieu nous invite déjà à voir clair, à séparer la paille et le grain. Les 3 réponses de Jean concernent les relations sociales habituelles. Elles n’imposent pas de changer de métier, de sortir du monde, d’être un pur. Ce que chaque métier nous impose de faire, on peut le faire plus ou moins bien, et tout est dans la manière. St Nicolas de Flüe a été soldat et magistrat, époux et papa avant d’être ermite. Et il était déjà saint dans l’accomplissement des devoirs d’état successifs par lesquels Dieu l’a fait passer. Au fond l’essentiel est de mettre en premier l’autre, et cet Autre, c’est d’abord Dieu. Il est la source inépuisable de notre joie, et l’action de grâces dont parle l’Apôtre est l’habitude la meilleure pour la reconnaître. N’oublions jamais de dire merci à Dieu pour tant de grâces, petites ou grandes qu’Il sème au long de nos journées, et aussi dans la nuit.

4ème dimanche de l’Avent C 19 décembre 2021
On bouge beaucoup dans l’évangile, ces temps. On a même souvent l’impression que les gens sont sans cesse sur les routes, ce qui fera sire à Jésus que le Fils de l’homme n’a pas même une pierre où reposer sa tête. Notre terre est certes le domaine du provisoire, mais pourtant, nous aspirons souvent à un peu de stabilité et de calme. Voici donc le récit d’un déplacement de Marie, à pied, bien sûr. Sur la carte, ça fait environ 150 kms, entre campagne et montagne. Pas vraiment indiqué pour une jeune maman qui est enceinte. Mais Elle est en bonne forme, pas habituée à s’écouter, et Elle pense à cette cousine plus âgée qu’Elle. Elle a besoin d’aide et plus encore d’encouragement. Se doutait-elle au départ de ce qu’il adviendrait entre les deux, qui est de l’ordre surnaturel, ô combien. Elle sait Qui elle porte en Elle. Elle est messagère de Dieu, et ce n’est pas une affaire de parole : c’est Dieu en Personne qu’Elle apporte et ça ne peut pas attendre, on s’en doute ! Elisabeth, de son côté, porte en elle le messager du Messie. Lui aussi fera bouger les foules qui se rendront auprès de lui, dans la vallée du Jourdain, lui qui avait quitté son désert parce que sa prédication ne pouvait pas attendre. On ne fait pas attendre Dieu et son amour, et pourtant, si souvent, nous Le laissons en carafe alors qu’il a hâte de nous voir. On s’éloigne périodiquement de Lui, alors, Il se met en route pour venir nous chercher. Et Il le fait tout de suite, pas encore né, mais en route vers sa naissance, parce que ça ne peut pas attendre. Le tressaillement de Jean à son approche dit quelque chose de cette impatience adorante qui correspond secrètement à l’empressement de Dieu qui ne peut pas se passer de nous. Il y a comme un air du Cantique des cantiques qui traverse ces âmes que Dieu habite et qui nous rappelle que notre vie est une histoire d’amour qui ne cesse de nous mettre en mouvement à la rencontre de l’Aimé. Un émerveillement en appelle un autre, c’est une sorte de surenchère de compliments, mais il ne s’agit pas de politesse compassée à l’orientale : c’est comme la mise au jour de réalités merveilleuses qui étaient dans le secret de Dieu et qu’Il veut nous montrer et nous partager.

St Luc accorde une grande importance aux voyages : pour lui, la route est le lieu le plus important de la Révélation. Ce premier voyage de Marie, Mère de Dieu, a ses notes particulières. La première, c’est la hâte : « Réjouie par son désir, zélée par son service, transportée par sa joie », dit St Ambroise. Mais cet empressement n’est pas seulement de venir en aide à une parente âgée : c’est bien plutôt l’Esprit-Saint qui est impatient de laisser jaillir des lèvres d’Elisabeth la première reconnaissance du Messie, et de chanter en réponse le Magnificat. La hâte de Marie est d’ordre missionnaire. Elle inaugure ici le cheminement des apôtres qui porteront aux 4 coins du monde la contemplation des traits du Fils de Dieu. Mais le parcours, la direction, la durée de ce voyage veulent aussi nous dire quelque chose : il y a un parallèle à faire avec ce qui advint à David dans sa quête de l’Arche d’Alliance : comme lui, Marie arrive des hauteurs de Juda ; comme l’Arche, Elle y séjourne 3 mois, après s’être arrêtée dans une maison, et elle est l’occasion de transports d’allégresse et de bénédictions débordantes. Ce qui est exprimé par un mot qui est inconnu dans le grec classique : le mot joie, dans un sens particulièrement intense, qu’on retrouve plus de 90 fois dans le psautier : la joie ressentie en présence de Dieu, là où Il fixe sa résidence, la joie du culte très saint et de la vraie piété, joie du Magnificat en un mot qui est l’un des sommets de l’évangile. La Présence de Dieu si concrète en son Fils et son cousin, le Précurseur, dont Jésus dira : « Abraham a vu ce jour et s’est réjoui. ». Et Lui-même se réjouira en voyant comment l’évangile, la bonne nouvelle, est révélée aux tout-petits. Dès le moment de la Visitation, le fils d’Elisabeth est la figure de ces petits qui viennent à Lui. Son tressaillement est le fruit de l’Esprit-Saint dont Elisabeth est remplie, et il déborde sur les assistants ; il se produit au cours d’une rencontre et dans un dialogue qui insiste sur les diverses parties des corps en présence : oreilles, voix, ventre, parce que la bénédiction et le salut atteignent l’être tout entier. La bénédiction invoquée sur Marie n’est pas seulement louange verbale, mais signe de la présence agissante de Dieu : elle place Celle qui est bénie dans un certain climat qui baigne tous les récits de l’enfance chez St Luc. Nous aussi, bénissons souvent ceux que nous rencontrons, à tout moment, à tout propos, et surtout quand nous avons envie de faire le contraire : ainsi le combat messianique répandra la paix comme un fleuve et Celui qui vient sera accueilli comme Il l’attend et le mérite.

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4ème dimanche de l’Avent C 23 décembre 2018
     L’évangile nous dévoile avec délicatesse ce que furent les sentiments de la Vierge Sainte dans cet étrange voyage qui la mena de Galilée jusqu’à Aïn Karim, près de Jérusalem : une sorte de répétion générale du voyage de Noël qui allait l’amener pas très loin de là, à Bethléem la cité de David. Elle devait être portée par la force de sa jeunesse pour faire seule ce voyage, juste pour rendre service à cette parente agée, qui est, elle, aussi novice que sa jeune cousine, puisque l’enfant qu’elles attendent sera le premier et l’unique. Mais il semble bien que le but du voyage, dans les plans de Dieu, ait été assez différent. Dans cette affaire, il y a d’abord beaucoup de silence, de contemplation, où le regard a caressé les paysages traversés, médité sur ce qui l’a menée là, prié pour des intentions qui embrassent le monde et l’histoire tout entière. Elle le sait : Elle porte en Elle le Verbe de Dieu. Elle est missionnaire comme jamais personne ne pourra l’être en cette intensité. Comme un jour, à la croix, Elle sera à Elle seule toute l’Eglise qui prie, qui offre et qui espère, Elle est ici celle qui prépare les cœurs à l’accueil de Dieu et à la louange, lui donnant ce modèle insurpassable, le plus cristallin qui soit jamais sorti d’un cœur humain et que Dieu nous fait l’honneur de mettre sur nos lèvres, chaque soir, à la fin des vêpres. Nous avons la grâce insigne de pouvoir, nous aussi, nous porter à sa rencontre, Le visiter quand personne ne pense à Lui, Le servir dans nos proches lorsqu’ils ont besoin de nous et n’osent pas nous le dire. Marie est messagère, porteuse de Dieu, comme Elisabeth est porteuse du premier messager du Messie. Lorsqu’il nous prend de vouloir faire un peu de bien, qui que nous soyons, il est évident, il est sûr que tout commence par la présence de Dieu au plus profond de nous, car Lui seul est l’amour, Lui seul peut nous enseigner l’amour digne de ce nom. C’est Lui qui doit grandir en nous, et nous diminuer. Nous prenons toujours trop de place, même dans nos meilleurs projets. Où cela peut-il nous conduire ? Que savait Marie, à ce moment-là, de sa trajectoire de vie ? Avait-Elle des projets précis ? J’aime à imaginer qu’Elle ne pensait qu’à être à chaque pas ce que Dieu voulait par les événements, y voyant concrètement sa volonté adorable, et sachant que si Elle disait oui, Il ferait de toutes manières par Elle des merveilles. Lesquelles ? Là encore, Elle ne faisait aucun plan, n’avait aucun désir précis. Elle les découvrait au fil des heures et des jours, dans cet émerveillement du Magnificat qui ne cessera sur cette terre qu’à la fin du monde et se dilatera pour toujours dans le ciel.

     C’est une sorte de liminaire de l’évangile que la salutation d’Elisabeth : « Bienheureuse, toi qui as cru ! » Oh oui, personne n’a jamais cru aussi bien, aussi totalement, aussi purement ! Dieu veut se faire homme pour apporter à l’homme le bonheur, et la porte de ce bonheur, c’est la foi, l’ouverture à ce que Dieu veut et qui sera bien, puisque ça vient de Lui. L’évangéliste St Luc a coulé son récit de la Visitation dans plusieurs allusions claires au transfert de l’arche d’Alliance à Jérusalem par le roi David. Elisabeth reprend presque mot pour mot l’exclamation de David, bouleversé par la présence de Dieu dans sa ville et sa maison. : « Comment l’arche du Seigneur pourrait-elle venir chez moi ? » Or, Marie est l’arche d’Alliance qui porte Dieu en Elle, comme le chantent les litanies de la Vierge. C’est l’Esprit-Saint qui guide ces deux femmes et les fait tressaillir d’allégresse avec leurs deux enfants : quelle explosion de joie en ce coin perdu de la montagne ! Car si la scène de la Visitation reproduit symboliquement le transfert de l’Arche d’Alliance dans l’Ancien Testament, et elle annonce tout aussi symboliquement l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte. Marie a présidé à la naissance dans la chair du Verbe de Dieu, et Elle présidera à la naissance de son Corps Mystique, l’Eglise. L’Esprit se signale toujours par ces transports de joie qui sont le prolongement de la louange, dans la reconnaissance pour les dons de Dieu. C’est dans cette exultation que nous entrons dans le mystère ineffable de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous : gardons-là au cœur comme une lumière plus forte que toutes les ténèbres qui nous entourent. N’oublions jamais que la plus petite lumière fait échec aux ténèbres si nous la tenons allumée.

***** Antiennes O ***** du 17 au 23 décembre

Antiennes O du 18 au 23 décembre 2023

Le 17 décembre 2023 est le 3e dimanche de l’année B : l’homélie remplace la méditation sur les antiennes O.

18 décembre 2023 Adonaï
Le Nom de Dieu, c’est Lui-même, c’est sa Personne, par lequel Il se désigne Lui-même. Mais comme il est absolument transcendant, on ne peut le prononcer en connaissance de cause : dans la lecture publique de l’Ecriture Sainte, le tétragramme que nous rendons par Yahvé est remplacé par Elohim ou plutôt par Adonaï, mon Seigneur. On le donne à un personnage important qui a autorité souveraine sur des subalternes. Mais le « mon » a une nuance d’intimité et de respect, de relation affectueuse et de soutien paternel. Après l’évocation de la création dans l’antienne d’hier, c’est Moyse qui est mis en scène aujourd’hui, avec la révélation de Dieu au buisson ardent et le don de la Loi au Sinaï. Le Messie attendu réalise les promesses depuis les origines, c’est Lui qui était en vue quand dieu intervenait dans l’histoire de ce peuple qu’il avait choisi par pure grâce et même parce qu’il semblait particulièrement indigne de son choix. Tout l’Ancien Testament est donc passé en revue, rien que pour nous rappeler que Dieu a de la suite dans les idées, et qu’il n’y a pas de raison qu’Il cesse d’en avoir. Puissions-nous toujours relire notre vie dans cette perspective.

19 décembre 2023 O Radix Jesse
En faisant un pas de plus dans l’histoire d’Israël, le personnage un peu obscur de Jessé est tiré de l’ombre. On sait l’importance des généalogies pour l’Orient ancien : le premier maillon de la descendance de Jésus est ainsi nommé par le premier de la lignée de David, son fils qui deviendra le plus célèbre. On passe de la campagne à la cour royale. Le nom de Jessé, phonétiquement proche de celui de Jésus, signifie : homme de Dieu (Yahvé). Pourquoi est-il un signe levé sur les nations ? Peut-être par cette origine plus que modeste qui marque le choix de Dieu. Il aime à choisir de pauvres intermédiaires, pour qu’on ne confonde pas la source avec le robinet. Bethléem, petite bourgade insignifiante à une encablure de Jérusalem, sera ainsi tout naturellement le lieu de naissance du Roi-Messie. Demeurons attentifs à ce qui est petit, modeste, discret : ce sont les signes les moins équivoques de la présence et de l’action de Dieu parmi les hommes.

20 décembre 2023 O Clavis David
On aurait pu, en étant fidèle aux livres historiques, parler plutôt de sceptre de David, plus évocatrice de la royauté.  Pourquoi la clef ? Le monde ressemble, pour tant de pauvres êtres, comme une sombre prison. Mais la plus obscure des prisons peut devenir sinon un paradis, du moins un lieu où l’on est pleinement heureux, parce que Quelqu’un nous ouvre une porte dans le cœur qui donne accès au sien. C’était Ettty Hillesum, cette déportée de Westerbok, qui mourut à Auschwitz, qui avait fait une ascension spirituelle impressionnante, qui disait : « Quand on a une vie spirituelle, peu importe de quel côté des barbelés on se trouve. » La clef du paradis, Il s’en est servi sur la croix pour introduire dans sa joie le Bon Larron, c’est sa croix qui est la clef, elle lui a été donnée par son Père dans le berceau. Elle ne sert pas tant à fermer qu’à ouvrir. Mais il faut se rappeler que la porte s’ouvre contre nous, alors que souvent, nous la poussons dans le faux sens, car c’est Lui qui veut entrer. Et c’est Lui qui a la clef de son côté, car Il veut faire en nous sa demeure. Qu’Il nous fasse la grâce de ne pas rester enfermés dans notre petit moi.

21 décembre 2023 O Oriens
Tout comme hier, c’est le Cantique de Zacharie qui est à l’origine de l’Antienne O de ce jour.      C’est presque mot à mot que l’antienne d’aujourd’hui reprend le dernier verset du Benedictus, le cantique de Zacharie, que nous entendions il y a peu. Le Christ est le vrai soleil levant qui vient nous visiter. Il détermine l’orientation de nos églises (le mot lui-même signifie : être tourné vers l’Orient), et normalement celle de la liturgie, qui est essentiellement un mouvement vers Dieu, révélé en Jésus-Christ. Nous sommes habituellement, à moins d’une pathologie destructrice, attirés vers la lumière, même si elle nous éblouit. Et nous savons que nous ne pouvons pas en être privés trop longtemps sans dommage notable pour notre intégrité.

Nous voici entièrement tournés, orientés, vers la Lumière qui vient, le Soleil de justice qui se lève sur ceux qui gisent dans l’ombre de la mort. Par le personnage de Jean, nous savons la valeur de la justice des hommes : mais il y a une justice supérieure qui, au final, redressera tous les mensonges, les condamnations d’innocents, et ouvrira les cachots intérieurs où tant de pauvres ont été jetés. L’épître et l’évangile sont remplis de cette joie lumineuse et communicative. Tout n’y parle que de bonheur, de tressaillement, d’accomplissement, et pourtant tout n’est qu’en germe encore. Le Bien-aimé du Cantique n’est autre que le Christ qui vient à la rencontre de Jean, et à travers lui, de toute l’humanité qui peine et qui espère. Soyons attentifs et accueillants à tous ceux qui passent le seuil de notre maison et disons-leur : « Comment ai-je ce bonheur de voir arriver l’enfant du Seigneur ? »

22 décembre 2023 O Rex gentium
Le Roi Messie n’est pas seulement le libérateur de son peuple, comme au temps de l’Exode. Ce que Dieu a fait pour Israël n’est que l’exemplaire de ce qu’Il veut faire pour toute l’humanité. Les prophètes avaient déjà entrevu l’élargissement des perspectives historiques, au grand dam des nationalistes qui ne voulaient rien partager de leurs privilèges. Dès la Pentecôte, les apôtres se hâtèrent de partir à la conquête du monde. A l’homme pétri de la terre, Dieu promet dès la chute de le sauver : c’est ce qu’on appelle le protévangile, la première annonce du salut. L’Enfant de la crèche vient donc mettre le point final au projet éternel de Dieu, Il est l’Alpha et l’Omega, le point central de l’histoire du monde qui montre que quand Dieu parle, il agit en même temps et que sa Parole éternelle résonne tout autant que son action se manifeste. Nous sommes pétris de terre, mais soulevés par la grâce si nous voulons bien Le laisser agir et sauver. Demandons cette grâce pour tous les hommes, puisqu’aucun n’est excepté de son dessein d’amour.

23 décembre 2023 O Emmanuel
Celui qui est Emmanuel, Dieu-avec-nous, est aussi désigné comme Roi et Législateur : être Roi, dans la conscience universelle de l’humanité, n’est pas tant de dominer que de pourvoir au bien d’un peuple. Les lois promulguées par une autorité légitime ont pour but de maintenir l’ordre et la cohésion d’une société, en respectant les droits des personnes et des collectivités. La raison donnée par Dieu en créant l’homme préside à ces sages dispositions. Ce n’est que lorsque cette raison n’est plus illuminée par une instance supérieure, comme l’a rappelé le Pape Benoît XVI lors de sa visite au Bundestag de Berlin, qu’elle risque de faillir à sa mission. Ainsi est sauvegardé. Ce n’est pas la Révélation qui est la source directe du droit et du pouvoir politique, qui gardent ainsi l’autonomie de leur domaine propre, mais c’est un grave dommage pour tous si on refuse d’emblée de se laisser inspirer par plus haut que soi. Pascal disait : « Il est déraisonnable de croire que rien ne dépasse la raison. » Que le divin Roi et Législateur continue d’apporter secrètement sa lumière à tous ceux qui ont en charge la chose publique.

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Antiennes O 17 au 23 décembre 2018
17 décembre : O Sapientia. Les 7 derniers jours avant Noël sont marqués par la série des Antiennes du Magnificat des vêpres, reprises comme versert à l’alleluia de la Messe du même  jour. Elles commencent par ce O de l’étonnement, de l’admiration, de l’émerveillement : c’est comme un résumé de la prière de louange pour l’œuvre de Dieu dont le sommet est l’Incarnation. Elles sont construites sur le même plan et chantées avec la même mélodie du IIème ton, qui est le ton modeste et discret de l’introït de la Messe de minuit. On invoque le Seigneur qui vient , en Le désignant sous des symboles ou par un de ses titres ; ensuite, ce symbole est développé par un de ses effets, et le point culminant est une supplication introduite par l’impératif « viens, veni ». Ces antiennes sont comme le résumé des prophéties sur le Sauveur. On y passe en revue l’ardente imploration de tout l’Ancien Testament et du monde païen en attente du Sauveur. Celle d’aujourd’hui, la première, parle du Verbe, qui est à l’origine de la création, désigné sous le nom de Sagesse. C’est le Verbe éternel au sein de la Trinité qui préside, dès avant le temps, à l’œuvre créée qu’il continue de soutenir. Il attend de nous une œuvre de prudence, qui règle tous nos actes selon la force et la suavité qui Lui appartiennent en propre. Un peu comme le prologue de St Jean que nous entendrons le jour de Noël, on commence dans le sein de la Trinité pour aboutir aux âmes qui sont sa demeure sur la terre. Qu’Il vienne pour nous guider jusqu’au trône de la Sagesse en accueillant son Esprit.

18 décembre. O Adonaï. Après l’évocation de la création dans l’antienne O d’hier, et de la sagesse qui continue de la gouverner, c’est un épisode majeur de la révélation qui est rappelé dans celle d’aujourd’hui : le buisson ardent qui manifeste clairement ce Dieu qui est aussi le Dieu de l’alliance –ce que signifie le nom d’Adonaï, qui remplace dans la lecture le Nom de Dieu, Yahvé, imprononçable pour un juif pieux- avec le don de la Loi au Sinaï. Ce sont les deux manifestations de Dieu qui sont ici seules à être évoquées, mais aussi, toute la spiritualité du désert, comme lieu de la révélation de Dieu, de sa sainteté et des exigences morales qui en découlent. Moyse est le législateur d’Israël, mais l’Alliance avait déjà été conclue avec Noé, Abraham, Isaac et Jacob. Dieu guide son peuple à travers l’histoire, ce qui est aussi une révélation qui montre que l’homme n’est pas soumis à une fatalité qui se répète sans issue, mais à un devenir avec Dieu qui l’aime. En dehors du judaïsme et du christianisme, la conception de la vie est le plus souvent cyclique, alors que pour nous elle est linéaire : nous venons de Dieu et nous allons à Dieu, ce qui est le fondement de l’espérance vraie. La prière finale nous met devant les yeux deux figures de la lumière de Noël qui vient : la délivrance d’Egypte, qui est elle-même image de celle du joug du péché et du démon. Que le Christ Sauveur achève de nous libérer de tous les esclavages qui nous entravent sur la route du salut.

19 décembre. O Radix Jesse. En faisant un nouveau saut dans le temps et l’histoire du salut, nous voici à un moment décisif des Rois de Juda, puisque les généalogies du Christ nous disent qu’Il est fils de David, de lignée royale. L’antienne s’inspire de deux passages d’Isaïe sur la racine de Jessé, père de David. St Jérôme commentant ces passages précise que les juifs identifiaient le rameau au Messie, sous le symbole du sceptre. Les chrétiens, eux, ont compris que le rameau, c’est la Vierge Marie et la fleur le Christ Sauveur. Ce sont aussi les perspectives d’un salut universel entrevu par le prophète qui sont affirmées ici : la libération promise n’est pas seulement celle d’un petit peuple insignifiant au plan politique, elle concerne tous les peuples et tous les hommes de tous les temps. Le signe de cet Enfant est donc sujet d’étonnement et d’admiration silencieuse pour tous ceux qui le comprennent déjà. Les Rois, prémices des nations, fléchiront les genoux à la crèche et notre adoration reconnaît à leur suite le Roi des Rois dans le Fils de David, né à Bethléem comme lui. L’adoration et la reconnaissance hâtent le moment béni où tous se prosterneront devant Lui en rendant grâces pour le salut qu’Il nous offre.

20 décembre. O Clavis David. En ce jour où l’évangile est celui de l’Annonciation et son annonce dans les prophéties d’Isaïe –« Voici que la Vierge concevra »- c’est le symbole de la clef qui est proposé à notre méditation. On pense bien sûr à ces clefs que le Sauveur Jésus remettra à St Pierre, qu’Il institue comme intendant des mystères de son Eglise, mais plus profondément, c’est Lui qui est la clef de tous les mystères révélés peu à peu dans l’Ancien Testament. Les juifs appelaient bouclier ou clef de David l’hexagone, l’étoile juive tristement célèbre dans l’histoire récente, qui est peut-être en ce sens même le symbole de la vulnérabilité de l’amour ; ils y voyaient le signe du Messie à venir, l’étoile de Balaam et celle des mages. L’antienne O de ce jour est au milieu des 7, comme le Christ est au milieu du temps dans son incarnation, partageant l’histoire en deux ; Il est vraiment la clef de la compréhension de l’Ecriture et de toutes choses, car sans Lui, on peine à trouver un sens au monde et à la vie. Prions aussi pour que les juifs puissent aller jusqu’à la reconnaissance du Messie qui est déjà venu et qui reviendra. Prenons dans notre prière tous ceux qui ne savent pas quel but donner à leur vie, et que sa lumière les établisse dans la seule paix véritable qui vient de Lui seul.

21 décembre. O Oriens. Après des événements importants de l’histoire du salut, nous revenons à l’ordre naturel, parce que là aussi, le Créateur s’est ménagé un symbole : le soleil. Il joue dans la vie terrestre un rôle essentiel, et marque la psychologie humaine de manière décisive. C’est un symbole utilisé abondamment par l’Ecriture Sainte et la liturgie, et c’est sans doute la manière la plus heureuse de caractériser le cycle de Noël, qui est l’arrivée de la lumière au moment où l’hiver est à son point le plus bas et le plus obscur. L’humanité est décrite comme prostrée dans l’ombre de la mort, et elle attend Celui qui la délivrera. La liturgie chrétienne est orientée géographiquement non vers Jérusalem, mais vers le soleil qui se lève à l’Est : nous sommes toujours en attente de résurrection ! Le cantique de Zacharie, qui achève l’office des Laudes, salue le Christ comme le soleil levant qui vient chaque matin nous visiter. Ses entrailles de miséricorde relèvent tous ceux qui sont abattus et se confient en Lui. Rappelons-nous que nous sommes fils de la lumière et qu’Il nous envoie la répandre partout où elle manque.

22 décembre et 23 décembre. O Rex gentium. Celui que les nations attendent sans le savoir, c’est le Christ. Toutes aspirent plus que jamais à la liberté, et il ne leur est le plus souvent proposé qu’un asservissement en flattant leurs instincts les moins nobles. L’histoire d’Israël est comme le modèle de celle du monde : la paix impossible, l’entente au-delà des nationalismes, la justice et l’harmonie des cultures, tout cela ne peut advenir que dans l’accueil de la Loi divine et de Celui qui en est la source et le garant. La pierre angulaire sera rejetée par les bâtisseurs, mais c’est en vérité, pour l’éternité, la pierre d’angle choisie par le Père. Jusqu’au meilleurs membres du paganisme, il a inspiré le désir de sa venue, et il y a partout et de tous temps des âmes de bonne volonté qui L’écoutent, même parfois sans Le reconnaître explicitement : « Tout homme qui est de la vérité entend ma voix. » C’est pourquoi nous chanterons demain qu’Il est l’Emmanuel, Dieu avec nous, le vrai Roi et le législateur universel. Avec l’initiale de la dernière antienne O Emmanuel, nous pouvons lire à l’envers : Ero cras, demain je serai. Le Sauveur qui naît à Bethléem ne cesse de venir à nous et de renaître pour nous : puissions-nous L’accueillir dans un cœur aimant et adorant.